L’autre rive du paradis de Nour Eddine Saoudi n’est pas un livre comme les autres. A plusieurs titres. Il n’est pas le premier à nous ramener vers ces temps incertains quand les humains jouaient encore leur destin d’hommes. Déjà humains et encore en voie d’hominisation. Sans que l’on sache très bien s’ils n’avaient pas fait l’essentiel en se donnant un nom, le nom de leur tribu, le nom qui signifiait homme et qui les désignait comme hommes, excluant de ce champ les autres qui marchaient debout. Avaient-ils accompli le passage en se dotant d’un symbole qui les rendaient identifiables entre eux ne serait-ce qu’au niveau du clan ou encore fallait-il réussir à changer les choses, bois ou pierres, pour se doter des outils, construire des abris et maîtriser le feu, transformer la terre en poterie, bref ce que des historiens ont appelé, à tort ou à raison, la conquête de la nature et la fabrication des outils. Le destin s’est-il joué sur ce plan matériel ou sur celui de l’identité d’hommes ?
Car le livre de Nour Eddine Saoudi est étrange. Il s’ouvre sur le récit d’une femme qui raconte une autre femme dans son rôle de porteuse de mémoire. Une vieille qui savait d’où venait le clan et d’où venait le monde, une histoire de dieux mêlée à une histoire d’hommes avec ses drames et ses retournements, ses conflits et ses ressentiments, comme si les dieux regrettaient les pouvoirs limités conférés aux hommes.
La vieille raconte l’histoire des dieux et l’histoire du clan aux tout derniers moments de sa vie avec la gestuelle, la théâtralisation, le tragique qui devaient indiquer que si la clan perdait sa mémoire, il se perdait et qu’à ce moment, un signe, un seul et si ténu devait indiquer laquelle parmi l’assistance devait reprendre le relais, laquelle devait assurer cette partie de la connaissance qui permettrait au clan de savoir d’où il venait pour savoir, toujours, où il devait aller. Etrange livre. Car la vieille femme tient le centre du village entre le chef du clan et le sorcier. De cette place, la parole de la cosmogonie transcende le pouvoir humain et le savoir surnaturel, mais les deux ne sont-ils pas les conséquences de «sa» cosmogonie. Très vite, le caractère de qui est humain apparaît dans le roman. Le clan enterre la vieille femme avec les égards dus aux détenteurs de secrets dans les suites des rites et des objets nécessaires à son voyage vers l’au-delà, à son passage vers le monde des morts où elle devra plaider la cause des vivants. Premier élément décisif, les hommes deviennent hommes en croyant à une autre vie, conférant à leurs morts respect et parfois vénération.
Etrange moment que cet enterrement par lequel on comprend combien la place de la mort, la place du mort, la place des morts désigne le centre de la vie. Le cimetière est physiquement en marge du village. Symboliquement, il est au entre de tous les cerveaux du clan Celle qui raconte l’histoire de la vieille était une toute jeune fille, une adolescente qui sent bien que ce jour porte pour elle des signes incompréhensibles et angoissants. La vieille savait que le clan connaîtrait des jours difficiles et jouerait sa survie. L’eau, l’eau si précieuse pour la vie manquait cruellement dans le lac voisin du village. Une grande sécheresse menaçait avec toutes les conséquences pour la survie des animaux et des hommes.
Ni le chef du clan ni le shaman n’avaient de solution. C’est au cours de cet abattement moral et de ces épreuves physiques que la jeune fille atteint son stade biologique de femme et qu’elle passe les épreuves de confirmation de son statut. On ne devient pas femme par le sang perdu mais par une initiation, un parcours, un changement mental dont la tribu s’occupe avec les rituels nécessaires à investir la jeune fille de l’idée de son nouveau statut.
Mais c’est aussi le moment au cour du quel la jeune fille va comprendre les sens cachés du message de la vieille femme, ceux qu’elle ne pouvait délivrer sans la peur de réveiller les démons qui ont hanté leur passé, le temps d’avant qu’ils deviennent hommes. Le temps justement dans lequel ils étaient hommes déjà mais auquel ils ne voudraient pas retourner car ils perdraient quelque chose de précieux, d’infiniment précieux. Dans la cosmogonie, l’oubli est aussi une protection, comme si les démons sommeillaient, sans plus.
La jeune fille l’apprendra à ses dépens. Très vite. La sécheresse, le désespoir, l’incompréhension devant la décision des dieux de les priver d’eau et donc de subsistance, la recherche effrénée d’une solution de conciliation de ces mêmes dieux leur fait franchir la barrière de l’oubli. Finalement, il n’était pas si loin le temps des sacrifices humains, vous en savez quelque chose depuis la décennie rouge. Le temps n’est jamais loin d’une chose si la mémoire le conserve même à l’état de trace.
