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La polygamie chez les mormons fondamentalistes

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  • La polygamie chez les mormons fondamentalistes

    Le Figaro magazine nous propose un voyage au coeur du Sud-ouest du Canada, à Bountiful, où vit une communauté de mormons fondamentalistes, dont Winston Blackmore, un super polygame marié à 22 femmes et père de 103 enfants. Ils sont des adeptes de l'Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des saints du dernier jour (FLDS).


    Quatre des 103 enfants du fermier Winston Blackmore.

    Dans la famille mormon...

    Bountiful. Sud-ouest du Canada, près de la frontière américaine. Une nuée d'enfants s'échappe de la petite école au pied de la montagne de roc sombre, slalome entre les arbres rougis par l'automne. Ils sont trente, peut-être plus. Ils courent pieds nus vers une vaste maison sans ornements. Etrange impression. Tous se ressemblent. Blonds avec des yeux bleus. Car tous ont le même père. Winston Blackmore, 49 ans, a 22 femmes et 103 enfants. Il est aussi le bishop d'une communauté de mormons fondamentalistes : les adeptes de l'Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des saints du dernier jour (FLDS). Fondée en 1935, la FLDS, dissidente de la principale Eglise mormone - qui, en 1890, sous la pression des autorités fédérales, interdit la polygamie pratiquée jusqu'alors - se revendique chrétienne. Les communautés fondamentalistes s'établissent alors dans l'Utah et l'Arizona. Au début des années 50, un groupe de «pionniers» s'installe en terre canadienne, à quelques kilomètres de la petite ville de Creston, en Colombie-Britannique, et fonde Bountiful. Les parents de Winston Blackmore sont de ceux-là.

    Dans la maison de Lyons Road, où vivent plusieurs des femmes de Winston, les enfants viennent de faire irruption. Arrivée remarquée dans la cuisine, gigantesque avec ses dizaines de placards et son immense fourneau. Une petite se précipite : «Puis-je avoir du pop-corn, mère Ruth ?» Ruth n'est pas sa mère mais qu'importe. Ici, les femmes sont appelées mère par tous les enfants. A quelques pas, mère Jennifer et mère Zelpha servent aussi des bols de pop-corn aux petites mains qui se tendent avidement. Leurs cheveux sont tressés, elles portent des robes longues et des collants opaques. Leur peau est couverte des poignets aux chevilles. Elles se lancent des regards amusés. Ceci est leur monde. Dans leur monde, les hommes ont plusieurs femmes et les femmes de nombreux enfants.

    «Je ne pourrais pas vivre autrement, explique Leah, 23 ans et quatre enfants. Ma grand-mère vivait ainsi, ma mère aussi. Certains ne veulent pas admettre que nous choisissons cette vie, ils croient que nous agissons sous pression. C'est faux.»

    Les détracteurs, effectivement, sont nombreux. Associations féministes en tête, ils dénoncent le statut des femmes dans ces communautés, l'omnipotence masculine. Il y a aussi celles et ceux qui ont quitté la communauté.

    «J'avais envie de donner à mes enfants une plus grande chance de réussir, explique Ben Blackmore, 26 ans, quatre enfants, et neveu de Winston. Je veux qu'ils aillent à l'école publique, qu'ils pratiquent des sports d'équipe, qu'ils fassent tout ce que je n'ai pas pu faire. Cela ne m'empêche pas d'y retourner de temps en temps.»

    D'autres, en revanche, ne sont plus les bienvenus. C'est le cas de Debbie Palmer, ex-femme de Winston, qui dénonce * les problèmes rencontrés par des enfants souvent laissés sans surveillance - à 5 ans à peine, elle est agressée sexuellement par l'un de ses cousins de 14 ans - , la violence générée par les jalousies entre femmes, les mariages de filles trop jeunes - certaines n'ont que 15 ans - avec des hommes parfois âgés de cinquante ans de plus qu'elles. Une ligne rouge qu'il ne fallait pas franchir dans une communauté aux rituels secrets et qui n'aime pas voir ses arcanes exposés.

    Ruth, elle, dément ces accusations, expliquant que dans sa religion, ce sont les femmes qui choisissent les hommes. «C'est nous qui avons choisi Winston. La plupart d'entre nous l'avons vu prêcher. Il est tellement habité par l'esprit de Dieu lorsqu'il prêche...»

    L'homme, dès lors que la femme annonce sa préférence au prophète et que celui-ci accepte sa proposition, n'a d'autre choix que de consentir. Mais Winston est une exception et la plupart des hommes de la FLDS n'ont pas plus de trois femmes, qui viennent souvent des communautés voisines pour éviter la consanguinité. «La polygamie est pour nous un engagement sacré, reprend Ruth, qui admet dans un sourire que les jalousies viennent parfois ternir le tableau. Mais, ajoute-t-elle immédiatement, tu apprends à aimer, au-delà de cela, les qualités des autres. En contrepartie, tu vis dans un monde où tu n'es jamais seule, la communauté te soutient toujours, quelle que soit l'épreuve que tu traverses.»

