La scène se passe de tout commentaire. Alors que le chauffeur du bus s'apprête à s'arrêter dans un arrêt, une affaire de quelques secondes, plusieurs usagers commencent à hurler et le somment à reprendre la route, sous prétexte que le bus est déjà plein.
Malgré qu'il sait que le bus n'est pas tout à fait en surcharge, le conducteur a failli obéir aux revendications, pour le moins égoïstes, des passagers, afin d'éviter une éventuelle prise de bec. Une action qui résume bel et bien la démission des citoyens des bonnes manières et des comportements civiques louables. Des comportements qui cèdent, chaque jour davantage, la place au triste adage «Après moi le déluge» qui commence à prendre la forme d'un fléau social.
Case de départ
Une dizaine de personnes, sur les dents, s'agitent à la vue du bus. Driss est bien déterminé à le prendre pour ne pas arriver en retard et ainsi échapper aux regards accusateurs de son patron. Il arrive à peine à se frayer un chemin et trouver une minuscule place, collé aux autres passagers. Plongé dans ce milieu depuis ses années de faculté, Driss affirme que la délinquance et les incivilités prennent des proportions alarmantes dans les transports en commun. «Je ne prends jamais le bus quand je suis en compagnie de ma femme à cause des agressions verbales et les ordres mal placés des chauffeurs, des receveurs et aussi des autres usagers», s'insurge-t-il. De son côté, Tawfik fustige : «Dans un langage très bas, je reçois à pleine figure des ordres des autres passagers qui me demandent d'avancer, de reculer ou de prendre un taxi quand je montre un peu de dégout. «C'est vrai qu'avec beaucoup de gens entassés comme des sardines, les esprits chauffent, mais cela ne justifie pas la montée fulgurante des incivilités ou autres accrochages qui dégénèrent et se transforment en bagarres très violentes», s'indigne-t-il.
Attitude générale
Les incivilités ne sont pas seulement l'apanage des «petites gens». Rasées de près, bien vêtues et à l'apparence «nickel», certaines personnes, censées «donner l'exemple», semblent également atteintes du syndrome des grossièretés. «C'est presque dramatique de voir des personnes instruites qui se comportent en individus dépourvus de civisme, qui ne crachent que des paroles désagréables et dont le comportement est digne de clochards», s'indignent plusieurs citoyens. Dans une agence bancaire, une jeune commerciale n'a pas apprécié le comportement incivil de son supérieur jugé très osé et pas digne d'un directeur adjoint, s'est résignée à ne jamais mettre les pieds dans son agence.
Mais avant de claquer la porte, elle a bien dénoncé à haute voix et devant tous ses collègues les agissements malintentionnés du directeur. Pire encore, une scène qui s'est déroulée à l'Université Bouchaib Doukkali à El Jadida : un professeur a été en désaccord avec sa collègue lors d'une réunion du conseil des études.
Cette dernière n'a pas trouvé mieux que de le traiter de tous les noms... Des insultes face auxquelles notre professeur est resté bouche bée. Croyant que les choses vont s'arrêter à ce niveau, ce dernier est tranquillement rentré chez lui.
Au soir même, une sonnerie à l'interphone l'a ‘'arraché'' de son bureau.
Quand il a ouvert la porte, trois hommes, dont les visages sont cagoulés, lui ont asséné des coups de bâton pour le laisser entre la vie et la mort. Cette correction lui a été infligée par le mari de sa collègue, qui malgré sa profession d'avocat, a choisi de se comporter comme un malfrat. «C'est la loi de la jungle !», souligne la femme de la victime, elle aussi professeur. «Les incivilités sont devenues un produit véhiculé par l'ensemble de la société. C'est bien malheureusement le constat général. Partout règnent les incivilités qui sont souvent les points de départ d'un agissement criminel qui rendent la vie insupportable et perturbent la paix sociale», affirme un chercheur en sociologie. «La dégradation des mœurs et la désintégration familiale sont de plus en plus fréquentes. Une combinaison d'incivilité et de perte des valeurs de solidarité et de respect, avec une montée de la misogynie et des agressions verbales et physiques. Tel est malheureusement le lot quotidien des Marocains», ajoute le sociologue.
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Banalisation
L'usage du terme ‘'incivilité'' s'est considérablement transformé. Il ne signifie plus seulement discourtoisie, mais, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il est devenu synonyme de désordre, de nuisance, d'inconduite, d'incivisme, d'impolitesse, d'insolence, de petite délinquance. Il signifie également toutes les atteintes, plus ou moins claires, plus ou moins violentes, plus ou moins délibérées, aux biens et aux personnes.
Facteurs de détérioration de la vie sociale, pouvant éventuellement constituer les bases du développement de la violence et de la délinquance, les incivilités sont devenues les préoccupations premières des chercheurs et ont provoqué des études critiques qui mettent à l'index les politiques d'éducation et de sécurité. Les incivilités sont, en réalité, la cause principale de l'insécurité des sociétés. Elles sont hélas fréquentes, mais ce qui est plus grave pour une société, c'est leur banalisation. Les codes sont tellement inversés que la ‘'loi de mal éduquer'' règne en maître incontesté.