Le livre de Saoudi nous mène aussi sur ces sentiers du sens du temps. La jeune fille sera offerte en sacrifice aux dieux en échange de leur mansuétude et du retour en grâce de la tribu. Nous sentons bien que le signe qui a poussé au choix de cette jeune fille est le même qui laissait croire qu’elle serait l’héritière, la continuatrice de la vieille femme.
Le même signe et des lectures contradictoires comme si les hommes devaient jouer leur survie par l’atout de leur vie tout court. Elle reviendra vivante de la grotte où elle fut déposée, se nourrissant de sa propre blessure après des jours de coma. Elle découvrira le clan revenu vers des temps anciens, plus lointains, plus terribles. Des temps inavouables. Affamés, des hommes du clan avaient mangé d’autres hommes.
Malgré la dégradation générale, le clan accueillit son retour comme le signe de sa stature extraordinaire se rendant compte de sa méprise. Il lui faudrait comme pour les prophètes d’autres épreuves pour pouvoir parler de la genèse du monde et des hommes. J’arrête là de parler de l’histoire pour vous en laisser tout le plaisir de la découverte. Je vous dis seulement que des survivants devront quitter des lieux, devenus maudits, pour en chercher d’autres plus cléments. Les personnages essentiels se réduisent au chef du clan, à son frère, le père de la jeune fille, à un jeune homme téméraire et toute la trame à la survie d’un groupe humain réduit dans les grandes solitudes d’un désert qu’on imagine être le Sud de l’Algérie.
Irrésistiblement, ce roman nous renvoie à une autre lecture, celle de la Guerre du feu, tenu pour un modèle du genre. Les deux écrits diffèrent non seulement dans la l’écriture mais dans la philosophie qui les sous-tend.
La guerre du feu commence par une tragédie terrible.
Un clan est dépossédé de son feu dans une attaque menée par un autre clan. Il lui faudra choisir parmi les siens celui qui mènera une équipe pour voler le feu à un autre clan.
Ce roman est celui d’une guerre entre les hommes, une guerre perpétuelle. Toute centrée sur le côté matériel de la conquête des outils qui permettrait de survivre face aux dangers de la nature. Le chasseur du feu est préféré à deux frères, présentés comme des brutes épaisses, violentes et plutôt demeurées. Il est difficile de ne pas voir dans ce livre la projection du monde moderne, c’est-à-dire le monde européen sur les temps de la préhistoire. Tout se déroule sous la logique de contradictions que ne pouvaient connaître des sociétés où la famille et la propriété privée n’existaient pas.
Car le livre de Nour Eddine Saoudi est étrange. Il s’ouvre sur le récit d’une femme qui raconte une autre femme dans son rôle de porteuse de mémoire. Une vieille qui savait d’où venait le clan et d’où venait le monde, une histoire de dieux mêlée à une histoire d’hommes avec ses drames et ses retournements, ses conflits et ses ressentiments, comme si les dieux regrettaient les pouvoirs limités conférés aux hommes.
La vieille raconte l’histoire des dieux et l’histoire du clan aux tout derniers moments de sa vie avec la gestuelle, la théâtralisation, le tragique qui devaient indiquer que si la clan perdait sa mémoire, il se perdait et qu’à ce moment, un signe, un seul et si ténu devait indiquer laquelle parmi l’assistance devait reprendre le relais, laquelle devait assurer cette partie de la connaissance qui permettrait au clan de savoir d’où il venait pour savoir, toujours, où il devait aller. Etrange livre. Car la vieille femme tient le centre du village entre le chef du clan et le sorcier. De cette place, la parole de la cosmogonie transcende le pouvoir humain et le savoir surnaturel, mais les deux ne sont-ils pas les conséquences de «sa» cosmogonie. Très vite, le caractère de qui est humain apparaît dans le roman. Le clan enterre la vieille femme avec les égards dus aux détenteurs de secrets dans les suites des rites et des objets nécessaires à son voyage vers l’au-delà, à son passage vers le monde des morts où elle devra plaider la cause des vivants. Premier élément décisif, les hommes deviennent hommes en croyant à une autre vie, conférant à leurs morts respect et parfois vénération.
