Il se représente...Souvenirs de la premiere campagne présidentielle
Les quatre vérités du raïs Bouteflika
Il était le favori de cette présidentielle. Il en a profité pour marteler aux oreilles des Algériens un message à la fois autoritaire et démagogique, exigeant un sursaut, des sacrifices, et faisant appel à l’orgueil national
Tu mens ! » Du haut de la tribune, Abdelaziz Bouteflika pointe un doigt accusateur vers la salle. Et soudain, le ton du tribun en campagne s’est métamorphosé en celui de procureur. « Tu mens ! » Dans la salle, l’homme visé, un de ses partisans venu le soutenir, s’est changé en statue de sel. Bouteflika venait de demander pourquoi il n’y avait pas de chirurgien dans Béchar, cette ville du Sud saharien à la frontière du Maroc, et le téméraire avait eu l’audace de se plaindre, de crier qu’il n’y avait pas assez d’écoles. « Tu mens ! » Pour la troisième fois, dans un silence polaire, l’anathème répété claque comme un coup de grâce. « Il y a des écoles ici ! Mais vos enfants préfèrent aller travailler dans le Nord, là où c’est facile. En réalité, vous n’avez besoin de personne ! Vous avez seulement besoin de vous réveiller ! Moi, je vais réveiller l’Algérie ! » Des youyous éclatent dans la salle. Ici, on n’est pas venu accueillir un candidat en campagne mais le futur président du pays, celui que le préfet de willaya vient saluer à sa descente d’avion, celui dont la télévision nationale dit qu’il attire les « masses populaires » à ses meetings alors que les autres ne font que des discours à « leurs partisans et sympatisants ». Un candidat à la présidence tacitement reconverti en candidat-président. Du coup, une femme de notable entonne un couplet patriotique... « Il faut écarter les traîtres ! » Bouteflika la coupe sèchement : « La trahison ? Il faut d’abord l’écarter dans vos coeurs. Puis dans votre entourage ! » On se tait. La salle est sonnée, soumise, conquise. Tout à l’heure, quand il est arrivé sur le podium, c’est lui qui était silencieux, immobile, les yeux scrutant la foule comme s’il dévisageait chaque membre de l’assistance. Sa voix, à peine audible, a murmuré trois fois il répète souvent la même phrase trois fois « Bismillah al-Rahman al-Rahim ! », « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux ! » D’abord, il a parlé d’une voix faible, histoire de mettre fin au tumulte d’une foule qui croyait assister à une fête électorale. Puis il a joué la carte du souvenir ému de son passage dans la région, à deux pas des maquis du Maroc, pendant la guerre d’indépendance, du souvenir des martyrs et de la grandeur du Sahara. Maintenant il les flagelle : « Vous engraissez vos moutons sur cette terre pour aller les revendre en contrebande au Maroc ! Vous utilisez un dinar algérien dévalué pour aller acheter des chiffons de l’autre côté de la frontière ! Vous vous humiliez pour obtenir un visa ! Drogue, trabendo, marché noir, mafia... Pouah ! Où est votre jeunesse ? Qu’est-ce qu’elle fait ? » Il recense les dégâts, met les plaies à nu : « Tout s’achète à l’étranger... Même le dentifrice ! » Applaudissements dans la salle. Il explose : « Ne m’applaudissez pas quand je dis cela ! Parce que c’est une honte pour l’Algérie ! » Le dinar dévalué, un passeport dévalué, une justice dévaluée, une classe politique dévaluée, une Algérie dévaluée à ses yeux et à ceux de l’opinion mondiale... Abdelaziz Bouteflika ne leur épargne rien. « Et vous avez été complices en votant trois fois [pour le président Chadli] pour cette politique. » Dans le public, les hommes titubent, debout mais KO. Alors il lâche un début de phrase magique : « De notre temps, c’était différent... » Son temps, c’est celui de la révolution, de la guerre de libération et de « l’âge d’or de l’Algérie », celle dont il a été, à 26 ans à peine et pendant seize ans, le ministre des Affaires étrangères qui a négocié la révision des accords d’Evian et la nationalisation des hydrocarbures, le « meilleur diplomate du tiers-monde », selon l’expression de Valéry Giscard d’Estaing. Personne n’a oublié ce petit homme d’un mètre soixante-cinq, mince, d’allure presque fragile, ses semelles compensées et ses costumes élégants, le cheveu noir et la moustache fournie, et ces yeux qui lui mangent le visage. Des yeux d’un bleu étincelant, auréolés d’un grand sourire d’enfant quand il veut séduire mais capables en une fraction de seconde de se transformer en un regard gris acier, implacable, une bouche dure qui dit l’autorité ou la colère, et qui menace. L’homme de 62 ans n’a rien oublié de l’adolescent, né le 2 mars 1937 à Oujda au Maroc, fils d’une famille algérienne de Tlemcen propriétaire d’un bain maure, lycéen brillant qui passe son bac en même temps que son brevet d’arabe coranique, nationaliste de la première heure engagé dès 1956 dans l’ALN contre les Français.
