Les enjeux géopolitique qui caractérisent la région de l’Arctique sont véritablement de nature circumpolaire et mettent en évidence les intérêts concurrents et complémentaires des huit États qui bordent l’océan Arctique : le Canada, le Danemark (Groenland), les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède. Dans le passé, la géographie, le climat et, par-dessus tout, les idéologies politiques divergentes et la méfiance ont nui aux interactions de ces États à l’égard de l’Arctique, mais celles-ci se sont multipliées et intensifiées au cours des dernières décennies, ce qui témoigne des bouleversements survenus dans la région. Cette évolution, colorée par la dynamique propre aux États circumpolaires, a entraîné un renforcement de l’identité régionale dans l’Arctique.
Caractéristiques générales de la géopolitique de l’Arctique
La dynamique géopolitique de l’Arctique est de nature changeante et dépend de différents facteurs. Par exemple, l’importance politique ou géographique de l’État n’a pas une incidence proportionnelle sur cette dynamique : de petits et de grands États ont réussi à affirmer leurs intérêts. La dynamique dépend des enjeux : certains sont résolus multilatéralement, et d’autres, bilatéralement. De même, des conflits d’intérêts et des initiatives conjointes peuvent se produire simultanément, peu importe si les parties en cause sont des alliés ou des adversaires. L’Arctique ne fait pas non plus partie du patrimoine naturel mondial comme le pôle opposé, l’Antarctique. Sa géopolitique est plutôt fondée sur les intérêts, directs ou indirects, conflictuels ou communs, des États dont le territoire se situe en partie ou en entier dans les régions les plus nordiques de la planète. Le fait que ces États sont très développés constitue une caractéristique importante de la géopolitique de la région. Tous ces facteurs réunis forment la géopolitique de l’Arctique.
Statut secondaire historique
Contrairement à d’autres territoires et continents, l’Arctique n’a pas fait l’objet de conquêtes territoriales brutales ou de concurrence féroce. Il a plutôt été un corollaire des enjeux extrarégionaux dans les relations interétatiques.
Le statut secondaire de l’Arctique était particulièrement évident pendant la guerre froide, une période d’environ 40 ans marquée par une profonde méfiance entre les États-Unis et ses alliés de l’Ouest, d’une part, et l’Union soviétique et ses alliés de l’Est, d’autre part. L’affrontement Est-Ouest était axé sur les habitants et les systèmes économiques et politiques de l’Europe continentale; c’est donc là que les camps opposés ont affecté leurs ressources et ont concentré leurs premières actions. Contrairement à d’autres régions du monde qui ont servi de théâtre d’affrontement par procuration pendant la guerre froide, l’Arctique a joué un rôle auxiliaire en tant que région offrant la voie la plus courte à partir de laquelle des technologies de défense de plus en plus pointues, comme les bombardiers à long rayon d’action, les sous-marins et les missiles, pouvaient être dirigées sur un adversaire. Dans le même ordre d’idées, l’Arctique a servi de base permettant de déceler rapidement de telles menaces. En d’autres mots, cette région n’était pas convoitée pour elle-même, mais plutôt pour son utilité sur le plan stratégique.
Pendant la guerre froide, le statut secondaire de l’Arctique s’est précisé à mesure que les politiques étrangères des pays circumpolaires ont mûri et se sont développées, et que ces pays ont voulu établir des relations plus prometteuses et plus enrichissantes sur les plans de l’économie, de la politique et de la sécurité avec leurs voisins (États ou régions) situés au sud, ou du moins dans leur hémisphère immédiat ou transatlantique, plutôt qu’avec leurs voisins transarctiques. Par exemple, les pays nordiques de l’Europe ont été amenés à se joindre à des organismes comme le Conseil nordique (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède et leurs parlements infranationaux), l’Union européenne (Danemark, Finlande, Suède), l’Association européenne de libre-échange (Islande, Norvège) et l’OTAN (Danemark, Islande, Norvège). D’ailleurs, l’orientation baltique de la Suède est souvent invoquée pour rejeter ses prétentions d’État de l’Arctique. Dans le cas de la Finlande, les relations étrangères étaient dominées par la neutralité et définies par une relation spéciale avec l’Union soviétique. Celle-ci (devenue plus tard la Russie) était préoccupée par des intérêts stratégiques et le maintien de l’empire et mettait l’accent sur ses relations avec les pays du Pacte de Varsovie de l’Europe de l’Est et avec les États voisins situés le long de sa longue frontière au sud. Quant au Canada, ses priorités concernant l’économie et la sécurité, continentales ou transatlantiques, étaient de plus en plus définies par sa relation avec les États-Unis, eux-mêmes préoccupés par les tensions Est-Ouest.
