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La grande peur des Arabes israéliens

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    La grande peur des Arabes israéliens
    De notre envoyée spéciale Mireille Duteil

    Publié le 21/02/2009 à 09:38 - Modifié le 21/02/2009 à 10:19 Le Point.fr


    "Cette fois, les bombardements ont eu lieu à Gaza, la prochaine fois, ce sera notre tour." À Kfar Kara, une des bourgades arabes des collines de Galilée, Ibrahim, fonctionnaire à la mairie, avoue qu'il est inquiet. Ces derniers temps, les Arabes israéliens, comme on les appelle en Israël - les Palestiniens d'Israël, comme nombre d'entre eux préfèrent se nommer -, se sentent de plus en plus mal. On les regarde comme une "cinquième colonne", comme l'affirme haut et fort Avigdor Lieberman, le leader du parti d'extrême droite Israël Beitenou. Ce dernier ne cache guère ses objectifs : les Arabes israéliens devraient être "transférés" dans un État palestinien. Les dernières élections législatives ont permis à son parti de remporter 15 sièges à la Knesset, devenant la troisième formation du pays. Elles ont érigé Lieberman en faiseur de roi entre les deux gagnants, Tzipi Livni, la ministre des Affaires étrangères et chef de Kadima, et Benyamin Netanyahou, le leader du Likoud. De nombreux Israéliens d'origine palestinienne sont aujourd'hui tétanisés. "Certains étudient même les routes qui pourraient leur permettre de s'enfuir le plus rapidement de leurs maisons", raconte, mi-sérieux, mi-moqueur, un habitant de Baaka al-Garbieh, un village voisin.





    Certes, on n'en est pas là. Pourtant, dans un récent sondage, 64 % des Israéliens estimaient que le "transfert" de population serait une bonne chose. Tzipi Livni elle-même, en décembre, évoquait cette éventualité. L'état d'esprit en Israël a suffisamment changé pour que Shimon Peres ait récemment jugé bon de déclarer : "En tant que chef de l'État, je m'inquiète des incitations à la violence contre une partie de l'opinion. Les Arabes, comme tous les citoyens du pays, ont des droits et des devoirs égaux." Tout se passe comme si trois semaines de bombardements à Gaza avaient fait sauter les verrous de la cohabitation entre les deux populations. Historien et chercheur à l'Institut Van Leer de Jérusalem, Adel Manaa, la cinquantaine, fait partie de ces nombreux Palestiniens d'Israël parfaitement intégrés. De prime abord, impossible de deviner s'il est un Israélien juif ou d'origine arabe, comme si une longue fréquentation des deux populations allait jusqu'à gommer leurs différences. Pourtant, lui aussi se sent mal. "Quand il y a une guerre, les relations deviennent difficiles entre juifs et Arabes. Les gens de notre côté sont tués et les juifs soutiennent l'armée. Alors, on explose de l'intérieur. C'est la situation actuelle. Cela prendra du temps pour revenir à la normale", reconnaît-il. Il poursuit : "De plus en plus, nombre d'Arabes d'Israël pensent que les juifs sont différents, qu'on ne peut plus leur parler. Cela fait peur." À Jaffa, la ville arabe plusieurs fois centenaire mitoyenne de Tel-Aviv où Bonaparte avait séjourné, à Ramleh, au centre d'Israël, à Haïfa, le premier port du pays, les frictions sont plus nombreuses entre communautés. L'époque est difficile."





    Sous régime militaire




    Les Arabes israéliens sont aujourd'hui 1,5 million, soit 20 % de la population du pays. Ils sont les fils et les petits-fils des 156 000 Palestiniens, musulmans et chrétiens, qui étaient restés - ou n'ont pas été chassés de leurs terres en 1948 (770 000 sont partis), lors de la création de l'État d'Israël. Devenus citoyens israéliens, la quasi-totalité d'entre eux se sont coulés dans le moule du nouvel Etat. "Nous sommes des Israéliens, nous nous sentons israéliens, nous parlons souvent un excellent hébreu, nous sommes diplômés de l'université, mais nous sommes toujours considérés comme des citoyens de seconde zone", s'insurge Najib Abou Rakaya, 61 ans, un crâne rasé à la Yul Bruner, bon vivant qui vit en Galilée et travaille à Jérusalem.


