Par Farida Ghazoui et Rahim Sefrioui avec Karim Boukhari
Enquête sur le ministère de l’intérieurDu terrorisme aux catastrophes naturelles, des élections au renseignement, des médias aux tribunaux… ses agents sont au cœur de votre vie.
La scène est la même dans de nombreuses régions du pays. Des pluies diluviennes s’abattent sur des centaines de villages. Les crues des fleuves ont enregistré des records jamais atteints depuis les années 1960. Sur les hauteurs, des dizaines de milliers de Marocains sont coupés du monde extérieur à cause de fortes chutes de neige. Si les
Au cœur de l’actualité
Sur un tout autre plan, à Meknès, le maire islamiste Aboubakr Belkora est destitué pour gestion communale défectueuse. Une accusation contenue dans un rapport de l’inspection générale de l’Administration territoriale (IGAT). Dans la foulée, les décrets de destitution d’une trentaine d’autres élus, toutes appartenances partisanes confondues, sont signés par Chakib Benmoussa. Le ministre de l’Intérieur est fier d’avoir épinglé autant de (supposés) mauvais représentants de la gestion locale. Il est, dans le même temps, accusé par le PJD d’avoir manœuvré pour ternir l’image du parti islamiste à quelques mois des élections. Les élections, justement, parlons-en. Il y a un mois, le ministère de l’Intérieur a ouvert la procédure de révision des listes électorales. Le département de Benmoussa n’a pas lésiné sur les moyens : spots télévisés, messages radiophoniques, communiqués de presse, etc. La grosse artillerie a débouché, pour le moment, sur un petit résultat : à peine 1,2 million de citoyens ont répondu à ces multiples appels. La faute à qui ?
Changement de décor. A Casablanca, une vingtaine de policiers en civil emploient la manière forte pour appréhender le directeur de publication et la rédactrice en chef de l’hebdomadaire Al Ayam, coupables d’être en possession d’une photo de Lalla Latifa, mère du roi… Pratiquement dans la même foulée, un militant associatif, Chakib El Khyari, est arrêté et déféré devant la justice pour avoir mis en doute la sincérité de la police dans sa “lutte” contre le trafic de drogue à Nador. Dans le cas des journalistes d’Al Ayam comme dans celui d’El Khyari, les doigts accusateurs se tournent inévitablement vers la “mère” de tous les ministères : l’Intérieur. On le voit, le ministère de l’Intérieur, ses hommes, ses politiques, ses méthodes, sont au cœur de toute l’actualité nationale. Pour bien comprendre les ressorts de ce département tentaculaire, qui a énormément évolué au fil du temps, un petit rappel historique s’impose.
Nouveau règne, nouveau concept
Nous sommes en 1999 et le Maroc entame une nouvelle ère. Mohammed VI, trois mois après son accession au trône, évince Driss Basri, celui qui a été ministre de l’Intérieur pendant près de deux décennies. L’homme fort de la Chaouia est remplacé par l’enfant de Taounate, Ahmed Midaoui, actuel patron de la Cour des comptes. Malgré ses déclarations d’intention, Midaoui semble écrasé par le poids de l’héritage “basrien” : des rouages difficiles à maîtriser et un enchevêtrement de directions et de services où les hommes de Si Driss continuent de sévir. Fouad Ali El Himma, homme du roi, est également dans les parages, ce qui brouille davantage les pistes et les jeux de cartes dont dispose le ministre de l’Intérieur.
En 2001, Midaoui passe logiquement le relais à Driss Jettou dans un contexte mondial marqué par le retour du sécuritaire, conséquence du 11 septembre américain. Jettou a du pain sur la planche : préparer les premières élections législatives de la nouvelle ère. Derrière lui, c’est le secrétaire d’Etat, El Himma, qui organise réellement le rendez-vous et convainc notamment les islamistes de réduire leur participation. Au nom de la raison d’Etat et de son corollaire : les intérêts suprêmes de la nation ! Mission accomplie, sauf que les résultats détaillés du scrutin du 27 septembre 2002 n’ont jamais été rendus publics. Ce qui jette un trouble sur la transparence de la première consultation électorale sous Mohammed VI.
En octobre 2002, Mostafa Sahel prend place à l’Intérieur et le Maroc officiel décline plus que jamais le “nouveau concept de l’autorité”. Une blague ? Non, juste un “thème”, somme toute assez frais, pour une gigantesque campagne de communication. Sahel communique, mais l’essentiel du déroulement des affaires techniques se déroule ailleurs. Quand Casablanca est secouée par les attentats du 16 mai 2003, nulle trace de Mostafa Sahel. Sur le terrain, Fouad Ali El Himma et Hamidou Laânigri, patron des services, mènent les opérations avec les résultats que l’on sait : des milliers d’arrestations, des procès, des condamnations, des séances de torture et des PV rédigés à la va-vite. En résumé, de toute cette période, qui a vu se succéder Midaoui, Jettou et Sahel, il ressort clairement que l’Intérieur se cherche une nouvelle identité, une nouvelle manière d’appréhender sa mission de toujours : tenir la “maison” Maroc.
Le ministre et son secrétaire (d’Etat)
Le processus entamé avec le limogeage de Basri allait s’affirmer avec la nomination en février 2006 d’un ministre au profil tout à fait nouveau, le polytechnicien Chakib Benmoussa, un ancien cadre de l’ONA. Une super-promotion pour celui qui était déjà le secrétaire général de l’Intérieur. “Nombreux sont ceux qui se demandaient comment Benmoussa, polytechnicien et manager moderne, allait gérer des agents d’autorité d’un autre âge”, précise un haut cadre de l’Intérieur. Benmoussa prend rapidement ses marques et lance le chantier des réformes et un nouvel organigramme de son ministère avec de nouvelles attributions. L’Intérieur entre dans la “normalité ministérielle”. Le nouveau Monsieur Dakhiliya se tourne de plus en plus vers des profils de techniciens qui maîtrisent parfaitement leur sujet. Est né alors ce concept de super-walis à qui ont été confiées les plus grandes villes du pays : Casablanca, Tanger, Marrakech…
Avec le départ de Fouad Ali El Himma, c’est le poste de ministre délégué à l’Intérieur qui disparaît tout simplement de l’organigramme. Mais quand le gouvernement El Fassi est constitué, mi-octobre 2007, c’est Mohamed Saâd Hassar qui y figure en tant que secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur. “Les deux hommes travaillent en étroite collaboration, et il arrive que Benmoussa délègue la gestion de certains dossiers à Hassar”, nous explique cette source proche des deux “ministres”. De l’expérience, Hassar, 55 ans, en a suffisamment, notamment en matière de consultations électorales. “Il a le sens de l’écoute, il respecte ses interlocuteurs”, nous confie le dirigeant d’un parti de la majorité, qui a bien “pratiqué” l’homme lors des concertations autour des prochaines élections communales.
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