Par Ahmed R. Benchemsi
Hypocrisie et calculs politiques En endossant la terminologie des intégristes, l’Etat se couche devant eux. C’est une grossière erreur stratégique – hélas, pas la première du genre.
C’est un bien étrange communiqué qu’a diffusé la MAP, samedi dernier. Dans un langage inhabituellement violent, le ministère de l’Intérieur y note que “ces derniers temps, des voix s’élèvent à travers des médias pour tenter de faire l’apologie de certains comportements ignobles (…) et abjects, qui portent atteinte à nos valeurs religieuses et morales”. On
C’est un bien étrange communiqué qu’a diffusé la MAP, samedi dernier. Dans un langage inhabituellement violent, le ministère de l’Intérieur y note que “ces derniers temps, des voix s’élèvent à travers des médias pour tenter de faire l’apologie de certains comportements ignobles (…) et abjects, qui portent atteinte à nos valeurs religieuses et morales”. On
L’exclusion, la diabolisation et l’incitation à la haine relèvent-elles de nos “valeurs civilisationnelles” ? Absolument pas ! Depuis toujours, l’hétérosexuel marocain moyen, musulman paisible et tempéré s’il en est, se contente, face à des cas d’homosexualité, de soupirer et de lever les yeux au ciel… La violence verbale et la menace sont, en revanche, des attitudes intégristes récentes, et même, pour retourner contre eux la terminologie des obscurantistes, “importées d’ailleurs” (du Moyen-Orient plus précisément). Le problème, c’est qu’avec ce communiqué, l’Etat a repris la terminologie intégriste à son compte… par pur calcul politique. Les élections communales, en effet, sont prévues dans trois mois. On commence à avoir l’habitude, maintenant : à chaque fois qu’un scrutin approche, l’Etat est saisi d’une crainte de “raz de marée islamiste”. Une crainte d’ailleurs irrationnelle, vu quelle est constamment démentie par chaque scrutin qui passe – et le Maroc de Mohammed VI en a déjà connu une bonne dizaine, tous genres confondus. C’est pourtant “pour ne pas donner aux islamistes prétexte à débordements” que l’Etat a pondu ce surprenant communiqué. Sauf qu’un Etat qui prétend encourager la démocratie n’a pas à étouffer un débat de société (pertinent, vu les passions qu’il déchaîne) au nom de calculs électoraux – mauvais, qui plus est. En endossant la terminologie des islamistes, l’Etat se couche devant eux. C’est une grossière erreur stratégique – hélas, pas la première du genre.
Peut-être bien, d’ailleurs, que quelques hauts responsables avisés s’en sont rendu compte. Deux jours après l’avoir diffusé, la MAP a mystérieusement fait disparaître le communiqué de l’Intérieur de son site web – ce qui n’est pas dans ses habitudes. Quant au Matin du Sahara, journal officiel du Makhzen s’il en est, il l’a bien publié, mais amputé de moitié, dans un petit coin difficilement repérable en pages intérieures (ce qui n’est pas dans ses habitudes non plus, s’agissant d’un communiqué officiel)… et avec un titre comique à force d’être allusif : “Faire face aux agissements”. Lesquels, mon Dieu ? Je l’avais écrit la semaine dernière sur un autre sujet, mais cela s’applique tout aussi bien à celui-ci : avant toute chose, l’Etat marocain a besoin de courage et de clarté. Je persiste et signe.
© 2009 TelQuel Magazine. Maroc.
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