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L'industrie houillère en crise dans l'Oural

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  • L'industrie houillère en crise dans l'Oural

    Au-dessus de la deuxième plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde, à Korkino, dans l'Oural, on n'entend que le vent glacial souffler. Un silence rarement interrompu par un bruit sourd, en bas, à plus de 600 mètres de profondeur, où l'extraction du charbon se poursuit tant bien que mal. Dans cette région houillère du coeur de la Russie, l'industrie était déjà mise à mal depuis quelques années : le gaz a remplacé le charbon pour alimenter les centrales électriques, tandis que la houille est d'une qualité de plus en plus médiocre.

    Avec la crise économique actuelle, l'industrie du charbon subit un nouveau choc, dont elle pourrait ne pas se remettre. Depuis décembre 2008, des milliers de mineurs ne sont plus payés, et la fermeture pure et simple des mines est désormais évoquée.

    Une catastrophe pour des villes qui ne connaissent aucune autre industrie que celle du charbon.

    "Avant, ça grouillait en permanence ici", se rappelle Viktor Belov, ancien mineur à Korkino, en pointant l'énorme gouffre de trois kilomètres de circonférence. Aujourd'hui, rares sont les wagonnets qui circulent sur les petits rails qui ceignent la "Tasse", comme on appelle ici ce cratère monstrueux. De la crête, on voit bien quelques machines au fond, rendues minuscules par la distance, mais l'activité est minimale.

    Pourtant, la ville de Korkino n'existe que pour la Tasse. Lorsque l'extraction houillère a débuté, dans les années 1930, ce n'était qu'un hameau. Aujourd'hui, c'est une ville de 60 000 habitants qui encercle la Tasse, tandis qu'une seconde mine, souterraine, a été creusée à proximité. Située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale régionale, Tcheliabinsk, la ville de Korkino constitue, avec les municipalités de Kopeïsk et d'Emangelinsk, l'un des trois sites d'extraction de la Compagnie houillère de Tcheliabinsk (TchOuK).

    "Il y a quelques années, il y avait 3 500 mineurs à la Tasse", rappelle Oleg Kirtch, conseiller municipal à Korkino. "Désormais, ils ne sont que 1200, et encore, avec parfois des semaines de travail de deux jours à peine. Que va devenir cette ville ? Il n'y a rien d'autre que la mine. Et comment les mineurs pourraient-ils se reconvertir, avec un niveau d'éducation très faible, et alors qu'ils sont majoritairement âgés de plus de 40 ans ? Il n'y a aucun projet pour cette ville, aucun plan anticrise. L'Etat nous a oubliés."

    Les salaires ont eux aussi été oubliés. En décembre, les mineurs de Korkino n'ont reçu qu'une infime partie de leur dû, et depuis, plus rien. Fin janvier, un petit groupe a improvisé une grève sans le soutien du syndicat officiel, inféodé à la direction de TchOuK.

    "Tous les employés de la mine ont suivi le mouvement, sans exception", affirme Liouba, une mineur de 34 ans qui a organisé l'arrêt de travail. "Mon salaire habituel est de 11 000 roubles (242 euros), mais je n'ai reçu que 3 000 roubles en décembre. Pour le moment, on vit avec les légumes marinés du jardin de l'été dernier ; j'ai cessé de manger de la viande, je la laisse aux enfants." Les mineurs ont repris le travail après trois jours de grève, suite à la promesse de la direction de payer les arriérés avant le 15 février. Mais aujourd'hui, rien n'a encore été versé.

    Au siège de l'entreprise TchOuK, à Tcheliabinsk, Konstantin Stroukov joue nerveusement avec son stylo. "Nos 6000 employés sont payés en temps et en heure, il n'y a pas eu de licenciements, nous n'avons pas peur de la crise", assure le président du conseil de direction et actionnaire principal de l'entreprise. Les explications seront brèves. A l'évocation des arriérés de salaires et du témoignage de ses employés, il mettra brutalement fin à l'entretien : "Vous n'avez pas de crise en France ? Pourquoi venir remuer la boue ici, restez chez vous !"

    Une nervosité qui traduit l'ampleur des problèmes de l'industrie. Les petites centrales électriques au charbon, qui constituaient les principaux clients, sont désormais délaissées au profit des centrales au gaz, moins chères.

    Pire encore, après des années d'extraction, le charbon restant serait de qualité médiocre : certaines centrales électriques de la région ont ainsi préféré acheter leur matière première au Kazakhstan voisin, meilleur marché et de meilleure qualité.

    Résultat : l'entreprise, qui extrayait jusqu'à 40 millions de tonnes de charbon par an, n'en a produit que 2,3 millions en 2008. "La fermeture des mines dans les prochains mois est une réelle possibilité", craint Marina Morozova, journaliste à Korkino. La crise économique, en éteignant la demande, pourrait porter un coup fatal à une industrie déjà moribonde. "A l'heure actuelle, la mine n'est plus rentable, explique Marina Morozova. Du coup, non seulement le travail se fait plus rare, mais la direction prend davantage de risques par souci d'économie, au détriment de la sécurité des travailleurs. Lorsque de petits incendies se déclenchent à l'intérieur de la mine, on les éteint sans évacuer les mineurs qui y travaillent. Auparavant, ç'aurait été impensable !"

    A Kopeïsk, autre lieu d'extraction du charbon de TchOuK, la situation n'est pas meilleure. Dans cette "monogorod", ville à industrie unique, les mines commencent à être épuisées. L'un des trois sites d'extraction a déjà été fermé, tandis que les deux autres fonctionnent au ralenti. Chaque jour, les corridors de l'agence pour l'emploi sont assaillis par des centaines de travailleurs "remerciés", venus s'inscrire pour toucher des indemnités parfois inférieures à 1 000 roubles (22 euros).

    En ce petit matin de février, la directrice de l'agence, Svetlana Bouldachova, se fraie péniblement un chemin dans la foule pour pénétrer dans un local plein à craquer, afin d'expliquer aux chômeurs leurs droits. "Et ce n'est qu'un début, glisse-t-elle entre deux présentations. Dans les mines de Kopeïsk, les grandes vagues de licenciements devraient avoir lieu en avril ou en mai..."

    Quel avenir pour les "monogorod" de l'Oural ? En l'absence totale de diversification économique, aucune alternative à l'industrie houillère n'est prévue dans ces grands bourgs de dizaines de milliers d'habitants. "Les seules offres d'emploi à Kopeïsk proposent des boulots de gardien de sécurité à l'entrée des petits commerces", sourit amèrement Vitali, un chômeur d'une quarantaine d'années. "Dans quelques années, il n'y aura plus que des portiers ici... Mais pour surveiller quoi ?"

    Une énergie historique en perte de vitesse

    Production. 321 millions de tonnes de charbon par an (5e rang mondial).

    Réserves.
    173 milliards de tonnes, ce qui classe le pays deuxième, derrière les Etats-Unis.

    Industrie. La Russie dénombre 240 mines, à ciel ouvert ou souterraines. Le secteur houiller emploie encore 300 000 personnes.

    Troisième énergie. Le charbon constitue 16 % des sources d'énergie primaires en Russie, juste derrière le pétrole, qui compte pour 19 %, et le gaz naturel pour 54 %.

    Ressources mondiales restantes. Selon les analystes, le pays posséderait 17 % du charbon, mais de moindre qualité.

    Par le Monde
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