A Suivre...
Les quatre vérités du raïs Bouteflika
Il était le favori de cette présidentielle. Il en a profité pour marteler aux oreilles des Algériens un message à la fois autoritaire et démagogique, exigeant un sursaut, des sacrifices, et faisant appel à l’orgueil national
Tu mens ! » Du haut de la tribune, Abdelaziz Bouteflika pointe un doigt accusateur vers la salle. Et soudain, le ton du tribun en campagne s’est métamorphosé en celui de procureur. « Tu mens ! » Dans la salle, l’homme visé, un de ses partisans venu le soutenir, s’est changé en statue de sel. Bouteflika venait de demander pourquoi il n’y avait pas de chirurgien dans Béchar, cette ville du Sud saharien à la frontière du Maroc, et le téméraire avait eu l’audace de se plaindre, de crier qu’il n’y avait pas assez d’écoles. « Tu mens ! » Pour la troisième fois, dans un silence polaire, l’anathème répété claque comme un coup de grâce. « Il y a des écoles ici ! Mais vos enfants préfèrent aller travailler dans le Nord, là où c’est facile. En réalité, vous n’avez besoin de personne ! Vous avez seulement besoin de vous réveiller ! Moi, je vais réveiller l’Algérie ! » Des youyous éclatent dans la salle. Ici, on n’est pas venu accueillir un candidat en campagne mais le futur président du pays, celui que le préfet de willaya vient saluer à sa descente d’avion, celui dont la télévision nationale dit qu’il attire les « masses populaires » à ses meetings alors que les autres ne font que des discours à « leurs partisans et sympatisants ». Un candidat à la présidence tacitement reconverti en candidat-président. Du coup, une femme de notable entonne un couplet patriotique... « Il faut écarter les traîtres ! » Bouteflika la coupe sèchement : « La trahison ? Il faut d’abord l’écarter dans vos coeurs. Puis dans votre entourage ! » On se tait. La salle est sonnée, soumise, conquise. Tout à l’heure, quand il est arrivé sur le podium, c’est lui qui était silencieux, immobile, les yeux scrutant la foule comme s’il dévisageait chaque membre de l’assistance. Sa voix, à peine audible, a murmuré trois fois il répète souvent la même phrase trois fois « Bismillah al-Rahman al-Rahim ! », « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux ! » D’abord, il a parlé d’une voix faible, histoire de mettre fin au tumulte d’une foule qui croyait assister à une fête électorale. Puis il a joué la carte du souvenir ému de son passage dans la région, à deux pas des maquis du Maroc, pendant la guerre d’indépendance, du souvenir des martyrs et de la grandeur du Sahara. Maintenant il les flagelle : « Vous engraissez vos moutons sur cette terre pour aller les revendre en contrebande au Maroc ! Vous utilisez un dinar algérien dévalué pour aller acheter des chiffons de l’autre côté de la frontière ! Vous vous humiliez pour obtenir un visa ! Drogue, trabendo, marché noir, mafia... Pouah ! Où est votre jeunesse ? Qu’est-ce qu’elle fait ? » Il recense les dégâts, met les plaies à nu : « Tout s’achète à l’étranger... Même le dentifrice ! » Applaudissements dans la salle. Il explose : « Ne m’applaudissez pas quand je dis cela ! Parce que c’est une honte pour l’Algérie ! » Le dinar dévalué, un passeport dévalué, une justice dévaluée, une classe politique dévaluée, une Algérie dévaluée à ses yeux et à ceux de l’opinion mondiale... Abdelaziz Bouteflika ne leur épargne rien. « Et vous avez été complices en votant trois fois [pour le président Chadli] pour cette politique. » Dans le public, les hommes titubent, debout mais KO. Alors il lâche un début de phrase magique : « De notre temps, c’était différent... » Son temps, c’est celui de la révolution, de la guerre de libération et de « l’âge d’or de l’Algérie », celle dont il a été, à 26 ans à peine et pendant seize ans, le ministre des Affaires étrangères qui a négocié la révision des accords d’Evian et la nationalisation des hydrocarbures, le « meilleur diplomate du tiers-monde », selon l’expression de Valéry Giscard d’Estaing. Personne n’a oublié ce petit homme d’un mètre soixante-cinq, mince, d’allure presque fragile, ses semelles compensées et ses costumes élégants, le cheveu noir et la moustache fournie, et ces yeux qui lui mangent le visage. Des yeux d’un bleu étincelant, auréolés d’un grand sourire d’enfant quand il veut séduire mais capables en une fraction de seconde de se transformer en un regard gris acier, implacable, une bouche dure qui dit l’autorité ou la colère, et qui menace. L’homme de 62 ans n’a rien oublié de l’adolescent, né le 2 mars 1937 à Oujda au Maroc, fils d’une famille algérienne de Tlemcen propriétaire d’un bain maure, lycéen brillant qui passe son bac en même temps que son brevet d’arabe coranique, nationaliste de la première heure engagé dès 1956 dans l’ALN contre les Français.
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