Etrange moment que cet enterrement par lequel on comprend combien la place de la mort, la place du mort, la place des morts désigne le centre de la vie. Le cimetière est physiquement en marge du village. Symboliquement, il est au entre de tous les cerveaux du clan Celle qui raconte l’histoire de la vieille était une toute jeune fille, une adolescente qui sent bien que ce jour porte pour elle des signes incompréhensibles et angoissants. La vieille savait que le clan connaîtrait des jours difficiles et jouerait sa survie. L’eau, l’eau si précieuse pour la vie manquait cruellement dans le lac voisin du village. Une grande sécheresse menaçait avec toutes les conséquences pour la survie des animaux et des hommes.
Ni le chef du clan ni le shaman n’avaient de solution. C’est au cours de cet abattement moral et de ces épreuves physiques que la jeune fille atteint son stade biologique de femme et qu’elle passe les épreuves de confirmation de son statut. On ne devient pas femme par le sang perdu mais par une initiation, un parcours, un changement mental dont la tribu s’occupe avec les rituels nécessaires à investir la jeune fille de l’idée de son nouveau statut.
Mais c’est aussi le moment au cour du quel la jeune fille va comprendre les sens cachés du message de la vieille femme, ceux qu’elle ne pouvait délivrer sans la peur de réveiller les démons qui ont hanté leur passé, le temps d’avant qu’ils deviennent hommes. Le temps justement dans lequel ils étaient hommes déjà mais auquel ils ne voudraient pas retourner car ils perdraient quelque chose de précieux, d’infiniment précieux. Dans la cosmogonie, l’oubli est aussi une protection, comme si les démons sommeillaient, sans plus.
La jeune fille l’apprendra à ses dépens. Très vite. La sécheresse, le désespoir, l’incompréhension devant la décision des dieux de les priver d’eau et donc de subsistance, la recherche effrénée d’une solution de conciliation de ces mêmes dieux leur fait franchir la barrière de l’oubli. Finalement, il n’était pas si loin le temps des sacrifices humains, vous en savez quelque chose depuis la décennie rouge. Le temps n’est jamais loin d’une chose si la mémoire le conserve même à l’état de trace.
Le livre de Saoudi nous mène aussi sur ces sentiers du sens du temps. La jeune fille sera offerte en sacrifice aux dieux en échange de leur mansuétude et du retour en grâce de la tribu. Nous sentons bien que le signe qui a poussé au choix de cette jeune fille est le même qui laissait croire qu’elle serait l’héritière, la continuatrice de la vieille femme.
Le même signe et des lectures contradictoires comme si les hommes devaient jouer leur survie par l’atout de leur vie tout court. Elle reviendra vivante de la grotte où elle fut déposée, se nourrissant de sa propre blessure après des jours de coma. Elle découvrira le clan revenu vers des temps anciens, plus lointains, plus terribles. Des temps inavouables. Affamés, des hommes du clan avaient mangé d’autres hommes.
Malgré la dégradation générale, le clan accueillit son retour comme le signe de sa stature extraordinaire se rendant compte de sa méprise. Il lui faudrait comme pour les prophètes d’autres épreuves pour pouvoir parler de la genèse du monde et des hommes. J’arrête là de parler de l’histoire pour vous en laisser tout le plaisir de la découverte. Je vous dis seulement que des survivants devront quitter des lieux, devenus maudits, pour en chercher d’autres plus cléments. Les personnages essentiels se réduisent au chef du clan, à son frère, le père de la jeune fille, à un jeune homme téméraire et toute la trame à la survie d’un groupe humain réduit dans les grandes solitudes d’un désert qu’on imagine être le Sud de l’Algérie.
Irrésistiblement, ce roman nous renvoie à une autre lecture, celle de la Guerre du feu, tenu pour un modèle du genre. Les deux écrits diffèrent non seulement dans la l’écriture mais dans la philosophie qui les sous-tend.
La guerre du feu commence par une tragédie terrible.
Un clan est dépossédé de son feu dans une attaque menée par un autre clan. Il lui faudra choisir parmi les siens celui qui mènera une équipe pour voler le feu à un autre clan.
Ce roman est celui d’une guerre entre les hommes, une guerre perpétuelle. Toute centrée sur le côté matériel de la conquête des outils qui permettrait de survivre face aux dangers de la nature. Le chasseur du feu est préféré à deux frères, présentés comme des brutes épaisses, violentes et plutôt demeurées. Il est difficile de ne pas voir dans ce livre la projection du monde moderne, c’est-à-dire le monde européen sur les temps de la préhistoire. Tout se déroule sous la logique de contradictions que ne pouvaient connaître des sociétés où la famille et la propriété privée n’existaient pas.
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