Géopolitique contemporaine
La fin de la guerre froide a eu différentes répercussions sur l’importance relative de l’Arctique parmi les enjeux géopolitiques des États circumpolaires : d’une part, elle a diminué l’importance que revêtait l’Arctique pour la défense de l’Amérique du Nord; en revanche, les différends concernant la souveraineté qui persistaient en sourdine ont continué d’envenimer les relations. De plus, la géopolitique de l’Arctique a été influencée par de nouveaux enjeux – notamment les changements climatiques – qui ont rehaussé le profil de l’Arctique dans la dynamique des politiques étrangères. Voilà comment on en est venu à dépeindre la région dans certains milieux, particulièrement les médias, comme un foyer de conflits interétatiques réels et potentiels.
Différends relatifs à la souveraineté
L’enjeu géopolitique le plus fondamental des États arctiques est sans contredit la souveraineté, et plus particulièrement les intérêts, les politiques et les actions qui affirment la souveraineté des États les uns par rapport aux autres dans la région, comme la délimitation des frontières, les zones économiques exclusives (ZEE) et les principes juridiques internationaux régissant l’accès aux passages marins (voir l’encadré ci-dessus). Même si ces différends ne sont pas généralisés, leur existence et leur persistance donnent l’impression d’un foisonnement de conflits territoriaux dans l’Arctique.
Le fait que ces conflits n’ont pas été réglés exacerbe les sensibilités géopolitiques des États en question. Des incidents isolés – intentionnels ou non, légers ou graves – ont dès lors été perçus comme des violations de la souveraineté et des droits d’accès, ce qui a eu pour effet d’élever la température géopolitique dans la région et, semble-t-il, de faire régner un climat de soupçon et de méfiance entre les États circumpolaires.
Un profil accentué pour l’Arctique
Dans les politiques étrangères des pays intéressés, le profil de l’Arctique a pris de l’importance depuis une vingtaine d’années, en grande partie à cause des changements climatiques et de leurs répercussions sur l’avenir de la région. Les effets des changements climatiques ont soit intensifié les conflits géopolitiques existants, soit provoqué de nouveaux conflits ou ouvert la voie à d’autres conflits. Par exemple, la fonte de la glace de mer a relancé les spéculations sur la possibilité d’utiliser davantage le passage du Nord-Ouest pour expédier des biens entre l’Europe et l’Asie. On prévoit que le raccourcissement de la distance pourrait réduire les coûts d’expédition, d’où l’intérêt de ce passage en remplacement du canal de Panama. Ainsi, la question de savoir si le passage du Nord-Ouest constitue un détroit international ou des eaux intérieures canadiennes prend une nouvelle dimension dans la relation entre le Canada et les États-Unis, parce qu’une décision finale concernant son statut déterminerait comment il y a lieu de réglementer l’augmentation du trafic maritime(3).
De plus, la fonte de la glace de mer a facilité les efforts déployés par des États comme la Russie, le Canada et le Danemark pour effectuer le travail de cartographie nécessaire à la délimitation de leur plateau continental respectif en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982, et ainsi soutenir leurs revendications juridiques pour en retirer des droits potentiellement lucratifs. Les résultats de ces démarches ont beaucoup retenu l’attention des médias et l’impression que le climat déjà chargé de soupçons et de méfiance s’exacerbait. L’annonce préliminaire des résultats indique d’ailleurs que le Canada et la Russie pourraient se trouver en conflit par rapport à la dorsale Lomonosov, qui s’étend sous l’océan Arctique entre l’Amérique du Nord et l’Eurasie. La réaction observée chez les Canadiens à l’été 2007, lorsque la Russie a déposé un drapeau dans une capsule en titane au fond de l’océan Arctique afin de démontrer sa capacité technologique, illustre bien la politisation croissante de la question. De fait, on s’attend à ce que les revendications territoriales et maritimes éventuellement contradictoires continuent de caractériser la géopolitique de l’Arctique pendant encore de nombreuses années, particulièrement en raison des longues procédures judiciaires internationales que nécessitera leur règlement.
