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Face à la crise, l'Asie cherche sa propre voie

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  • Face à la crise, l'Asie cherche sa propre voie

    Réunis du 27 février au 1er mars à Hua Hin, une station balnéaire thaïlandaise proche de Bangkok, les dirigeants des pays membres de l'Association des Etats de l'Asie du Sud-Est (Asean) vont devoir s'interroger sur la validité du modèle économique qui a présidé jusqu'à la crise à la croissance spectaculaire de la région.

    En sapant la consommation américaine et européenne, le virus de la crise financière a en effet infecté, à travers la chaîne de la sous-traitance globale, non seulement la Chine, atelier du monde industriel, mais aussi toutes les économies voisines, qui avaient fait de la Chine le tremplin de leurs propres exportations.

    Le choc atteint ainsi encore plus violemment les pays les plus développés (Japon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour), dont la croissance repose sur les exportations, que les pays émergents (Vietnam, Philippines, Malaisie), qui avaient conquis eux aussi une place dans le Meccano de la mondialisation, et que les pays pauvres (Cambodge, Laos...), derniers venus dans la supply-chain internationale.

    Pourtant, les Etats d'Asie de l'Est disposent, ensemble, d'atouts qui font aujourd'hui défaut aux pays occidentaux pour trouver une issue à la crise économique et inventer un modèle de croissance moins dépendant des exportations, tourné vers la consommation intérieure, capable d'orienter les immenses réserves financières, jusqu'ici investies essentiellement en bons du Trésor américain, vers le développement des pays les plus pauvres de la zone.

    Il était certes vain de croire à un découplage de l'Asie face à la récession actuelle. L'architecture économique régionale est en effet le fruit de "quarante ans d'industrialisation par le biais des exportations", explique le militant altermondialiste philippin, Walden Bello, dans une analyse pour le think tank Foreign Policy in Focus. La Corée du Sud et Taïwan ont été les premiers à adopter cette stratégie, copiée du Japon et largement encouragée par la Banque mondiale. En 1985, les accords du Plaza, en poussant à une réévaluation du yen, ont incité les Japonais à délocaliser vers l'Asie du Sud-Est.

    Le Japon rêvait alors d'étendre son influence économique sur fond de déclin américain et arrosait la région de liquidités (quelque 15 milliards de dollars entre 1985 et 1990, estime M. Bello). La compétitivité asiatique, en retour, a favorisé en Occident la consommation et la désindustrialisation au profit du tertiaire.

    La Chine a copié mais en le multipliant, le modèle de ses voisins, attirant les investissements du monde entier pour exporter encore meilleur marché. Au cours de la décennie 2000, elle a même commencé à assembler à bas coût les productions de ses voisins plus aisés avant de les réexporter.
    Cette nouvelle dépendance de l'Asie de l'Est vis-à-vis de la Chine, elle-même dépendante du reste du monde à un degré jamais égalé, est désormais ce qui fait tomber en syncope la croissance asiatique. Mais elle porte aussi en elle les ressorts d'une sortie de crise.

    En effet, aucune économie n'a aujourd'hui de projet de développement aussi précis et clairement intégré à sa planification économique que la Chine, avec son programme de "mise à jour" de sa structure économique et sociale, en termes de capital humain, d'innovation technologique et d'économie verte, dont l'objectif ultime est de rééquilibrer l'économie en faveur de la consommation. Ces mots d'ordre ne sont pas des coquilles vides ; ils sont nés du constat, lors de la surchauffe de ces dernières années, que les pénuries d'énergie et la raréfaction des ressources menaient l'économie chinoise dans le mur.


    LA CAROTTE ET LE BÂTON


    La crise, en rendant caduque plus vite que prévu le modèle de la croissance par les exportations, a manifestement renforcé le camp des adeptes de cette transition volontariste.

    Le premier plan de développement post-crise, publié fin 2008 par l'agence chinoise de planification économique, porte sur le Guangdong (sud-est), la région phare de l'ouverture économique des années 1980. Très dépendante des exportations, elle est aujourd'hui en panne, et une mise à jour y est urgente. D'ici à 2020, elle deviendra un centre d'innovation doté de pôles de recherche, sous le pilotage de Wang Yang, le chef local du parti, chantre convaincu du nettoyage des industries les moins efficaces et les plus polluantes - priées de s'installer ailleurs dans le pays. L'ampleur du plan de relance chinois de 4 000 milliards de yuans (461 milliards d'euros), soit 13 % du produit intérieur brut (PIB), s'explique aussi par cette volonté de faire passer en priorité les investissements qui vont dans le sens d'une transformation qualitative du modèle chinois.

    Une telle fuite en avant en pleine tempête financière a ses détracteurs : Wang Yang a été accusé de lancer un autre "Grand Bond en avant" (réforme économique de 1958, qui a mené à une catastrophe). Par chance, le Parti communiste chinois, qui sait combien sa légitimité est fragile, a une peur panique des troubles sociaux. Ce qui l'oblige à colmater la moindre brèche. Depuis la fin 2008, l'Etat-Parti est sur tous les fronts, maniant la carotte et le bâton, distribuant des coupons d'achat, remboursant les salaires impayés. Le modèle chinois est flexible et a déjà su absorber à la fin des années 1990 un dégraissage massif des usines d'Etat de près de 40 millions de personnes.

    La Chine suivra-t-elle, en remontant la chaîne mondiale de la valeur ajoutée, la recette qu'a mise au point le Japon et qu'ont appliquée, un à un, les tigres asiatiques ?

    La dynamique de transition enclenchée en Chine a l'avantage de délocaliser à l'intérieur même du pays, comme le prouvent les décisions récentes de multinationales (Intel, Flextronics,etc) de déménager plus à l'ouest.

    Les réserves de croissance y abondent : l'urbanisation nourrit le développement des loisirs, des industries culturelles et du commerce électronique, qui connaissent malgré la crise une croissance à deux chiffres et absorbent de plus en plus de ces jeunes des campagnes que les stéréotypes cantonnent trop souvent aux petites mains des usines textiles ou des chantiers de construction.

    L'Asie de l'Est, sans doute, ne sortira pas indemne de la récession mondiale : l'impact sur les classes moyennes japonaises, taïwanaises, coréennes, risque d'être douloureux. Mais les inconvénients de la trop forte dépendance aux marchés occidentaux parviendront peut-être à désintoxiquer l'Asie de la course aux exportations.

    Pour cela, les économies régionales devront s'intégrer davantage et renforcer leur indépendance financière. La Chine compte visiblement mettre à profit la crise pour asseoir son influence économique en dehors de ses frontières - que ce soit pour y acquérir des technologies et des actifs énergétiques ou investir dans des marchés émergents afin de s'y ménager des débouchés alternatifs. Et créer ainsi dans la région une "sphère de coprospérité"... à la chinoise.


    Brice Pedroletti
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