Base aérienne de Kénitra : Tout a commencé ici
La légende veut que le roi ait survécu au coup de 72 grâce à sa "baraka". Une version qui ne résiste pas aux faits. Grâce à des témoignages inédits.
Hassan II est à Paris depuis le 26 juillet. Un Boeing 727 britannique, fraîchement acquis par la RAM, le conduira au royaume, dans l’après-midi du mardi 16 août 1972. Le roi est attendu, tout particulièrement par trois hommes : le général Mohamed Oufkir (ministre de l’Intérieur et ministre de la
Défense), le lieutenant-colonel Mohamed Amekrane et le commandant Louafi Kouéra. Depuis une semaine déjà, le trio a mis au point un scénario de coup d’État, dont l’amorce serait l’attaque de l’avion royal. "Je l’attends avec tous les moyens. Faites le nécessaire pour détruire le Boeing", dit Oufkir, alors homme fort du régime, à ses deux complices dans une soirée privée qui a eu lieu le 9 août. L’idée d’une attaque aérienne avait déjà été envisagée à l’aller. Un plan avait même été arrêté. Quatre avions d’escorte, armés de bombes et de roquettes devaient être stationnés à Tanger pour "intercepter" le roi au vol. Mais à la dernière minute, et contre toute attente, Hassan II décide d’abandonner l’avion pour emprunter un itinéraire surprenant : le train jusqu’à Tanger, le bateau jusqu’en Espagne, puis l’avion pour atterrir à Paris. L’étrange prémonition de Hassan II n’a fait que retarder l’échéance. Le projet de l’éliminer, en faisant appel à l’aviation militaire, était solidement ancré dans la tête d’Oufkir, depuis le 11 juillet 1971. Ce jour là, Amekrane, pris à part par Oufkir au lendemain du putsh raté de Skhirat, lui souffle (involontairement ?) l’idée : "Vous le savez, mon général : je dispose d’avions supersoniques de combat, d’un armement sophistiqué et d’un personnel qualifié. Sachez-le, si j’avais voulu fomenter un coup d’État, je l’aurais organisé moi-même". Le déclic se produit, alors. Oufkir, caressant le dessein d’éliminer Hassan II, venait d’en trouver le moyen : couvrir Amekrane et obtenir en échange sa collaboration à un coup d’État à partir de la base aérienne de Kénitra, fleuron des Forces Royales Air (FRA), dont il est le commandant. Avec un Amekrane, connu pour sa probité morale, le général s’offre une nouvelle virginité auprès d’officiers et de sous officiers qui ne le portaient pas dans leur cœur. Multipliant ses visites et ses largesses vis-à-vis du personnel de la base, Oufkir tente de redorer son blason, sans perdre de vue son objectif. Il va jusqu’à visionner sur place un film sur les nouvelles acquisitions qui font la fierté de l’armée de l’air, les avions de combat américains F5. Anecdote symbolique rapportée par le capitaine Ahmed El Ouafi, chef des moyens techniques : "Un jour, Oufkir est venu à mon bureau, accompagné du colonel Hosni Benslimane (à l’époque gouverneur de Kénitra) et d’autres hauts gradés de l’armée. Ils voulaient en savoir plus sur ces F5 qui devaient remplacer les MIG russes. Au moment où j’allais en parler, le portrait encadré de Hassan II s’est décroché du mur pour tomber par terre. Étrange coïncidence". Oufkir n’a pas de mal à convaincre Amekrane de détourner les F5 pour les besoins du coup d’État. Amekrane, aux intentions régicides bien établies, met au parfum son acolyte et adjoint, Kouéra. Malgré la confidentialité de rigueur, le coup d’État est un secret de polichinelle. Plusieurs cercles politiques, UNFP notamment, et militaires, se doutaient bien que "le duo Oufkir-Amekrane manigance quelque chose" (voir p 34-35). Un coup d’État pendait au nez de Hassan II. Restait les questions : où, quand et comment ?
