Le "procès" de Saddam Hussein a débuté avec Doujail, le récit de ses massacres son martyre. Saddam était un dictateur et ce n'est pas parce que les locataires qui ont envahis le pays ne se conduisent pas mieux que lui qu'il faut occulter les massacres perpétrés sous son règne et en lisant ces horreurs, comment ne pas désirer que ce pays retrouve une vie normale.
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(...) pour les habitants de Doujail, la tragédie de 1982 reste un parfait exemple des horreurs systématiquement commises par Saddam pendant les années qui suivirent : les assassinats en masse d'opposants chiites et kurdes, les déportations de familles, le saccage de certaines régions, comme l'***èchement des marais du Sud irakien dix ans plus tard.
«Doujail était un petit morceau de paradis», se souvient Jawad Saad al-Moussaoui, un ancien agriculteur. «Dans le reste de l'Irak, tout le monde jalousait la fertilité de ses vergers, ses palmiers, ses orangers parfumés. Aujourd'hui, il ne reste plus rien», confie cet homme aux cheveux gris en pointant du doigt un vaste champ en friche. C'est de cet ancien verger, dit-il, le long de l'avenue principale, que la vingtaine de Mercedes du convoi de Saddam fut visée par des snippers, le 8 juillet 1982, à la mi-journée. «Ça s'est mis à tirer de partout», raconte Moussaoui. Plusieurs membres de l'entourage du raïs, y compris son photographe personnel, moururent dans l'attaque. La rumeur raconte que le dictateur aurait alors quitté la ville en se cachant dans une ambulance. Quant aux tireurs, ils disparurent vite à travers le labyrinthe des palmiers.
Quelques heures plus tard, une chape de plomb s'abattait sur Doujail. «Vers cinq heures de l'après-midi, la ville s'est retrouvée envahie par les «mokhaberat», les services de renseignements. Ils bloquèrent Doujail en établissant un cordon sur un périmètre de 5 kilomètres. Des hélicoptères entamèrent des rondes dans le ciel», souligne Moussaoui. La police secrète se mit à faire du porte-à-porte en arrêtant toute personne suspectée d'appartenir au parti chiite d'opposition Al Dawa et d'embrasser l'idéologie de l'ennemi voisin, l'ayatollah Khomeyni, leader de la révolution islamique iranienne, à qui Saddam avait déclaré la guerre deux ans plus tôt.
La maison d'Iman Sen Araji fut une des premières visées. «Nous faisions la sieste sur le toit quand des hommes armés enfoncèrent la porte d'entrée. Ils attrapèrent violemment mon mari. Je n'ai pas osé leur poser de question. J'étais pétrifiée», se remémore-t-elle. La quarantaine, Abbas Hossein, son époux, enseignait le droit islamique et portait le turban : un parfait suspect aux yeux de Saddam. «Il n'a jamais appartenu à aucun groupe politique, pourquoi lui ?», se désole Iman. Dans certaines familles, des dizaines d'hommes furent embarqués d'un coup.
La répression n'épargna personne, pas même les femmes et les enfants. Quand les policiers revinrent frapper à la porte, quelques jours après avoir embarqué son mari, Iman Sen Araji comprit vite que ce 8 juillet n'était que le début d'une longue descente aux enfers. «Ils ont hurlé : «Suivez-nous. C'est juste pour un interrogatoire de routine»», se souvient-elle. En fait, Iman et ses enfants furent jetés dans un cachot secret à Bagdad, avec une soixantaine d'autres familles de Doujail : «Ils nous battaient avec des barres en fer en criant : «Faites vos confessions !»». Vingt-cinq jours plus tard, on lui annonça enfin la libération, le retour à la maison. Mais finalement, les familles furent embarquées à Abou Ghraïb. C'est là qu'Iman, enceinte, donna le jour à son quatrième fils, Ahmad. Etre une jeune maman ne l'épargna pas des pires sacrifices : «A plusieurs reprises, ils ont amené mon mari devant ma cellule en le tabassant sous mes yeux, ils l'ont forcé à courir pendant deux heures jusqu'à l'essoufflement le plus total.»
Une des tortures morales consistait à faire parader les enfants sur le toit de la prison sous les yeux de leurs pères. Un jour, Abbas Hossein ne résista pas à la tentation d'embrasser sa plus jeune fille de six ans. En guise de punition, les coups redoublèrent. Quand elle le vit pour la dernière fois, fin 1983, la mère d'Abbas eut de la peine à le reconnaître : il avait beaucoup maigri et son corps était criblé de blessures. Son ordre de sentence fut découvert après la chute du régime. Pour Iman, le cauchemar ne fit alors que s'empirer.
