Le régime nazi s’est livré à une réécriture de l’histoire en plaçant l’origine de la civilisation indo-européenne dans l’Europe nordique. L’art et le sport ont été mis à contribution pour accréditer l’idée que les nazis seraient les héritiers des glorieuses civilisations antiques. Or à ces annexions symboliques correspondent des conquêtes territoriales. Dans un travail érudit et captivant, Johann Chapoutot montre que le Reich ne se contente pas de revisiter l’histoire antique : il est conduit par elle.
Recensé : Johann Chapoutot, Le National-socialisme et l’Antiquité, Paris, PUF, « Le nœud gordien », 2008.
Une nation, écrivait Renan, ne tient jamais entièrement dans sa géographie. Elle s’enracine dans la gloire de ses grands hommes et la réminiscence d’un passé héroïque. Le IIIe Reich ne fait pas exception à la règle, dont l’avènement à partir de 1933 correspond à un renouveau du culte de l’Antiquité. Le ressentiment né de la défaite de 1918 et l’humiliation qui en découle conduisent le nouveau régime à rechercher en amont de l’Allemagne bismarckienne et du XIXe siècle les motifs d’une gloire nationale. Aussi l’Antiquité qu’il sollicite a-t-elle peu de traits communs avec celle que célébraient, un siècle auparavant, Humboldt ou les frères Schlegel. Elle délaisse la construction d’une Bildung classique pour se faire l’interprète des forces telluriques qui animent le mouvement de l’histoire.
C’est en réalité à une double réécriture que se livre le régime nazi. En même temps qu’il réinvente une généalogie des origines de la race allemande, il lui faut en effet revisiter l’histoire des civilisations dont l’Allemagne se proclame l’unique héritière. Les travaux des grammairiens et philologues du début du XIXe siècle avaient placé les origines de l’humanité du côté de l’Indus. S’inscrivant en faux contre cette idée d’un berceau indien des civilisations, le Reich place l’origine de la civilisation indo-européenne en Scandinavie et dans le nord de l’Allemagne, conformément à l’idéologie des courants racistes éclos dans la seconde moitié du XIXe siècle. Grecs et Romains, mais aussi habitants de l’Égypte antique et de la Perse, de l’Inde ou de la Chine, sont désormais décrits comme autant de surgeons issus de la branche nordique, guerriers blonds aux yeux bleus que les aléas d’une nature capricieuse ont peu à peu maquillé différemment. Ainsi émerge une Méditerranée nordique dont l’ensemble des grandes cultures ont été influencées par la civilisation aryenne. « Le mythe des origines nordiques est […] relayé par les historiens et les pédagogues : il devient la version officielle de l’histoire des origines sous le IIIe Reich » (p. 41).
C’est cette représentation d’une Allemagne matrice des civilisations que reprennent les travaux produits, au cours des années 1930, par les universitaires en vue et par les dignitaires du Parti, alors que les réformes de l’enseignement placent entre 1934 et 1938 la lutte du peuple allemand pour l’existence au cœur des programmes scolaires. Certains tenteront bien de s’élever contre la thèse d’une domination unilatérale des peuples du Nord sur les autres populations allemandes ; mais la liquidation des SA laisse le champ libre à cette vision aristocratique de l’histoire. Plus inattendue est la « lecture ouverte » que le Führer lui-même, passionné d’histoire antique, oppose à l’interprétation germano-centrée de l’histoire des débuts du Reich allemand que cherche à promouvoir Himmler. Lecteur de la Germanie de Tacite, Hitler y trouvait en effet la confirmation de la supériorité culturelle des Grecs et des Romains sur les peuples germains. D’où la nécessité de les rattacher à la race nordique dont les ramifications descendaient ainsi jusqu’aux bords de la Méditerranée.
Tous ces débats n’auraient qu’un intérêt historique limité, davantage lié aux dérives d’une propagande désireuse de se doter d’une apparence scientifique, s’ils ne se dessinaient, comme le montre Johann Chapoutot, un parallèle entre la lecture de l’histoire antique et les entreprises militaires du Reich. Aux annexions symboliques des différentes civilisations correspondent les annexions territoriales ultérieures, légitimées par l’idée que le peuple allemand retrouvera ainsi des lieux d’influence ancienne.
