«Berriane était surnommée la petite Suisse de la région», nous rappelle Salah, la trentaine, installé à la terrasse d’un café populaire de la ville. Les tables sont rares et toutes les chaises occupées.
Deux cafés et un thé coûtent 40 DA. Malgré la présence de clients, le calme est surprenant, car ici on ne parle pas à haute voix, on chuchote.
Depuis le mois de mars dernier, la daïra vit au rythme des émeutes. Quarante mille habitants divisés par l’appartenance communautaire et la route nationale n°1 se surveillent, s’épient et se toisent. Sunnites ibadites et sunnites malékites, les deux appartenant à la même religion : l’islam. Ils se regardent en chiens de faïence. Beni Mzab et Arabes, algériens tout de même, se jaugent. «La rancœur a gagné les cœurs. La violence des affrontements a creusé un fossé entre les deux communautés», regrette le jeune Mohamed. Depuis le déclenchement des premières émeutes, le 19 mars 2008 et celles du 30 janvier dernier, 4 morts, des dizaines de blessés, plusieurs arrestations, des magasins et des habitations saccagés sont à déplorer. A travers toute la ville on sent comme une tension dans l’air. Une atmosphère électrique. Cette sensation est accentuée par la présence importante des forces de l’ordre, les rideaux de plusieurs commerces baissés et les traces des récents affrontements. Seule signe apaisant, le trafic routier. A voir le nombre de camions de gros tonnage en circulation, on comprend l’importance de la RN1.
Berriane était un havre de paix
«On vivait en parfaite harmonie. Les différences se diluaient devant la dynamique de la vie. Chacun acceptait les particularités de l’autre. Des familles arabes habitaient au milieu des mozabites et vice versa, sans se sentir menacées. Il y a même des frères de lait issus des deux communautés», se souvient El Hadj Mohamed, membre influent de la communauté arabe. Le cheikh qui dit avoir des amis intimes parmi les ibadites, reconnaît toutefois que des divergences ont, de tout temps, caractérisé les deux communautés. Qui sont les premiers habitants de la vallée du Mzab ? Qui sont les derniers arrivés ? Quels sont ceux qui sont favorisés par les autorités et qui sont les laissés-pour-compte ? Quelle communauté gère à son avantage les affaires de la localité et laquelle en est écartée ? Laquelle des deux communautés est la plus suspicieuse et la plus intransigeante ?
Toutes ces interrogations ont des relents existentiels, des caractéristiques qui incarnent toute société constituée de populations qui présentent des disparités, si infimes soient-elles. Mais le respect de l’autre et le bon sens ont, pendant des siècles, fait de ces différences une richesse qui a relégué toutes ces polémiques au rang de simples opinions sans conséquences fâcheuses. D’autant que, aussi bien du côté des Beni Mzab que des Arabes, les sociétés sont bien structurées. Les sages - «echouyoukh» - des deux bords, organisés en assemblées, décidaient du sort de leurs fidèles. Ces derniers leur vouaient un respect et une écoute sans faille. Les décisions étaient observées à la lettre.
Une évolution sociale déstabilisatrice
Ces dernières années, la vie a évolué dans la région. Le boom démographique, le brassage des communautés, avec l’arrivée d’autres populations du nord de l’Algérie, et le changement des mœurs dans la société ont fait que les cheikhs ont perdu le contrôle sur une bonne partie des jeunes générations. Toutefois, cela n’explique pas totalement les émeutes de Berriane. Et ce n’est point le niveau de vie des habitants ou le chômage qui créent la tension. «A Berriane, ne travaille pas que celui qui ne le veut pas. Ici, le travail est disponible.
Dernièrement, la Sonelgaz a ouvert grandement ses portes aux jeunes. Elle a embauché sans compter. Pour ce qui est du coût de la vie, entre autres, les prix des denrées alimentaires, c’est beaucoup moins cher ici qu’ailleurs», atteste Salah. Qu’est-ce qui pousse ces jeunes à cette haine de l’autre ?