A la même époque, alors que Donald Rumsfeld était en visite à Bagdad pour soutenir Saddam dans sa guerre contre l'Iran, la jeune veuve fut déportée avec des centaines d'autres familles dans le camp de Nograt Salman, en plein coeur du désert, près de la frontière saoudienne. L'exil interne dura trois ans dans des conditions déplorables. «Quand certains détenus mouraient, leurs corps étaient balancés dans la nature et livrés aux chiens sauvages», note Hania Mufti, de l'organisation Human Rights Watch.
Pour les survivants de Nograt Salman, le spectacle du retour à Doujail, à la fin des années 80, fut terrifiant. Certaines maisons avaient été détruites. La rivière avait disparu. Dans les vergers rasés, des bâtisses officielles étaient en cour de construction. «Les habitants de Doujail sont des gens simples, qui ont toujours vécu d'agriculture. Beaucoup de jeunes se retrouvèrent au chômage», raconte Jawad Saad al-Moussaoui. Puis, le rituel des interrogatoires reprit. «Une à deux fois par semaine, les «mokhaberat» me convoquaient pour me poser des questions sur ma famille», déclare Ammar Abbas Haydari, un ouvrier de 29 ans, qui passa quatre ans de son enfance dans les camps du Sud. «Ça a duré pendant des années», dit-il.
Aujourd'hui, le jeune Irakien a repris le travail de ses aïeuls dans les champs. Mojtaba, un des fils d'Iman Sen Araji, peut enfin exercer son métier d'enseignant, que les hommes de Saddam lui interdisaient de pratiquer. Dans les rues de Doujail, dont la population s'élève désormais à 65 000 habitants, des petits vendeurs de légumes tirent gaiement leurs charrettes. Les portraits de Saddam ont été remplacés par ceux des grands imams chiites. Pour le visiteur étranger qui arrive de Bagdad après une route hostile perforée par les stigmates d'explosions, Doujail est un petit havre de paix. Mais à la place de la rivière, c'est toujours une bande sèche, comblée par du ciment, qui serpente le long de la ville.
Et les coeurs, eux aussi, sont secs, à force d'avoir trop pleuré. «Saddam m'a pris mes trois fils, il m'a arraché la moitié de mon coeur, comment oublier ?», pleure un paysan de 68 ans. En 1982, ses fils furent exécutés l'un après l'autre. Ils avaient à peine 20 ans. «Aujourd'hui, il faut que justice soit faite. On doit le faire payer», avoue-t-il. Iman
Sen Araji, elle, n'a qu'un seul voeu : que le raïs déchu soit exécuté pour tous ses crimes. «Si l'exécution est publique, je veux y assister. Ce sera le seul moyen de me libérer de ma peine», conclut-elle.
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(...) pour les habitants de Doujail, la tragédie de 1982 reste un parfait exemple des horreurs systématiquement commises par Saddam pendant les années qui suivirent : les assassinats en masse d'opposants chiites et kurdes, les déportations de familles, le saccage de certaines régions, comme l'***èchement des marais du Sud irakien dix ans plus tard.
«Doujail était un petit morceau de paradis», se souvient Jawad Saad al-Moussaoui, un ancien agriculteur. «Dans le reste de l'Irak, tout le monde jalousait la fertilité de ses vergers, ses palmiers, ses orangers parfumés. Aujourd'hui, il ne reste plus rien», confie cet homme aux cheveux gris en pointant du doigt un vaste champ en friche. C'est de cet ancien verger, dit-il, le long de l'avenue principale, que la vingtaine de Mercedes du convoi de Saddam fut visée par des snippers, le 8 juillet 1982, à la mi-journée. «Ça s'est mis à tirer de partout», raconte Moussaoui. Plusieurs membres de l'entourage du raïs, y compris son photographe personnel, moururent dans l'attaque. La rumeur raconte que le dictateur aurait alors quitté la ville en se cachant dans une ambulance. Quant aux tireurs, ils disparurent vite à travers le labyrinthe des palmiers.
Quelques heures plus tard, une chape de plomb s'abattait sur Doujail. «Vers cinq heures de l'après-midi, la ville s'est retrouvée envahie par les «mokhaberat», les services de renseignements. Ils bloquèrent Doujail en établissant un cordon sur un périmètre de 5 kilomètres. Des hélicoptères entamèrent des rondes dans le ciel», souligne Moussaoui. La police secrète se mit à faire du porte-à-porte en arrêtant toute personne suspectée d'appartenir au parti chiite d'opposition Al Dawa et d'embrasser l'idéologie de l'ennemi voisin, l'ayatollah Khomeyni, leader de la révolution islamique iranienne, à qui Saddam avait déclaré la guerre deux ans plus tôt.