Par Abderrahim Bourkia | LE MATIN MAROC
Malgré qu'il sait que le bus n'est pas tout à fait en surcharge, le conducteur a failli obéir aux revendications, pour le moins égoïstes, des passagers, afin d'éviter une éventuelle prise de bec. Une action qui résume bel et bien la démission des citoyens des bonnes manières et des comportements civiques louables. Des comportements qui cèdent, chaque jour davantage, la place au triste adage «Après moi le déluge» qui commence à prendre la forme d'un fléau social.
Case de départ
Une dizaine de personnes, sur les dents, s'agitent à la vue du bus. Driss est bien déterminé à le prendre pour ne pas arriver en retard et ainsi échapper aux regards accusateurs de son patron. Il arrive à peine à se frayer un chemin et trouver une minuscule place, collé aux autres passagers. Plongé dans ce milieu depuis ses années de faculté, Driss affirme que la délinquance et les incivilités prennent des proportions alarmantes dans les transports en commun. «Je ne prends jamais le bus quand je suis en compagnie de ma femme à cause des agressions verbales et les ordres mal placés des chauffeurs, des receveurs et aussi des autres usagers», s'insurge-t-il. De son côté, Tawfik fustige : «Dans un langage très bas, je reçois à pleine figure des ordres des autres passagers qui me demandent d'avancer, de reculer ou de prendre un taxi quand je montre un peu de dégout. «C'est vrai qu'avec beaucoup de gens entassés comme des sardines, les esprits chauffent, mais cela ne justifie pas la montée fulgurante des incivilités ou autres accrochages qui dégénèrent et se transforment en bagarres très violentes», s'indigne-t-il.
Attitude générale
Les incivilités ne sont pas seulement l'apanage des «petites gens». Rasées de près, bien vêtues et à l'apparence «nickel», certaines personnes, censées «donner l'exemple», semblent également atteintes du syndrome des grossièretés. «C'est presque dramatique de voir des personnes instruites qui se comportent en individus dépourvus de civisme, qui ne crachent que des paroles désagréables et dont le comportement est digne de clochards», s'indignent plusieurs citoyens. Dans une agence bancaire, une jeune commerciale n'a pas apprécié le comportement incivil de son supérieur jugé très osé et pas digne d'un directeur adjoint, s'est résignée à ne jamais mettre les pieds dans son agence.
Mais avant de claquer la porte, elle a bien dénoncé à haute voix et devant tous ses collègues les agissements malintentionnés du directeur. Pire encore, une scène qui s'est déroulée à l'Université Bouchaib Doukkali à El Jadida : un professeur a été en désaccord avec sa collègue lors d'une réunion du conseil des études.
Cette dernière n'a pas trouvé mieux que de le traiter de tous les noms... Des insultes face auxquelles notre professeur est resté bouche bée. Croyant que les choses vont s'arrêter à ce niveau, ce dernier est tranquillement rentré chez lui.
Au soir même, une sonnerie à l'interphone l'a ‘'arraché'' de son bureau.
Quand il a ouvert la porte, trois hommes, dont les visages sont cagoulés, lui ont asséné des coups de bâton pour le laisser entre la vie et la mort. Cette correction lui a été infligée par le mari de sa collègue, qui malgré sa profession d'avocat, a choisi de se comporter comme un malfrat. «C'est la loi de la jungle !», souligne la femme de la victime, elle aussi professeur. «Les incivilités sont devenues un produit véhiculé par l'ensemble de la société. C'est bien malheureusement le constat général. Partout règnent les incivilités qui sont souvent les points de départ d'un agissement criminel qui rendent la vie insupportable et perturbent la paix sociale», affirme un chercheur en sociologie. «La dégradation des mœurs et la désintégration familiale sont de plus en plus fréquentes. Une combinaison d'incivilité et de perte des valeurs de solidarité et de respect, avec une montée de la misogynie et des agressions verbales et physiques. Tel est malheureusement le lot quotidien des Marocains», ajoute le sociologue.
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Banalisation
L'usage du terme ‘'incivilité'' s'est considérablement transformé. Il ne signifie plus seulement discourtoisie, mais, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il est devenu synonyme de désordre, de nuisance, d'inconduite, d'incivisme, d'impolitesse, d'insolence, de petite délinquance. Il signifie également toutes les atteintes, plus ou moins claires, plus ou moins violentes, plus ou moins délibérées, aux biens et aux personnes.
Facteurs de détérioration de la vie sociale, pouvant éventuellement constituer les bases du développement de la violence et de la délinquance, les incivilités sont devenues les préoccupations premières des chercheurs et ont provoqué des études critiques qui mettent à l'index les politiques d'éducation et de sécurité. Les incivilités sont, en réalité, la cause principale de l'insécurité des sociétés. Elles sont hélas fréquentes, mais ce qui est plus grave pour une société, c'est leur banalisation. Les codes sont tellement inversés que la ‘'loi de mal éduquer'' règne en maître incontesté.
Par Abderrahim Bourkia | LE MATIN MAROC
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