Le matin des préparatifs (8h-14h)
Une réunion impromptue a lieu à l’état-major des FRA à Rabat le 16 août à 8h. Conduite par le colonel Hassan Lyoussi, elle a pour ordre du jour d’entériner des affectations tactiques adoptées précipitamment à la veille du coup d’État. Après que Amekrane ait été promu officiellement numéro deux des FRA, que Kouéra l’ait remplacé à la tête de la base de Kénitra, c’est au tour des subalternes de procéder au jeu des chaises musicales. Les permutations décidées au pied levé n’ont qu’un but, écrira plus tard El Ouafi, celui de "neutraliser (les officiers) et d'empêcher les autres bases aériennes de pouvoir réagir à temps aux évènements". Dans l’intervalle de la réunion, Amekrane, visiblement excité, est accroché à son téléphone avec à l’autre bout du fil le général Oufkir. Les deux hommes s’inquiètent de l’heure d’arrivée de l’avion royal et mettent au point les dernières retouches à leur plan d’action. L’attaque du Boeing se fera par une vraie-fausse escorte menée par six chasseurs F5 devant décoller de Kénitra. À l’aller, déjà, Lyoussi, patron de l’aviation militaire, leur avait suggéré d’organiser "une escorte armée qui survolerait le bateau royal", nous apprendra Amekrane lors de son procès. Mais le plan n’a finalement pas été retenu. Au retour, le trio l’attend de pied ferme. Première surprise déjà, le roi a décidé la veille (autre prémonition ?) de faire escale à Barcelone. Kouéra, absent de la réunion de Rabat, cherche par tous les moyens à déterminer le programme de vol du 727 royal. Amekrane surprend son petit monde et se pointe à la base, alors qu’il n’en est pourtant plus le commandant direct. "Vous croyez que vous vous étiez débarrassés de moi à jamais, dit-il en s’adressant à ses subordonnés. Eh bien, détrompez-vous ! Je prends le commandement de la base aujourd’hui et c’est moi qui dirige les opérations". Amekrane va jusqu’à refuser de piloter l’un des F5, comme l’avait souhaité initialement Oufkir, pour rester maître au sol via la tour de contrôle de Kénitra. Autour de lui, les officiers s’affairent. Ils ne sont pas tous dans les secrets des dieux. Le capitaine Salah Hachad dirige, en sa qualité de chef des opérations, le briefing relatif au plan de vol de l’escorte (cinq F5A monoplace et un biplace F5B). Il ne se doute pas de la suite des événements et il n’est pas le seul. Il assiste, impuissant, aux aménagements inattendus opérés par ses supérieurs. Le capitaine Larabi Hadj, initialement prévu dans l’escorte, est remplacé, sur ordre d’Amekrane, par le lieutenant Abdelkader Ziad. Une anecdote historique explique pourquoi ses chefs ont décidé de le mettre dans la confidence : en 1958, Ziad avait refusé de participer à l’opération menée par Hassan II et Oufkir contre les Rifains. Le deuxième changement est plus surprenant. Trois des F5A devant assurer la mission d’envol de l’escorte royale sont armés. Pourquoi ? Amekrane explique à ses officiers interloqués que "dorénavant, toutes les escortes seront armées. C’est la règle". Connaissant le côté droit, rigoureux, voire rigide de l’homme, son explication paraît plausible et ne suscite aucun atermoiement. Mais pourquoi trois seulement sur les six F5 affrétés pour la mission ? "C’est pour ne pas éveiller la suspicion des Américains (présents en force à la base de Kénitra)" (lire p 34-35).
.................................................. .....................................© Tarik Éditions
La légende veut que le roi ait survécu au coup de 72 grâce à sa "baraka". Une version qui ne résiste pas aux faits. Grâce à des témoignages inédits.
Hassan II est à Paris depuis le 26 juillet. Un Boeing 727 britannique, fraîchement acquis par la RAM, le conduira au royaume, dans l’après-midi du mardi 16 août 1972. Le roi est attendu, tout particulièrement par trois hommes : le général Mohamed Oufkir (ministre de l’Intérieur et ministre de la
Défense), le lieutenant-colonel Mohamed Amekrane et le commandant Louafi Kouéra. Depuis une semaine déjà, le trio a mis au point un scénario de coup d’État, dont l’amorce serait l’attaque de l’avion royal. "Je l’attends avec tous les moyens. Faites le nécessaire pour détruire le Boeing", dit Oufkir, alors homme fort du régime, à ses deux complices dans une soirée privée qui a eu lieu le 9 août. L’idée d’une attaque aérienne avait déjà été envisagée à l’aller. Un plan avait même été arrêté. Quatre avions d’escorte, armés de bombes et de roquettes devaient être stationnés à Tanger pour "intercepter" le roi au vol. Mais à la dernière minute, et contre toute attente, Hassan II décide d’abandonner l’avion pour emprunter un itinéraire surprenant : le train jusqu’à Tanger, le bateau jusqu’en Espagne, puis l’avion pour atterrir à Paris. L’étrange prémonition de Hassan II n’a fait que retarder l’échéance. Le projet de l’éliminer, en faisant appel à l’aviation militaire, était solidement ancré dans la tête d’Oufkir, depuis le 11 juillet 1971. Ce jour là, Amekrane, pris à part par Oufkir au lendemain du putsh raté de Skhirat, lui souffle (involontairement ?) l’idée : "Vous le savez, mon général : je dispose d’avions supersoniques de combat, d’un armement sophistiqué et d’un personnel qualifié. Sachez-le, si j’avais voulu fomenter un coup d’État, je l’aurais organisé moi-même". Le déclic se produit, alors. Oufkir, caressant le dessein d’éliminer Hassan II, venait d’en trouver le moyen : couvrir Amekrane et obtenir en échange sa collaboration à un coup d’État à partir de la base aérienne de Kénitra, fleuron des Forces Royales Air (FRA), dont il est le commandant. Avec un Amekrane, connu pour sa probité morale, le général s’offre une nouvelle virginité auprès d’officiers et de sous officiers qui ne le portaient pas dans leur cœur. Multipliant ses visites et ses largesses vis-à-vis du personnel de la base, Oufkir tente de redorer son blason, sans perdre de vue son objectif. Il va jusqu’à visionner sur place un film sur les nouvelles acquisitions qui font la fierté de l’armée de l’air, les avions de combat américains F5. Anecdote symbolique rapportée par le capitaine Ahmed El Ouafi, chef des moyens techniques : "Un jour, Oufkir est venu à mon bureau, accompagné du colonel Hosni Benslimane (à l’époque gouverneur de Kénitra) et d’autres hauts gradés de l’armée. Ils voulaient en savoir plus sur ces F5 qui devaient remplacer les MIG russes. Au moment où j’allais en parler, le portrait encadré de Hassan II s’est décroché du mur pour tomber par terre. Étrange coïncidence". Oufkir n’a pas de mal à convaincre Amekrane de détourner les F5 pour les besoins du coup d’État. Amekrane, aux intentions régicides bien établies, met au parfum son acolyte et adjoint, Kouéra. Malgré la confidentialité de rigueur, le coup d’État est un secret de polichinelle. Plusieurs cercles politiques, UNFP notamment, et militaires, se doutaient bien que "le duo Oufkir-Amekrane manigance quelque chose" (voir p 34-35). Un coup d’État pendait au nez de Hassan II. Restait les questions : où, quand et comment ?