    La communauté, maître mot à Bountiful où l'on préfère ne pas se mélanger avec ceux qui ont d'autres croyances : les «gentils». Ainsi les écoles sont-elles privées jusqu'en sixième. Après, ceux qui décident d'étudier choisissent les cours par correspondance, les préférant souvent à ceux de l'école des gentils, installée dans la ville voisine de Creston. Nombreux sont cependant ceux qui commencent à travailler dès l'âge de 15 ans, la plupart du temps dans les fermes ou entreprises de bois appartenant aux membres de la communauté.

    Car au travail, valeur fondamentale de leur société, les enfants sont rodés dès le plus jeune âge. Filles et garçons participent, après l'école et pendant les vacances, au travail des champs et à la coupe du bois. Dans les cuisines, de très petites filles prêtent main-forte aux mères, assidûment, en silence, apprenant selon un rituel presque sacré, comme on ferait une prière, un rôle qui, plus tard, sera le leur. Celui d'élever des enfants. Dès leur plus jeune âge, parfois 3 ou 4 ans, on offre aux fillettes des vêtements de bébé. Et ces vêtements, qui seront méticuleusement rangés, ne sont pas destinés à leurs poupées mais à leur futur enfant...

    Des rares étrangers qui pénètrent dans la communauté, les enfants ont d'abord peur. La question fuse, réitérée : «Allez-vous nous mettre en prison ?» Il y a ici une culture de la persécution. La polygamie est interdite aux Etats-Unis comme au Canada, et si les autorités locales sont désormais tolérantes face à ce qu'elles considèrent comme une pratique religieuse, le souvenir des rafles est encore vif dans l'esprit de tous. Zelpha, 31 ans et bientôt 6 enfants, huitième femme de Winston, raconte l'arrestation de ses grands-parents. Lui fut envoyé en prison, ses femmes à l'asile psychiatrique. C'est d'ailleurs là qu'est né le père de Zelpha. Puis sa grand-mère s'est enfuie avec son enfant, a rejoint son groupe. Alors on se méfie de l'étranger. Plus encore depuis que le prophète actuel, Warren Jeffs - autoproclamé depuis 2002 à la suite de la mort de son père, Rulon Jeffs -, est recherché par le FBI, accusé d'abus sexuels sur mineurs. Récompense : 10 000 dollars.

    Sur lui, que l'on dit volontiers cruel, circulent les rumeurs les plus folles, des viols répétés de jeunes garçons aux sacrifices publics d'animaux. Il s'est également illustré en expropriant sans préavis des fidèles et en remariant leurs femmes. Et il a déclaré indésirables les garçons de plus de 14 ans. Ceux-là, bannis de la communauté, errent en proie à la drogue et la prostitution. On les appelle les «lost boys», les garçons perdus.

    «Je ne comprends pas comment des mères peuvent tolérer de tels agissements, lance Winston Blackmore, qui, suivi par quelque 5 000 croyants FLDS, a décidé depuis trois ans de se désolidariser d'un prophète qu'il considère illégitime. Cet homme prouve qu'il n'est ni un chrétien - puisqu'il ne fait pas preuve de charité - ni un mormon - puisqu'il ne prêche pas pour l'union des familles. Il a des adeptes dévoués qui le trouvent saint. J'étais très proche de son père et je le connais assez pour savoir qu'il ne l'est pas.»

    Cette séparation est un véritable bouleversement pour la communauté. Les familles éclatent. «Depuis la séparation, explique Cherene, 57 ans, qui a souhaité être mariée à Winston après la mort de son précédent mari, ma fille ne me parle plus du tout. Pourtant elle n'habite qu'à quelques mètres de chez moi.»

    Car le prophète a dicté de nouvelles règles, et ceux qui l'ont suivi vivent coupés du reste du monde. Ceux-là s'enferment à la vue d'un gentil errant près de chez eux. Ceux-là portent des tenues très strictes, ne boivent ni thé ni café, ne peuvent écouter que les musiques enregistrées par le prophète, n'ont pas accès à la télévision ni à internet. Ceux-là n'ont plus le droit de rire sans craindre que l'esprit de Dieu ne déserte leur corps...

    Dans le «clan» Blackmore, la vie est plus douce et l'on rit volontiers. Winston a trouvé un moyen pour être présent chaque soir auprès de ses enfants : il a enregistré des minidisques d'histoires pour les petits. Toutes se terminent par «Bonne nuit, mes enfants. Souvenez-vous que je vous aime».

    Oui, Winston le dit bien haut, il aime tous ses enfants. Et avoue développer un système qui lui permettra de mémoriser chaque date d'anniversaire... Bientôt.

    Article et photo par KATIA CLARENS - FIGARO
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