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Motus sur une collision entre deux-sous marins nucléaires

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  • Motus sur une collision entre deux-sous marins nucléaires

    Less sous-mariniers ont longtemps illustré la perfection technologique des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) par cette maxime : "On entend tout et personne ne nous entend." Si la deuxième partie de cette affirmation a été partiellement confirmée, la première a été démentie lorsque le SNLE français le Triomphant est entré en collision avec son alter ego britannique HMS Vanguard, entre le 3 et le 4 février, quelque part dans les profondeurs de l'Atlantique.

    Les deux bâtiments se sont heurtés de front, à faible vitesse, celle habituelle des patrouilles, entre 5 et 8 noeuds. S'il n'est pas sûr que l'onde de choc ait été ressentie par les 111 marins se trouvant dans la coque de 138 mètres de long, ses effets, en revanche, ne sont pas près de s'atténuer, des états-majors jusqu'à l'Elysée. Le Triomphant transportait 16 missiles stratégiques M 45 à têtes multiples, dont la portée avoisine 6 000 km. Il y avait ainsi à bord 96 têtes nucléaires de 150 kilotonnes (ou moins) chacune, une puissance équivalente à 1 000 fois celle d'Hiroshima. En face, le Vanguard disposait d'un arsenal comparable. Cet accident, qui soulève inévitablement des questions sur la fiabilité et la crédibilité de la dissuasion nucléaire, n'aurait jamais dû se produire. La probabilité d'une rencontre entre les deux submersibles "était bien plus faible que la collision du 10 février entre les satellites américain et russe", assure-t-on à l'état-major de la marine.

    Le 6 février, lorsque le Triomphant rentre à Brest, la thèse officielle est celle d'un choc avec un conteneur. Le Triomphant a rapidement fait surface mais, dans un rayon de 7 milles nautiques, la mer est vide ! Il faudra attendre les révélations du quotidien populaire britannique The Sun, dix jours plus tard, pour que la Marine nationale reconnaisse que les deux SNLE "sont entrés brièvement en contact".

    Entre-temps, le Vanguard a regagné sa base écossaise de Faslane, et les Britanniques ont suggéré aux Français l'idée d'une collision. Cette succession d'explications alimente les doutes, mettant à mal celle de la coïncidence. La vieille rivalité avec "Albion" n'a-t-elle pas conduit les commandants des deux SNLE à l'imprudence ? Se pistaient-ils ? Effectuaient-ils un exercice commun qui aurait mal tourné ?

    Bien que les consignes de mutisme imposées aux responsables de la marine empêchent de faire toute la lumière, ces thèses, pour l'essentiel, ne résistent pas à l'examen. S'il est vrai que les chances d'une collision entre deux SNLE au milieu de l'Atlantique sont infimes, la probabilité s'accroît pour deux bâtiments naviguant aux abords du plateau continental : le Triomphant rentrait d'une patrouille et, selon des informations non confirmées, le Vanguard en commençait une.

    Contrairement aux sous-marins nucléaires d'attaque, dont seule la propulsion est nucléaire, la mission d'un SNLE n'est pas de "chasser" ou de recueillir du renseignement, mais de rester indétectable, afin de pouvoir lancer ses missiles nucléaires. Son commandant a pour consigne de "diluer" son bâtiment dans l'océan, et même l'amiral commandant la Force océanique stratégique ignore où il est. C'est pour cela que le submersible n'émet rien : ni fréquence, ni ondes, et en principe, ni bruit, ni vibration. Ce mastodonte de 14 120 tonnes de déplacement est conçu pour se confondre avec le bruit de la mer. En plongée, un SNLE ne fait qu'écouter, grâce à son sonar passif, aux centaines d'hydrophones dont est bardée son antenne, et aux "oreilles d'or", deux spécialistes de la reconnaissance acoustique.

    Au fond, résume un amiral, l'improbable collision du Triomphant et du Vanguard "est l'histoire de deux SNLE ayant atteint un niveau tel de discrétion acoustique qu'ils ne se sont, mutuellement, pas détectés". Le hasard a voulu qu'ils soient face à face - une circonstance aggravante, puisque leurs capacités de détection vers l'avant sont faibles - et dans une tranche d'immersion identique.

    La discrétion acoustique est influencée par des facteurs tels la pression, la température et la salinité de l'eau, la présence de micro-organismes et celle de vents en surface. Tout commandant de SNLE, explique un ancien patron de la Force océanique stratégique (FOST), "recherche en permanence la couche d'eau qui sera la plus opaque à la diffusion des sons". Cette obsession de l'immersion optimale expliquerait la proximité du Triomphant et du Vanguard.

    Toujours est-il que cet accident interdit tout statu quo. La Marine et la Royal Navy doivent "réfléchir", comme l'a dit Hervé Morin, ministre français de la défense, à leurs zones respectives de patrouille. Or, par nature, la dissuasion ne se partage pas. "C'est la sanctuarisation nationale absolue ; la dissuasion n'a pas d'amis", rappelle un ancien commandant de SNLE.

    La France et la Grande-Bretagne ne coordonnent donc pas les patrouilles de leurs SNLE. Contrairement à ce qui existe pour les sous-marins classiques dans le cadre de l'OTAN, qui évoluent dans des "boîtes" gérées par le "Water Space Management", les SNLE ne partagent avec personne leur liberté de patrouille. L'idée de "patrouilles communes", évoquée il y a plusieurs années, a été vite abandonnée.

    "On imagine mal un SNLE patrouillant pour le compte d'un autre pays, souligne un ancien commandant de la FOST, parce que cela voudrait dire que le premier ministre britannique pourrait ordonner un tir nucléaire à un SNLE français !" Cette ligne rouge n'interdit pas les échanges : les SNLE britanniques Victorious et Vengeance se sont rendus à l'Ile longue en février 2000 et mars 2007, et l'Inflexible a effectué à deux reprises une escale à Faslane.

    "A chaque fois, explique cet ex-patron de la FOST, des couloirs assez larges avaient été réservés, sur plusieurs jours, aux SNLE britanniques. On peut s'inspirer d'un tel système et mettre en place des "couloirs" pour les approches de nos bases respectives." Un autre amiral renchérit : "On doit pouvoir mettre au point entre nos deux marines un niveau d'information et de confidentialité sur les patrouilles de SNLE, qui respecte nos impératifs en matière de dissuasion."

    Certains signes montrent que la coopération franco-britannique dans ce domaine ultrasecret est plus étroite que ne le reconnaissent les deux capitales. Mais les accords de Nassau de 1962 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis - qui lient les dissuasions des deux pays - limitent a priori la marge de manoeuvre de la France.

    La collision du Triomphant et du Vanguard pourrait constituer un choc salutaire : en ressuscitant partiellement la notion de "dissuasion concertée" évoquée par Alain Juppé en 1995, elle pourrait inciter la France et la Grande-Bretagne à faire évoluer le tabou de la souveraineté nationale et - qui sait ? - leur permettre d'ouvrir le dossier de l'européanisation de la dissuasion.


    Par Laurent Zecchini, le monde
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