Le matin des préparatifs (8h-14h)
Une réunion impromptue a lieu à l’état-major des FRA à Rabat le 16 août à 8h. Conduite par le colonel Hassan Lyoussi, elle a pour ordre du jour d’entériner des affectations tactiques adoptées précipitamment à la veille du coup d’État. Après que Amekrane ait été promu officiellement numéro deux des FRA, que Kouéra l’ait remplacé à la tête de la base de Kénitra, c’est au tour des subalternes de procéder au jeu des chaises musicales. Les permutations décidées au pied levé n’ont qu’un but, écrira plus tard El Ouafi, celui de "neutraliser (les officiers) et d'empêcher les autres bases aériennes de pouvoir réagir à temps aux évènements". Dans l’intervalle de la réunion, Amekrane, visiblement excité, est accroché à son téléphone avec à l’autre bout du fil le général Oufkir. Les deux hommes s’inquiètent de l’heure d’arrivée de l’avion royal et mettent au point les dernières retouches à leur plan d’action. L’attaque du Boeing se fera par une vraie-fausse escorte menée par six chasseurs F5 devant décoller de Kénitra. À l’aller, déjà, Lyoussi, patron de l’aviation militaire, leur avait suggéré d’organiser "une escorte armée qui survolerait le bateau royal", nous apprendra Amekrane lors de son procès. Mais le plan n’a finalement pas été retenu. Au retour, le trio l’attend de pied ferme. Première surprise déjà, le roi a décidé la veille (autre prémonition ?) de faire escale à Barcelone. Kouéra, absent de la réunion de Rabat, cherche par tous les moyens à déterminer le programme de vol du 727 royal. Amekrane surprend son petit monde et se pointe à la base, alors qu’il n’en est pourtant plus le commandant direct. "Vous croyez que vous vous étiez débarrassés de moi à jamais, dit-il en s’adressant à ses subordonnés. Eh bien, détrompez-vous ! Je prends le commandement de la base aujourd’hui et c’est moi qui dirige les opérations". Amekrane va jusqu’à refuser de piloter l’un des F5, comme l’avait souhaité initialement Oufkir, pour rester maître au sol via la tour de contrôle de Kénitra. Autour de lui, les officiers s’affairent. Ils ne sont pas tous dans les secrets des dieux. Le capitaine Salah Hachad dirige, en sa qualité de chef des opérations, le briefing relatif au plan de vol de l’escorte (cinq F5A monoplace et un biplace F5B). Il ne se doute pas de la suite des événements et il n’est pas le seul. Il assiste, impuissant, aux aménagements inattendus opérés par ses supérieurs. Le capitaine Larabi Hadj, initialement prévu dans l’escorte, est remplacé, sur ordre d’Amekrane, par le lieutenant Abdelkader Ziad. Une anecdote historique explique pourquoi ses chefs ont décidé de le mettre dans la confidence : en 1958, Ziad avait refusé de participer à l’opération menée par Hassan II et Oufkir contre les Rifains. Le deuxième changement est plus surprenant. Trois des F5A devant assurer la mission d’envol de l’escorte royale sont armés. Pourquoi ? Amekrane explique à ses officiers interloqués que "dorénavant, toutes les escortes seront armées. C’est la règle". Connaissant le côté droit, rigoureux, voire rigide de l’homme, son explication paraît plausible et ne suscite aucun atermoiement. Mais pourquoi trois seulement sur les six F5 affrétés pour la mission ? "C’est pour ne pas éveiller la suspicion des Américains (présents en force à la base de Kénitra)" (lire p 34-35).
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