Recensé : Johann Chapoutot, Le National-socialisme et l’Antiquité, Paris, PUF, « Le nœud gordien », 2008.
Une nation, écrivait Renan, ne tient jamais entièrement dans sa géographie. Elle s’enracine dans la gloire de ses grands hommes et la réminiscence d’un passé héroïque. Le IIIe Reich ne fait pas exception à la règle, dont l’avènement à partir de 1933 correspond à un renouveau du culte de l’Antiquité. Le ressentiment né de la défaite de 1918 et l’humiliation qui en découle conduisent le nouveau régime à rechercher en amont de l’Allemagne bismarckienne et du XIXe siècle les motifs d’une gloire nationale. Aussi l’Antiquité qu’il sollicite a-t-elle peu de traits communs avec celle que célébraient, un siècle auparavant, Humboldt ou les frères Schlegel. Elle délaisse la construction d’une Bildung classique pour se faire l’interprète des forces telluriques qui animent le mouvement de l’histoire.
C’est en réalité à une double réécriture que se livre le régime nazi. En même temps qu’il réinvente une généalogie des origines de la race allemande, il lui faut en effet revisiter l’histoire des civilisations dont l’Allemagne se proclame l’unique héritière. Les travaux des grammairiens et philologues du début du XIXe siècle avaient placé les origines de l’humanité du côté de l’Indus. S’inscrivant en faux contre cette idée d’un berceau indien des civilisations, le Reich place l’origine de la civilisation indo-européenne en Scandinavie et dans le nord de l’Allemagne, conformément à l’idéologie des courants racistes éclos dans la seconde moitié du XIXe siècle. Grecs et Romains, mais aussi habitants de l’Égypte antique et de la Perse, de l’Inde ou de la Chine, sont désormais décrits comme autant de surgeons issus de la branche nordique, guerriers blonds aux yeux bleus que les aléas d’une nature capricieuse ont peu à peu maquillé différemment. Ainsi émerge une Méditerranée nordique dont l’ensemble des grandes cultures ont été influencées par la civilisation aryenne. « Le mythe des origines nordiques est […] relayé par les historiens et les pédagogues : il devient la version officielle de l’histoire des origines sous le IIIe Reich » (p. 41).
C’est cette représentation d’une Allemagne matrice des civilisations que reprennent les travaux produits, au cours des années 1930, par les universitaires en vue et par les dignitaires du Parti, alors que les réformes de l’enseignement placent entre 1934 et 1938 la lutte du peuple allemand pour l’existence au cœur des programmes scolaires. Certains tenteront bien de s’élever contre la thèse d’une domination unilatérale des peuples du Nord sur les autres populations allemandes ; mais la liquidation des SA laisse le champ libre à cette vision aristocratique de l’histoire. Plus inattendue est la « lecture ouverte » que le Führer lui-même, passionné d’histoire antique, oppose à l’interprétation germano-centrée de l’histoire des débuts du Reich allemand que cherche à promouvoir Himmler. Lecteur de la Germanie de Tacite, Hitler y trouvait en effet la confirmation de la supériorité culturelle des Grecs et des Romains sur les peuples germains. D’où la nécessité de les rattacher à la race nordique dont les ramifications descendaient ainsi jusqu’aux bords de la Méditerranée.
Tous ces débats n’auraient qu’un intérêt historique limité, davantage lié aux dérives d’une propagande désireuse de se doter d’une apparence scientifique, s’ils ne se dessinaient, comme le montre Johann Chapoutot, un parallèle entre la lecture de l’histoire antique et les entreprises militaires du Reich. Aux annexions symboliques des différentes civilisations correspondent les annexions territoriales ultérieures, légitimées par l’idée que le peuple allemand retrouvera ainsi des lieux d’influence ancienne.
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