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Des parcelles de terres attribués par tirage au sort au Cambodge

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  • Des parcelles de terres attribués par tirage au sort au Cambodge

    C'est l'aube dans ce village cambodgien de la province de Kompong Cham, à l'est de Phnom Penh. Alentour, les rizières sont désertes, seuls les enfants virevoltent malgré l'heure matinale. Les mères de famille ont entrepris la lessive annuelle. Mais tous ont les yeux fixés sur les chefs de famille, rassemblés sous le préau communal autour d'un tableau du cadastre indiquant les parcelles de terrain qui vont être tirées au sort.

    Solennellement, un fonctionnaire portant mégaphone annonce un numéro, sorti d'une boîte, à l'aveugle. Chacun, assis en tailleur sur sa paillasse, regarde une nouvelle fois le numéro qui lui a été attribué et qu'il sait pourtant par coeur. Le nom du "gagnant" est enfin annoncé.

    "PAUVRES ABSOLUS"

    Cette étrange loterie est en fait la mise en place du programme Lased, acronyme anglais pour Allocation de terre au développement économique et social. Avec le concours de la Banque mondiale et des services gouvernementaux allemands de coopération (GTZ), l'administration cambodgienne distribue aux foyers éligibles un terrain incessible pendant cinq ans. A charge pour les bénéficiaires d'y construire un logement et d'en tirer revenu. Dans un premier temps, plus de huit mille familles vont bénéficier du programme.

    Bien sûr, tout cela ne pèse pas lourd par rapport à tous ces paysans sans terre que la Banque mondiale estimait à un demi-million en 2007, mais c'est un début.

    Le problème de la propriété foncière pour les paysans est ancien, mais il est devenu une question explosive au Cambodge. C'est sur cette revendication que, dans les années 1960, les futurs Khmers rouges recrutèrent leurs partisans dans l'insurrection communiste qui contribua à la perte du régime neutraliste de Norodom Sihanouk et déboucha sur le génocide de 1975-1979. Aussi, la publicité donnée par les médias d'Etat aux initiatives en cours pour attribuer des terrains aux familles défavorisées n'est-elle pas innocente. Le gouvernement de Hun Sen se soucie de vous, disent-ils en substance.

    La redistribution en propriété privée de la terre, après le régime de Pol Pot, s'était faite dans la confusion générale, due à la disparition de l'administration et des archives. Mais aussi en raison de la réinstallation progressive de dizaines de milliers de rapatriés des camps de réfugiés de la périphérie, et d'une appropriation souvent abusive de terrains par les puissants du moment. "Alors que la plus grande partie des paysans avaient un lopin à eux voici une vingtaine d'années, il y a, aujourd'hui, environ 20 % de pauvres absolus qui n'ont rien du tout", souligne-t-on à la Banque mondiale.

    Nombre de ces défavorisés ont dû vendre leur terrain - parfois illégalement - pour faire face à une urgence ; souvent, les soins coûteux entraînés par le handicap d'un membre de la famille blessé dans l'explosion d'une mine dans un champ. Jusqu'à une date récente, un millier de Cambodgiens, chaque année, perdaient un membre, ou la vie, dans l'explosion d'un engin laissé sur le terrain par trente années d'insurrection et de guerre. Parfois, c'est l'unique buffle de trait qui saute sur une mine, il faut alors vendre le lopin familial faute de pouvoir l'exploiter et s'engager comme travailleur agricole saisonnier. Spirale de l'appauvrissement que dénonçaient à la fin des années 1950 les pionniers du futur mouvement khmer rouge, de formation marxiste parisienne.

    NOMBRE CROISSANT DE PLAINTES

    Le Lased est réservé aux foyers au revenu inférieur à 0,50 dollar par jour et par tête. Instauré dès 2003, il porte sur les terres de propriété publique que les administrations locales sont tenues de céder en "terrains sociaux". Dans les régions, l'application de ces directives n'a pas été uniforme. Neuf des vingt provinces sont passées aux actes. Cinq autres tergiversent encore, et l'une - Prey Veng, près du Vietnam, très peuplée - a fait savoir qu'elle ne disposait d'aucune terre libre.

    La démographie galopante n'a pas aidé. La population a plus que doublé sur certaines parcelles qui peinaient déjà à nourrir ceux qui les travaillaient il y a vingt ans. Les terres en friche sont nombreuses, mais la volonté politique de les mettre en valeur est loin d'atteindre les besoins. Par contraste, on estime que moins de 1 % de la population aurait pris le contrôle de 20 % à 30 % de la terre dans la privatisation qui a accompagné la fin de la guerre contre les Khmers rouges, à partir de 1991.

    Or les mouvements de protestation de paysans spoliés, appuyés par des organisations de défense des droits de l'homme étrangères ou nationales, deviennent fréquents. Et, phénomène récent, ils considèrent la justice comme un recours possible. Les plaintes n'aboutissent pas souvent, mais leur nombre croissant a conduit le premier ministre, Hun Sen, à menacer de dissolution l'Autorité de résolution des différends fonciers "pour absence de résultats".

    Par le Monde
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