Caractéristiques générales de la géopolitique de l’Arctique
La dynamique géopolitique de l’Arctique est de nature changeante et dépend de différents facteurs. Par exemple, l’importance politique ou géographique de l’État n’a pas une incidence proportionnelle sur cette dynamique : de petits et de grands États ont réussi à affirmer leurs intérêts. La dynamique dépend des enjeux : certains sont résolus multilatéralement, et d’autres, bilatéralement. De même, des conflits d’intérêts et des initiatives conjointes peuvent se produire simultanément, peu importe si les parties en cause sont des alliés ou des adversaires. L’Arctique ne fait pas non plus partie du patrimoine naturel mondial comme le pôle opposé, l’Antarctique. Sa géopolitique est plutôt fondée sur les intérêts, directs ou indirects, conflictuels ou communs, des États dont le territoire se situe en partie ou en entier dans les régions les plus nordiques de la planète. Le fait que ces États sont très développés constitue une caractéristique importante de la géopolitique de la région. Tous ces facteurs réunis forment la géopolitique de l’Arctique.
Statut secondaire historique
Contrairement à d’autres territoires et continents, l’Arctique n’a pas fait l’objet de conquêtes territoriales brutales ou de concurrence féroce. Il a plutôt été un corollaire des enjeux extrarégionaux dans les relations interétatiques.
Le statut secondaire de l’Arctique était particulièrement évident pendant la guerre froide, une période d’environ 40 ans marquée par une profonde méfiance entre les États-Unis et ses alliés de l’Ouest, d’une part, et l’Union soviétique et ses alliés de l’Est, d’autre part. L’affrontement Est-Ouest était axé sur les habitants et les systèmes économiques et politiques de l’Europe continentale; c’est donc là que les camps opposés ont affecté leurs ressources et ont concentré leurs premières actions. Contrairement à d’autres régions du monde qui ont servi de théâtre d’affrontement par procuration pendant la guerre froide, l’Arctique a joué un rôle auxiliaire en tant que région offrant la voie la plus courte à partir de laquelle des technologies de défense de plus en plus pointues, comme les bombardiers à long rayon d’action, les sous-marins et les missiles, pouvaient être dirigées sur un adversaire. Dans le même ordre d’idées, l’Arctique a servi de base permettant de déceler rapidement de telles menaces. En d’autres mots, cette région n’était pas convoitée pour elle-même, mais plutôt pour son utilité sur le plan stratégique.
Pendant la guerre froide, le statut secondaire de l’Arctique s’est précisé à mesure que les politiques étrangères des pays circumpolaires ont mûri et se sont développées, et que ces pays ont voulu établir des relations plus prometteuses et plus enrichissantes sur les plans de l’économie, de la politique et de la sécurité avec leurs voisins (États ou régions) situés au sud, ou du moins dans leur hémisphère immédiat ou transatlantique, plutôt qu’avec leurs voisins transarctiques. Par exemple, les pays nordiques de l’Europe ont été amenés à se joindre à des organismes comme le Conseil nordique (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède et leurs parlements infranationaux), l’Union européenne (Danemark, Finlande, Suède), l’Association européenne de libre-échange (Islande, Norvège) et l’OTAN (Danemark, Islande, Norvège). D’ailleurs, l’orientation baltique de la Suède est souvent invoquée pour rejeter ses prétentions d’État de l’Arctique. Dans le cas de la Finlande, les relations étrangères étaient dominées par la neutralité et définies par une relation spéciale avec l’Union soviétique. Celle-ci (devenue plus tard la Russie) était préoccupée par des intérêts stratégiques et le maintien de l’empire et mettait l’accent sur ses relations avec les pays du Pacte de Varsovie de l’Europe de l’Est et avec les États voisins situés le long de sa longue frontière au sud. Quant au Canada, ses priorités concernant l’économie et la sécurité, continentales ou transatlantiques, étaient de plus en plus définies par sa relation avec les États-Unis, eux-mêmes préoccupés par les tensions Est-Ouest.
