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Comment doit-on étudier la politique ?

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  • Comment doit-on étudier la politique ?

    Comment étudier la politique aujourd'hui ? Comment traiter des phénomènes électoraux et politiques ? La question taraude les milieux de la recherche française depuis plus dix ans : faut-il perpétuer une analyse classique des résultats électoraux et de la vie des partis politiques alors que la désaffection citoyenne les frappe durement ? Ou doit-on passer à une conception plus large des mécanismes de politisation par un croisement des données électorales, de leurs bases sociologiques ?

    Le débat secoue le Centre de recherche politique de Sciences Po (Cevipof) depuis plusieurs mois. Il s'est mué en crise avec le départ imminent de quatorze chercheurs, soit 40 % de l'effectif statutaire, parmi lesquels la spécialiste du Front national, Nonna Mayer, ou celui du PS, Gérard Grunberg.

    Deux camps s'opposent depuis la reconduction du directeur du Cevipof, Pascal Perrineau, en décembre 2008. Au coeur de cet affrontement, le profil à donner au centre de recherche. Les premiers, emmenés par le directeur, souhaitent recentrer les travaux des équipes sur le quantitatif, les résultats des élections et leurs commentaires ; les seconds veulent élargir le champ de recherche du centre aux variables explicatives du vote. Ils insistent sur la prise en compte des histoires familiales, de l'ancrage social par le biais notamment d'enquêtes qualitatives. Ils entendent faire la part belle à de nouvelles approches et étudier l'influence des politiques menées sur le comportement politique des électeurs.

    La discussion intellectuelle - faut-il s'intéresser aux élections ou aux électeurs ? - n'est pas nouvelle. Elle a longtemps déchiré les universités américaines et britanniques entre les partisans d'un "béhaviorisme" favorables aux grandes enquêtes et aux sondages pour comprendre le comportement politique des individus et les tenants d'une approche de géographie politique à travers les seuls résultats des élections. L'école française de sciences politiques avait fini par combiner les deux mais le statu quo n'a pas tenu.

    La crise au Cevipof n'est pas qu'anecdotique. Ce centre a profondément marqué la science politique en France et ses travaux sont scrupuleusement suivis par sondeurs, médias et politiques. Le sigle du Centre d'étude de la vie politique française s'est fait connaître dans les années 1970-1980 pour les travaux de Guy Michelat, qui a lancé les sondages sur le vote ouvrier, ou ceux d'Annick Percheron sur la socialisation politique. Puis ses chroniques électorales en font un centre de ressources précieux avec les premières analyses expliquant un vote à droite dans une société de gauche ou encore la sociologie électorale du Front national.

    Entre-temps, la crise du politique, avec son cortège d'abstentions, de votes par défaut, de personnels politiques accusés d'être coupés des réalités sociales et de mouvements de politisation en dehors des partis traditionnels, a brouillé les repères. Et les sciences politiques ont dû s'ouvrir à d'autres manifestations et phénomènes politiques. Le Cevipof l'a tenté à sa façon, en recrutant des chercheurs spécialistes des politiques publiques sans parvenir à intégrer leur regard nouveau.

    Le débat latent a rebondi voici deux mois, donnant un écho aux interrogations de toute une profession, mais aussi au-delà à tous ceux qui s'intéressent à la politique.

    Y a-t-il une autonomie réelle du politique, objet en soi de recherche ? Oui répond M. Perrineau : "Il est important d'étudier ce qu'il y a de purement politique, et c'est le rôle du Cevipof de se recentrer sur l'analyse des grands courants d'idées qui structurent la pensée politique française et les modalités démocratiques de représentation que sont le vote, les partis et les institutions représentatives", assure le directeur du centre en stigmatisant la tendance passée au "sociologisme" et ses "variables lourdes". "Nous devons perpétuer la tradition française d'analyse en fonction du contexte géographique et de données réelles."

    "SORTIR DE LA POLITIQUE À PAPA"

    "On vote sur des enjeux politiques et pour des candidats aussi en fonction de son histoire familiale, de la manière dont on a été politisé. Les Américains appellent cela l'entonnoir politique et c'est fondamental de l'étudier pour comprendre les comportements politiques. Cela, les seuls résultats électoraux ne nous le disent pas", explique Mme Mayer, qui ajoute : "On n'est pas là pour faire du sondage Sofres bis." "Les résultats électoraux ne résument pas la vie politique française. Il faut analyser ce qui se passe à côté, comme les transformations économiques et sociétales, pour savoir en quoi cela influence le vote", renchérit Patrick Le Galès, politiste spécialiste des politiques urbaines.

    L'urgence serait de "sortir de la politique à papa", résume l'ensemble des partants. Faux débat, rétorque Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques, le Cevipof doit continuer comme il a toujours travaillé. "La réflexion politique ne s'est pas fondamentalement modifiée", justifie-t-il. Au final, la divergence demeure totale. "Le rapport entre les réformes, l'évolution du système politique et la lutte pour le pouvoir demeure un impensé", résume Renaud Dehousse, directeur du Centre d'études européennes de Sciences Po, qui doit accueillir les partants.

    Par Le Monde
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