«Les Beni Mzab [appellation usitée pour désigner les ibadites mais contestée par les Arabes, car elle renvoie à la primeur dans l’occupation de la région] ont une stratégie. Ils veulent chasser les malékites de Berriane. Les ibadites ont la mainmise sur l’administration locale et le commerce. Ils ne souffrent pas de concurrence et ne veulent pas se mélanger aux autres», tels sont les griefs formulés par un adolescent malékite à l’encontre des Beni Mzab. Un autre adolescent, côté ibadite, ne mâche pas ses mots. «Les Arabes de Berriane sont des provocateurs, des voleurs. Ils ne supportent pas le fait que nous soyons mieux organisés et structurés. Ils nous traitent de khaouaridj et de mécréants, nous raillent et nous provoquent sans cesse.» Chacun des adolescents, rencontrés séparément, assure que le fauteur de trouble c’est l’autre. «Ils sont toujours les premiers à recourir à la violence», affirment-ils sans se concerter, prouvant que la rumeur et la manipulation obscurcissent leurs esprits. A coup de «on-dit», de racontars, de tracts, de vidéos et d’images internet, on alimente la rivalité, creusant de plus en plus le fossé qui sépare les deux communautés. «Le début du malaise date des années 1990.
L’ouverture du champ politique et la présence en force du FIS dissous ont commencé à semer la discorde. En 1985, les émeutes entre Mozabites et Chaamba ont fait beaucoup de mal aux deux communautés», constate El Hadj Mohamed.
Le vieil homme accuse ouvertement des partis politiques d’être à l’origine des manipulations.
«Certaines personnes, impliquées dans des partis politiques et d’autres associations à caractère communautariste, récemment créées aux sein des ibadites, attisent le feu et veulent déstabiliser Berriane. Pour se renforcer, ils inculquent aux jeunes qu’ils sont haïs et opprimés.
Ils revendiquent même le statut de communauté minoritaire demandent des traitements spécifiques comme la séparation dans les établissements scolaires des élèves ibadites et malékites, l’intégration du rite ibadite dans le cursus scolaire et d’autres requêtes qui pourraient définitivement séparer les deux communautés», déplore notre interlocuteur. Un autre sage du côté ibadite dénonce les mêmes agissements, mais accuse d’autres parties. «Les salafistes ne sont pas étrangers à ces manipulations. Leur pouvoir de nuisance est grand. Même les partis politiques traditionnels jouent sur cette pomme de discorde pour attirer le plus de sympathisants. Ils profitent de la situation pour conforter leurs listes en vue des prochaines élections», dira cheikh Abdellah.
Deux cafés et un thé coûtent 40 DA. Malgré la présence de clients, le calme est surprenant, car ici on ne parle pas à haute voix, on chuchote.
Depuis le mois de mars dernier, la daïra vit au rythme des émeutes. Quarante mille habitants divisés par l’appartenance communautaire et la route nationale n°1 se surveillent, s’épient et se toisent. Sunnites ibadites et sunnites malékites, les deux appartenant à la même religion : l’islam. Ils se regardent en chiens de faïence. Beni Mzab et Arabes, algériens tout de même, se jaugent. «La rancœur a gagné les cœurs. La violence des affrontements a creusé un fossé entre les deux communautés», regrette le jeune Mohamed. Depuis le déclenchement des premières émeutes, le 19 mars 2008 et celles du 30 janvier dernier, 4 morts, des dizaines de blessés, plusieurs arrestations, des magasins et des habitations saccagés sont à déplorer. A travers toute la ville on sent comme une tension dans l’air. Une atmosphère électrique. Cette sensation est accentuée par la présence importante des forces de l’ordre, les rideaux de plusieurs commerces baissés et les traces des récents affrontements. Seule signe apaisant, le trafic routier. A voir le nombre de camions de gros tonnage en circulation, on comprend l’importance de la RN1.
Berriane était un havre de paix
«On vivait en parfaite harmonie. Les différences se diluaient devant la dynamique de la vie. Chacun acceptait les particularités de l’autre. Des familles arabes habitaient au milieu des mozabites et vice versa, sans se sentir menacées. Il y a même des frères de lait issus des deux communautés», se souvient El Hadj Mohamed, membre influent de la communauté arabe. Le cheikh qui dit avoir des amis intimes parmi les ibadites, reconnaît toutefois que des divergences ont, de tout temps, caractérisé les deux communautés. Qui sont les premiers habitants de la vallée du Mzab ? Qui sont les derniers arrivés ? Quels sont ceux qui sont favorisés par les autorités et qui sont les laissés-pour-compte ? Quelle communauté gère à son avantage les affaires de la localité et laquelle en est écartée ? Laquelle des deux communautés est la plus suspicieuse et la plus intransigeante ?