    Longtemps, ils n'ont rien dit, se contentant d'espérer des temps meilleurs. Car, jusqu'en 1966, la population arabe a été placée sous régime militaire avec toutes les restrictions que cela impose. "La seule époque où nous avons pensé que le pays allait vers plus d'égalité a été sous Yitzhak Rabin, de 1992 à 1995", se souvient l'historien Adel Manaa. "Il a donné les mêmes aides financières aux familles juives et arabes ; les mêmes budgets pour les écoles et le logement. Puis Netanyahou est arrivé et on est reparti en arrière." "Avant la première Intifada, les Arabes israéliens croyaient dans la démocratie israélienne, confirme un religieux chrétien français. Ils voient aujourd'hui qu'ils n'ont plus nécessairement raison d'y croire, que les villages arabes ont, par exemple, moins d'eau que les villages juifs, que les jeunes ne peuvent trouver d'emploi parce qu'ils sont arabes", constate-t-il en soupirant.


    Le premier tournant a lieu le 30 mars 1976, lors d'une grève de cultivateurs arabes : six d'entre eux sont tués par l'armée. Depuis, tous les 30 mars, les Palestiniens d'Israël descendent dans la rue, en particulier en Galilée, pour protester contre la confiscation de leurs terres au fil des années. Aujourd'hui, ils ne possèdent plus que 3,5 % des terres du pays. "Le vrai changement chez les Palestiniens d'Israël a eu lieu en octobre 2000", estime pour sa part Awad Abdel Fattah, secrétaire général de Balad, un des trois partis arabes qui ont des députés à la Knesset. Il nous reçoit dans son bureau de la zone industrielle de Nazareth, la première ville arabe du pays, dans ces collines de Galilée où vivent un tiers des Arabes israéliens. C'est dans cette cité qu'en octobre 2000, lors d'une manifestation contre la répression en Cisjordanie - on est alors au tout début de la deuxième Intifada -, 13 manifestants ont été tués par l'armée. À partir de là, certains ont commencé à revendiquer, à côté de leur citoyenneté israélienne, leur identité palestinienne.

    Sourde oreille




    "Pour nous, avec la seconde Intifada, tout a changé", reconnaît Saïd Abou Shakra, la cinquantaine replète. En 1996, il ouvre une galerie de photos et organise des expositions à Oum al-Fahim, une ville galiléenne de 50 000 habitants qui a la réputation d'être le fief du mouvement islamiste arabe en Israël. "J'ai voulu ouvrir la ville sur le monde, montrer que nous avions un avenir et que la cohabitation entre juifs et Arabes est possible", explique-t-il. En 1999, il monte une grande exposition de Yoko Ono, des milliers de gens viennent de partout, les journaux du monde entier en parlent. Les islamistes ne disent rien. "Lors de la deuxième Intifada, nos sponsors nous coupent les vivres, les visiteurs ne viennent plus, ils ont peur. Beaucoup d'Israéliens ont voulu punir les villages arabes en cessant d'y aller, de fréquenter leurs restaurants", raconte-t-il. La ville ne s'en est pas remise. Les habitants ont beau réclamer une zone industrielle, l'État fait la sourde oreille, le chômage dépasse 20 % contre 6 à 7 % dans l'ensemble du pays. Aujourd'hui, Saïd Abou Shakra a un nouveau grand projet : construire un musée d'art contemporain palestinien. La municipalité islamique lui a donné un terrain, un architecte israélien juif a gagné le concours pour construire un bâtiment ultramoderne et Saïd va partir pour les États-Unis chercher des sponsors. "Et maintenant, on veut nous renvoyer d'Israël", s'indigne-t-il. Car Oum al-Fahim est dans la ligne de mire d'Avig-dor Lieberman, le leader d'extrême droite. Celui-ci estime que la ville, comme ses voisines de Galilée, devrait être rattachée, avec ses habitants, à la Cisjordanie.





    "Nous n'avons pas peur de Lieberman. Il ne peut remettre en question notre présence en Israël. Ici, c'est notre pays, alors qu'il n'est qu'un immigrant", tonne Ibrahim Sarsour, député de la Liste arabe unifiée, un des partis arabes. "Nous espérons que l'Europe sera aussi vigilante avec Lieberman qu'elle l'a été avec Haider en Autriche", rappelle-t-il. "La Cour suprême ne laissera jamais des partis mettre leur menace à exécution", tente de rassurer un de ses juges. Et il vrai que, cette année encore, lorsque, pour la seconde fois, Lieberman, suivi par d'autres députés, dont un travailliste, a voulu obtenir que deux des trois partis arabes ne puissent participer aux élections législatives, la Cour suprême, gardienne de l'État de droit et bastion de la démocratie israélienne, s'y est opposée. Aujourd'hui, Lieberman déclare que les Israéliens d'origine arabe devront signer un serment de fidélité envers l'État juif, sinon ils seront privés du droit de vote. "Et, après, on nous obligera à porter un keffieh comme signe distinctif", s'exclame Abou Rakaya. Mais il n'a pas envie de rire.
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