La maison d'Iman Sen Araji fut une des premières visées. «Nous faisions la sieste sur le toit quand des hommes armés enfoncèrent la porte d'entrée. Ils attrapèrent violemment mon mari. Je n'ai pas osé leur poser de question. J'étais pétrifiée», se remémore-t-elle. La quarantaine, Abbas Hossein, son époux, enseignait le droit islamique et portait le turban : un parfait suspect aux yeux de Saddam. «Il n'a jamais appartenu à aucun groupe politique, pourquoi lui ?», se désole Iman. Dans certaines familles, des dizaines d'hommes furent embarqués d'un coup.
La répression n'épargna personne, pas même les femmes et les enfants. Quand les policiers revinrent frapper à la porte, quelques jours après avoir embarqué son mari, Iman Sen Araji comprit vite que ce 8 juillet n'était que le début d'une longue descente aux enfers. «Ils ont hurlé : «Suivez-nous. C'est juste pour un interrogatoire de routine»», se souvient-elle. En fait, Iman et ses enfants furent jetés dans un cachot secret à Bagdad, avec une soixantaine d'autres familles de Doujail : «Ils nous battaient avec des barres en fer en criant : «Faites vos confessions !»». Vingt-cinq jours plus tard, on lui annonça enfin la libération, le retour à la maison. Mais finalement, les familles furent embarquées à Abou Ghraïb. C'est là qu'Iman, enceinte, donna le jour à son quatrième fils, Ahmad. Etre une jeune maman ne l'épargna pas des pires sacrifices : «A plusieurs reprises, ils ont amené mon mari devant ma cellule en le tabassant sous mes yeux, ils l'ont forcé à courir pendant deux heures jusqu'à l'essoufflement le plus total.»
Une des tortures morales consistait à faire parader les enfants sur le toit de la prison sous les yeux de leurs pères. Un jour, Abbas Hossein ne résista pas à la tentation d'embrasser sa plus jeune fille de six ans. En guise de punition, les coups redoublèrent. Quand elle le vit pour la dernière fois, fin 1983, la mère d'Abbas eut de la peine à le reconnaître : il avait beaucoup maigri et son corps était criblé de blessures. Son ordre de sentence fut découvert après la chute du régime. Pour Iman, le cauchemar ne fit alors que s'empirer.
A la même époque, alors que Donald Rumsfeld était en visite à Bagdad pour soutenir Saddam dans sa guerre contre l'Iran, la jeune veuve fut déportée avec des centaines d'autres familles dans le camp de Nograt Salman, en plein coeur du désert, près de la frontière saoudienne. L'exil interne dura trois ans dans des conditions déplorables. «Quand certains détenus mouraient, leurs corps étaient balancés dans la nature et livrés aux chiens sauvages», note Hania Mufti, de l'organisation Human Rights Watch.
Pour les survivants de Nograt Salman, le spectacle du retour à Doujail, à la fin des années 80, fut terrifiant. Certaines maisons avaient été détruites. La rivière avait disparu. Dans les vergers rasés, des bâtisses officielles étaient en cour de construction. «Les habitants de Doujail sont des gens simples, qui ont toujours vécu d'agriculture. Beaucoup de jeunes se retrouvèrent au chômage», raconte Jawad Saad al-Moussaoui. Puis, le rituel des interrogatoires reprit. «Une à deux fois par semaine, les «mokhaberat» me convoquaient pour me poser des questions sur ma famille», déclare Ammar Abbas Haydari, un ouvrier de 29 ans, qui passa quatre ans de son enfance dans les camps du Sud. «Ça a duré pendant des années», dit-il.
Aujourd'hui, le jeune Irakien a repris le travail de ses aïeuls dans les champs. Mojtaba, un des fils d'Iman Sen Araji, peut enfin exercer son métier d'enseignant, que les hommes de Saddam lui interdisaient de pratiquer. Dans les rues de Doujail, dont la population s'élève désormais à 65 000 habitants, des petits vendeurs de légumes tirent gaiement leurs charrettes. Les portraits de Saddam ont été remplacés par ceux des grands imams chiites. Pour le visiteur étranger qui arrive de Bagdad après une route hostile perforée par les stigmates d'explosions, Doujail est un petit havre de paix. Mais à la place de la rivière, c'est toujours une bande sèche, comblée par du ciment, qui serpente le long de la ville.
Et les coeurs, eux aussi, sont secs, à force d'avoir trop pleuré. «Saddam m'a pris mes trois fils, il m'a arraché la moitié de mon coeur, comment oublier ?», pleure un paysan de 68 ans. En 1982, ses fils furent exécutés l'un après l'autre. Ils avaient à peine 20 ans. «Aujourd'hui, il faut que justice soit faite. On doit le faire payer», avoue-t-il. Iman
Sen Araji, elle, n'a qu'un seul voeu : que le raïs déchu soit exécuté pour tous ses crimes. «Si l'exécution est publique, je veux y assister. Ce sera le seul moyen de me libérer de ma peine», conclut-elle.
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