Toutes ces interrogations ont des relents existentiels, des caractéristiques qui incarnent toute société constituée de populations qui présentent des disparités, si infimes soient-elles. Mais le respect de l’autre et le bon sens ont, pendant des siècles, fait de ces différences une richesse qui a relégué toutes ces polémiques au rang de simples opinions sans conséquences fâcheuses. D’autant que, aussi bien du côté des Beni Mzab que des Arabes, les sociétés sont bien structurées. Les sages - «echouyoukh» - des deux bords, organisés en assemblées, décidaient du sort de leurs fidèles. Ces derniers leur vouaient un respect et une écoute sans faille. Les décisions étaient observées à la lettre.
Une évolution sociale déstabilisatrice
Ces dernières années, la vie a évolué dans la région. Le boom démographique, le brassage des communautés, avec l’arrivée d’autres populations du nord de l’Algérie, et le changement des mœurs dans la société ont fait que les cheikhs ont perdu le contrôle sur une bonne partie des jeunes générations. Toutefois, cela n’explique pas totalement les émeutes de Berriane. Et ce n’est point le niveau de vie des habitants ou le chômage qui créent la tension. «A Berriane, ne travaille pas que celui qui ne le veut pas. Ici, le travail est disponible.
Dernièrement, la Sonelgaz a ouvert grandement ses portes aux jeunes. Elle a embauché sans compter. Pour ce qui est du coût de la vie, entre autres, les prix des denrées alimentaires, c’est beaucoup moins cher ici qu’ailleurs», atteste Salah. Qu’est-ce qui pousse ces jeunes à cette haine de l’autre ?
«Les Beni Mzab [appellation usitée pour désigner les ibadites mais contestée par les Arabes, car elle renvoie à la primeur dans l’occupation de la région] ont une stratégie. Ils veulent chasser les malékites de Berriane. Les ibadites ont la mainmise sur l’administration locale et le commerce. Ils ne souffrent pas de concurrence et ne veulent pas se mélanger aux autres», tels sont les griefs formulés par un adolescent malékite à l’encontre des Beni Mzab. Un autre adolescent, côté ibadite, ne mâche pas ses mots. «Les Arabes de Berriane sont des provocateurs, des voleurs. Ils ne supportent pas le fait que nous soyons mieux organisés et structurés. Ils nous traitent de khaouaridj et de mécréants, nous raillent et nous provoquent sans cesse.» Chacun des adolescents, rencontrés séparément, assure que le fauteur de trouble c’est l’autre. «Ils sont toujours les premiers à recourir à la violence», affirment-ils sans se concerter, prouvant que la rumeur et la manipulation obscurcissent leurs esprits. A coup de «on-dit», de racontars, de tracts, de vidéos et d’images internet, on alimente la rivalité, creusant de plus en plus le fossé qui sépare les deux communautés. «Le début du malaise date des années 1990.
L’ouverture du champ politique et la présence en force du FIS dissous ont commencé à semer la discorde. En 1985, les émeutes entre Mozabites et Chaamba ont fait beaucoup de mal aux deux communautés», constate El Hadj Mohamed.
Le vieil homme accuse ouvertement des partis politiques d’être à l’origine des manipulations.
«Certaines personnes, impliquées dans des partis politiques et d’autres associations à caractère communautariste, récemment créées aux sein des ibadites, attisent le feu et veulent déstabiliser Berriane. Pour se renforcer, ils inculquent aux jeunes qu’ils sont haïs et opprimés.
Ils revendiquent même le statut de communauté minoritaire demandent des traitements spécifiques comme la séparation dans les établissements scolaires des élèves ibadites et malékites, l’intégration du rite ibadite dans le cursus scolaire et d’autres requêtes qui pourraient définitivement séparer les deux communautés», déplore notre interlocuteur. Un autre sage du côté ibadite dénonce les mêmes agissements, mais accuse d’autres parties. «Les salafistes ne sont pas étrangers à ces manipulations. Leur pouvoir de nuisance est grand. Même les partis politiques traditionnels jouent sur cette pomme de discorde pour attirer le plus de sympathisants. Ils profitent de la situation pour conforter leurs listes en vue des prochaines élections», dira cheikh Abdellah.
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