Propos recueillis par Nina Hubinet
Ayman Nour. “L’Egypte n’est pas en voie de démocratisation”Le principal opposant laïc à Hosni Moubarak, condamné à 4 ans de prison pour falsification de documents nécessaires à la création de son parti, a été libéré fin février. TelQuel l’a rencontré chez lui, au Caire, prêt à reprendre le combat.
Vous dites avoir été surpris par votre libération, le 18 février, officiellement pour raisons médicales. Comment s’est-elle déroulée ?
C’était l’après-midi. A 14h20, un garde m’a dit : “Vous avez un visiteur
De nombreux analystes y voient un geste du régime égyptien pour s’attirer les faveurs de la nouvelle administration américaine. Qu’en pensez-vous ?
Les Etats-Unis réclamaient ma libération depuis longtemps, sans succès. Je pense que plusieurs raisons ont poussé à ce que je sois libéré maintenant : l’élection d’un nouveau président américain en est une, comme la guerre de Gaza et les tensions qu’elle a suscitées en Egypte. Le gouvernement a peut-être voulu détourner l’attention en me libérant. Tout cela va s’éclaircir peu à peu.
Votre libération peut-elle être perçue comme une démonstration de force du régime, qui montre qu’il est assez solide pour relâcher des opposants ?
Non, je ne pense pas. J’ai été libéré, mais le gouvernement fait tout pour m’empêcher d’exercer à nouveau mes droits politiques (Ayman Nour est inéligible tant qu’il n’a pas été gracié par Hosni Moubarak, ndlr). Le régime a toujours très peur de l’opposition.
Les autres détenus politiques, moins connus, ne risquent-ils pas d’être oubliés ?
Obtenir leur libération est pour moi une priorité. Tant qu’ils seront emprisonnés, je ne me considérerai pas comme un homme libre.
L’année dernière, vous avez déclaré que le régime voulait votre mort physique en prison, après vous avoir assassiné politiquement. Pourquoi ?
J’ai dû adresser plusieurs plaintes au ministère de l’Intérieur pour être correctement nourri et obtenir des médicaments car je suis diabétique. J’étais souvent menotté douze heures par jour. Le 12 mai 2007, on m’a emmené dans un lieu inconnu, hors de la prison, et des officiers m’ont battu pendant plusieurs heures. J’ai gardé les traces des coups durant des semaines et j’ai subi plusieurs fois de telles séances. Je n’avais pas le droit de faire la prière avec les autres détenus, ni de recevoir ou d’envoyer du courrier. Pour faire passer des articles à l’extérieur, j’écrivais sur du papier à cigarettes, que certains gardiens m’aidaient ensuite à faire sortir de la prison.
Votre parti, El Ghad, a été très affaibli pendant votre détention. Quelle est votre stratégie pour le reconstruire ?
En 2005, nous avions plus de 300 000 membres, alors que seuls 89 jours séparaient la création du parti et mon arrestation. Aujourd’hui, nous n’avons plus que quelques centaines de membres. Mais nous allons parcourir le pays pour aller à la rencontre des Egyptiens. Lors d’un meeting à Alexandrie la semaine dernière, nous avons eu plus de 1000 demandes d’adhésion, émanant principalement de jeunes.
Comptez-vous faire appel à des hommes d’affaires égyptiens pour financer votre parti ?
Les hommes d’affaires égyptiens ne me donneront pas un sou : ils n’osent pas s’opposer au régime. Nous essayons de convaincre des gens qui ont un peu d’argent de nous aider. Avant mon arrestation, je donnais presque tout ce que je gagnais comme avocat au parti. Un juriste mandaté par le Pouvoir essaie en ce moment de me faire rayer du syndicat des avocats et du syndicat de la presse, pour que je ne puisse plus travailler.
Qu’est-ce qui différencie El Ghad des autres partis de l’opposition ?
El Ghad est un parti laïc et libéral. C’est le parti d’une génération, de la jeunesse. Il n’est pas uniquement composé de bureaucrates, comme la plupart des partis égyptiens, mais a une vraie base populaire. Nous sommes patients et déterminés. Comme on dit en français, “la vengeance est un plat qui se mange froid”.
Votre parti peut-il devenir aussi populaire que les Frères musulmans ?
Les Frères musulmans utilisent la religion pour rassembler les gens et séduire les Egyptiens qui sont en colère. Nous avons d’autres outils et nous pouvons aussi attirer ces gens-là. Mais, pour l’instant, nous ne sommes pas en compétition avec les Frères musulmans : comme eux, nous nous battons contre ce régime, qui est mauvais pour tout le monde.
Que pensez-vous de la politique égyptienne dans le conflit israélo-palestinien ?
Ce sont des discours creux. L’Egypte défend ses intérêts plus que ceux des Palestiniens. Elle fait tout pour contrer le Hamas, parce qu’il est lié aux Frères musulmans. Le gouvernement égyptien essaie toujours de remettre Mahmoud Abbas en selle, alors qu’il n’a plus aucun crédit auprès de la population. On devrait plutôt essayer de faire libérer Marwan Barghouti (dirigeant du Fatah détenu en Israël depuis 2002, ndlr), qui est toujours très populaire.
Vous avez déclaré que Mohamed El Baradeï, directeur de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), ou Hisham Bastawisi, président de la Cour de cassation, seraient de bons candidats à la présidentielle de 2011. Cela signifie que vous ne serez pas candidat ?
Pas du tout. Je les citais simplement à titre d’exemples. J’espère reconquérir mes droits politiques et pouvoir me présenter à la prochaine élection présidentielle. Et si je ne suis pas éligible, El Ghad présentera un autre candidat.
Si Gamal Moubarak, le fils du raïs, arrive malgré tout au pouvoir, pensez-vous qu’il œuvrera dans le sens d’une ouverture démocratique ?
Bien qu’il appartienne à la jeune génération, a l’esprit plus ouvert, Gamal Moubarak ne s’est jamais positionné clairement en faveur d’une démocratisation en Egypte. Pour l’instant, je ne vois pas beaucoup de signes qui poussent dans le sens d’une ouverture.
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