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Mobilisation des mères contre la drogue des pauvres en Argentine

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  • Mobilisation des mères contre la drogue des pauvres en Argentine

    Ce jeudi-là, à Buenos Aires, elles sont une cinquantaine sur la place de Mai, face au palais présidentiel. Elles portent un foulard noir sur la tête en signe de deuil. Elles dénoncent les ravages du "paco", une drogue bon marché, qui tue leurs enfants par dizaines. A quelques heures près, elles pourraient tomber sur les Mères de la place de Mai, avec leurs foulards blancs sur la tête, qui, toutes les semaines depuis trente ans, manifestent pour leurs enfants disparus durant la dictature.

    "Je ne les connais pas personnellement, mais c'est leur exemple qui m'a donné la force de me battre", explique Rita Diaz. Avec d'autres mères de différents quartiers pauvres, elle manifeste tous les jeudis, depuis le 8 janvier. Ces femmes demandent à être reçues par la présidente Cristina Kirchner. "Nous voulons parler de mère à mère", avance Rita.

    Pour réclamer des politiques de prévention et de réhabilitation, elles ont créé, en 2004, une association dénommée "Il y a une espérance". Elles sont opposées à toute dépénalisation de la consommation de la drogue. Elles n'hésitent pas, si elles le jugent nécessaire, à conduire elles-mêmes leurs enfants toxicomanes devant un juge pour qu'ils soient internés.

    Graciela Izquierdo s'époumone dans un mégaphone sous l'oeil étonné des touristes. "Dans les années 1970, les militaires ont tué une génération de jeunes, et personne n'a rien dit, crie-t-elle. Aujourd'hui, la société assiste sans rien dire à un génocide silencieux de jeunes Argentins en acceptant la domination des trafiquants de drogue."

    Le "paco" est apparu pendant l'effondrement financier de 2001. L'Argentine partait à la dérive et une partie de sa classe moyenne avec. Le "paco" - mélange de cocaïne, de verre pilé, de kérosène, de produits chimiques et même de mort-aux-rats - coûte 5 pesos (moins d'1 euro) la dose. Il agit en quelques minutes, détruit les neurones en six mois et provoque une dépendance plus forte que l'alcool ou l'héroïne, précise Ignacio O'Donnell, sociologue qui travaille dans six bidonvilles de Buenos Aires.

    "Peu s'en sortent, dit-il. En cas d'abstinence, beaucoup se suicident, en général ils se pendent." Le sociologue revient tout juste du bidonville de Retiro, au coeur d'un quartier chic de Buenos Aires. "C'était l'enterrement d'un gamin de 15 ans, tué par un dealer qu'il n'avait pas pu payer", confie-t-il.

    A 15 km à l'ouest de la place de Mai, s'étend Ciudad Oculta ("La Ville cachée"), un des plus grands bidonvilles de la capitale, avec 30 000 habitants. Le 21 mars à l'aube, une opération de police a conduit à l'arrestation de sept dealers et à la découverte de deux laboratoires servant à fabriquer le "paco". Ces "cocinas" (cuisines) se multiplient dans les bidonvilles.

    C'est à Ciudad Oculta qu'est né, en 2003, le premier mouvement des "Mères contre le paco", présentes aujourd'hui dans les principaux bidonvilles. Contrairement aux femmes qui manifestent sur la place de Mai, elles sont partisanes de la dépénalisation de la consommation de la drogue. Mais elles demandent, elles aussi, des programmes de prévention.

    La rage de Vilma Acuña est plus forte que les larmes qui affleurent dans les yeux de cette mère de 47 ans. Elle a six enfants qu'elle a élevés, seule. L'un d'entre eux, David, a été assassiné parce qu'il avait été le témoin involontaire d'un règlement de comptes entre dealers. Il avait 16 ans.

    A sa mort, son frère aîné, Pablo, s'est mis au "paco". Pour acheter la drogue, il a vendu tout ce qu'il avait, il a volé. Sa fiancée, enceinte, l'a quitté. A 26 ans, Pablo est un squelette. Il dort toute la journée et se réveille seulement pour acheter du "paco". "C'est l'unique façon de ne plus rien sentir, de ne pas pleurer", murmure-t-il.

    Son histoire est celle de centaines d'enfants des quartiers pauvres. "Ils n'ont pas de futur", lance Vilma, qui prédit que la crise ne fera qu'accentuer ces exclusions sociales. Dans une des ruelles de Ciudad Oculta, elle montre "le coin de la mort" : une vingtaine de gamins fument du "paco" à 100 mètres d'un commissariat.

    Entre 2001 et 2005, la consommation a augmenté de 200 %, selon des chiffres officiels. Le nombre de consommateurs dépasse les 150 000 jeunes. Certains débutent dès l'âge de 7 ans.

    A un moment où l'insécurité est la principale préoccupation des Argentins, Vilma se met en colère quand la presse associe le "paco" à des faits divers violents. "C'est absurde, s'écrie-t-elle. Le consommateur de "paco" est un zombie, un mort-vivant. S'il vole pour acheter de la drogue, il le fait à l'intérieur du bidonville. Il n'a pas la force physique d'en sortir. Ceux qui participent à des vols prennent des pastilles mélangées à de l'alcool qui les rendent violents et ils sont manipulés par la police." "Avec le paco, l'insécurité touche avant tout les pauvres", note Vilma.

    "Le paco est une drogue d'extermination", s'inquiète José Granero, au Secrétariat pour la prévention et la lutte contre le narcotrafic. La drogue est un phénomène relativement récent en Argentine. "Désormais, ce n'est plus un pays de transit vers l'Europe, c'est un pays de consommation et de production", estime Diana Maffia, député de centre gauche.

    "Les Mères contre le paco" sont régulièrement menacées. Isabel Vazquez, la présidente de l'association à Lomas de Zamora (province de Buenos Aires), a dénoncé la complicité de la police avec les trafiquants. Elle a également mis en cause les politiciens. Le 25 février, son fils Emmanuel a été tué par balles. A 27 ans, il avait réussi à abandonner le "paco". Il avait même trouvé un travail.

    Par Le Monde
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