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Le Niger dans la tourmente d'Al-Qaida

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  • Le Niger dans la tourmente d'Al-Qaida

    "Sapé comme un Parisien", dit-il, Adamou se fond dans le décor d'un restaurant en vue de Niamey où la clientèle locale plutôt aisée se mélange aux expatriés venus goûter une fraîcheur relative en bordure des flots paresseux du fleuve Niger. Jeune Noir, sédentaire, pacifique et employé, il contredit les clichés sur les Touareg, qui compliquent leur intégration dans la société nigérienne.

    Pourtant, samedi 21 février, Adamou a le sourire en berne. Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) vient de revendiquer ses premiers enlèvements au Niger : ceux des diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Gay, disparus le 14 décembre, et de quatre touristes européens kidnappés le 22 janvier. "On passait pour des esclavagistes et des bandits. Maintenant, on va aussi nous accuser de complicité avec Al-Qaida", se lamente Adamou.

    Changement de décor dans un faubourg de la capitale nigérienne, mais crainte identique et même volonté d'anonymat. "Le gouvernement n'aime pas les Touareg, à moins que nous ne renoncions à nos spécificités. Un mot de trop et on a des ennuis. En l'absence de justice indépendante, nous, et tous les Nigériens d'ailleurs, vivons en liberté conditionnelle", dénonce ce quinquagénaire noblement allongé sur un lit de camp bancal, dans une hutte miteuse dressée sur son lieu de travail.

    Moustapha survit comme tant d'autres Touareg de menus travaux de gardiennage dans la capitale nigérienne. Loin, très loin de son désert natal et de la sécheresse qui décima son troupeau et le poussa à l'exode. Son teint clair et ses yeux perçants émergent d'un chèche bordeaux enroulé autour de la tête. "Cette revendication est mauvaise pour nous", dit-il.

    Robert Fowler, diplomate et africaniste expérimenté, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies au Niger, son assistant ainsi que son chauffeur nigérien, Soumana Mounkaila, s'étaient mystérieusement volatilisés un jour de décembre 2008 sur la route de Tillaberi, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Niamey. Leur véhicule au sigle du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) avait été retrouvé vide, portes ouvertes, moteur et clignotant allumés, le 14 décembre 2008.

    Le Canadien, arrivé au Niger quelques jours auparavant, devait contacter des mouvements - très minoritaires au sein de la population touareg (moins d'un million de personnes sur 12 millions de Nigériens) - entrés de nouveau en rébellion, en 2007, contre le pouvoir de Niamey. "(Robert) Fowler ne nous avait pas avertis de son déplacement, et avait faussé compagnie à nos agents de sécurité chargés de sa protection. Mais il circulait sur une route sûre", se défend Mohammed Ben Omar, porte-parole du gouvernement.

    Dans un premier temps, le Front des forces de redressement (FFR), une faction rebelle touareg dissidente du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), avait revendiqué cette opération menée dans une zone éloignée du théâtre d'opérations habituel des rebelles, dans le nord du pays. Le FFR s'était rapidement rétracté.

    Le 19 février, c'est donc la branche nord-africaine d'Al-Qaida qui a finalement publié des photos de quatre personnes qu'elle présente comme le couple de Suisses, l'Allemande et le Britannique enlevés en janvier. La veille, un message audio d'un porte-parole d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Salah Abou Mohammed, avait affirmé retenir aussi les deux diplomates canadiens.

    Un homme hagard, ébouriffé et les yeux fermés, assis à côté d'une femme portant un turban, dont le visage a été brouillé, apparaît sur un des clichés. Une autre photo montre un homme au crâne dégarni, également les yeux clos, apparemment dans un état de détresse. Sur les deux clichés, des hommes armés enturbannés au visage masqué sont visibles sur fond de paysage désertique. "Les otages sont probablement au Mali", avance un diplomate.

    Selon une source proche du dossier citée par le bureau malien de l'Agence France-Presse (AFP), les six otages seraient retenus par l'Algérien Mokhtar Ben Mokhtar, alias "Belaouar". Cet ancien de l'Afghanistan, vétéran du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), avant même l'adoubement du groupe par Al-Qaida, a été condamné en 2007 par contumace à vingt ans de prison en Algérie.

    "L'émir Belaouar" demanderait, pour libérer les otages, "l'élargissement de deux Mauritaniens, membres d'Al-Qaida (...) actuellement détenus dans un pays de la bande sahélo-sahélienne", précisait cette source à l'AFP. "Si cela se confirme, cela marquerait la première action de ce type menée au Niger par Al-Qaida et, peut-être, ses liens avec certains éléments de la rébellion touareg, pourtant peu penchés sur un islamisme radical", s'inquiète un diplomate européen.

    "NÉBULEUSE DE BANDITS"

    Les autorités nigériennes, embarrassées par cette affaire, marchent sur un fil. Pour elles, il existe bien un problème touareg, mais il se réduit à une dimension criminelle, et non politique ni sociale, au sein de cette population qui réclame une meilleure répartition des richesses tirées notamment de l'uranium extrait par les Français du groupe Areva dans leur région d'origine.

    "Une nébuleuse de bandits quadrille le Grand Sahara, de la Mauritanie au Soudan, dans cette zone de non-droit ouverte à tous les trafics : armes, drogue, personnes, voitures volées... Les enlèvements sont devenus un de leurs fonds de commerce et, à ce titre, un diplomate onusien originaire d'un grand pays est une prise de grande valeur", énonce fermement le ministre Mohammed Ben Omar. Pas question donc de prendre langue avec des "bandits".

    Quant à Al-Qaida, la question est également rapidement évacuée. "Les otages ne sont pas au Niger, et il n'existe pas d'Al-Qaida dans notre pays", tranche le ministre. Mardi 24 février, le pouvoir a prorogé de trois mois la "mise en garde", sorte d'état d'alerte, en vigueur depuis deux ans, au Nord, dans la région d'Agadez.

    Un peuple nomade

    Nomadisme. Divisés en plusieurs confédérations et tribus, environ un million et demi de Touareg vivent sur cinq pays du continent africain (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina Faso), unis par une langue (le tifinagh) et une écriture communes (le tamashek), et la pratique d'un islam modéré. Nomades du Sahel et du Sahara pour le commerce et la recherche de pâturages, beaucoup sont dorénavant sédentaires.

    Rébellion. S'estimant marginalisés et soumis à une assimilation culturelle forcée, des groupes touareg sont entrés en rébellion, notamment au Mali et au Niger, plusieurs fois au cours des dernières décennies.

    Revendications. Les Touareg réclament une meilleure répartition des richesses produites dans leur zone traditionnelle d'habitat, et une meilleure représentation politique.
    Au Niger, toutefois, ils occupent trois ministères dans l'actuel gouvernement.


    Par le Monde
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