Géopolitique contemporaine
La fin de la guerre froide a eu différentes répercussions sur l’importance relative de l’Arctique parmi les enjeux géopolitiques des États circumpolaires : d’une part, elle a diminué l’importance que revêtait l’Arctique pour la défense de l’Amérique du Nord; en revanche, les différends concernant la souveraineté qui persistaient en sourdine ont continué d’envenimer les relations. De plus, la géopolitique de l’Arctique a été influencée par de nouveaux enjeux – notamment les changements climatiques – qui ont rehaussé le profil de l’Arctique dans la dynamique des politiques étrangères. Voilà comment on en est venu à dépeindre la région dans certains milieux, particulièrement les médias, comme un foyer de conflits interétatiques réels et potentiels.
Différends relatifs à la souveraineté
L’enjeu géopolitique le plus fondamental des États arctiques est sans contredit la souveraineté, et plus particulièrement les intérêts, les politiques et les actions qui affirment la souveraineté des États les uns par rapport aux autres dans la région, comme la délimitation des frontières, les zones économiques exclusives (ZEE) et les principes juridiques internationaux régissant l’accès aux passages marins (voir l’encadré ci-dessus). Même si ces différends ne sont pas généralisés, leur existence et leur persistance donnent l’impression d’un foisonnement de conflits territoriaux dans l’Arctique.
Le fait que ces conflits n’ont pas été réglés exacerbe les sensibilités géopolitiques des États en question. Des incidents isolés – intentionnels ou non, légers ou graves – ont dès lors été perçus comme des violations de la souveraineté et des droits d’accès, ce qui a eu pour effet d’élever la température géopolitique dans la région et, semble-t-il, de faire régner un climat de soupçon et de méfiance entre les États circumpolaires.
Un profil accentué pour l’Arctique
Dans les politiques étrangères des pays intéressés, le profil de l’Arctique a pris de l’importance depuis une vingtaine d’années, en grande partie à cause des changements climatiques et de leurs répercussions sur l’avenir de la région. Les effets des changements climatiques ont soit intensifié les conflits géopolitiques existants, soit provoqué de nouveaux conflits ou ouvert la voie à d’autres conflits. Par exemple, la fonte de la glace de mer a relancé les spéculations sur la possibilité d’utiliser davantage le passage du Nord-Ouest pour expédier des biens entre l’Europe et l’Asie. On prévoit que le raccourcissement de la distance pourrait réduire les coûts d’expédition, d’où l’intérêt de ce passage en remplacement du canal de Panama. Ainsi, la question de savoir si le passage du Nord-Ouest constitue un détroit international ou des eaux intérieures canadiennes prend une nouvelle dimension dans la relation entre le Canada et les États-Unis, parce qu’une décision finale concernant son statut déterminerait comment il y a lieu de réglementer l’augmentation du trafic maritime(3).
De plus, la fonte de la glace de mer a facilité les efforts déployés par des États comme la Russie, le Canada et le Danemark pour effectuer le travail de cartographie nécessaire à la délimitation de leur plateau continental respectif en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982, et ainsi soutenir leurs revendications juridiques pour en retirer des droits potentiellement lucratifs. Les résultats de ces démarches ont beaucoup retenu l’attention des médias et l’impression que le climat déjà chargé de soupçons et de méfiance s’exacerbait. L’annonce préliminaire des résultats indique d’ailleurs que le Canada et la Russie pourraient se trouver en conflit par rapport à la dorsale Lomonosov, qui s’étend sous l’océan Arctique entre l’Amérique du Nord et l’Eurasie. La réaction observée chez les Canadiens à l’été 2007, lorsque la Russie a déposé un drapeau dans une capsule en titane au fond de l’océan Arctique afin de démontrer sa capacité technologique, illustre bien la politisation croissante de la question. De fait, on s’attend à ce que les revendications territoriales et maritimes éventuellement contradictoires continuent de caractériser la géopolitique de l’Arctique pendant encore de nombreuses années, particulièrement en raison des longues procédures judiciaires internationales que nécessitera leur règlement.
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