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Histoire. Le courrier m’est tombé sur la tête

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  • Histoire. Le courrier m’est tombé sur la tête

    Par Hassan Hamdani
    Histoire. Le courrier m’est tombé sur la tête


    Sous le protectorat, des pilotes en charge du courrier entre la France et le Maroc ont écrit les premières pages de l’aviation civile. Ils traversaient le Sahara insoumis, au péril de leur vie. Retour sur l’histoire de l’Aéropostale au Maroc.


    La 1ère guerre mondiale à peine finie, les journaux français s’interrogent : “Que vont devenir nos pilotes ?” Certains vont se trouver un métier inattendu : facteur. Leur mission : livrer par voie aérienne le courrier de France vers son récent protectorat : le Maroc. Derrière ce

    projet fou, leur nouvel employeur, Pierre-Georges Latécoère. Cet industriel, reconverti dans la construction d’avions, effectue un vol Toulouse-Rabat, le 8 mars 1919, pour prouver qu’il ne rêve pas en couleurs. A l’atterrissage, sur la piste, l’attend le résident général, le Maréchal Lyautey. Latécoère a un cadeau pour lui : un exemplaire du journal Le Temps, daté de la veille. C’est un exploit à une époque où une lettre, postée à Paris, met une dizaine de jours pour arriver à Casablanca. Pour parachever la démonstration, Latécoère a amené aussi un bouquet de violettes, cueilli vingt-quatre heures plus tôt à Toulouse, et destiné à Madame la Maréchale. Convaincu, Lyautey accorde une subvention de 1 million de francs à Latécoère et une exclusivité du transport du courrier vers la France. En septembre 1919, sept mois à peine après le vol inaugural de Latécoère, les postiers de l’air acheminent de façon régulière le courrier entre la France et Casablanca. Mais leur employeur voit déjà plus loin. Latécoère veut relier Paris à Dakar, et au-delà, délivrer le courrier jusqu’en Amérique du Sud. Ses avions doivent pour cela traverser le Maroc. L’entrepreneur appelle à nouveau le Résident général à la rescousse : “Au cours de l’été 1922, Pierre Latécoère, atterrissant à Casablanca, me demanda de lui obtenir une audience auprès du Maréchal Lyautey. (…)Pierre Latécoère exposait en détail son plan : Toulouse, Casa, Dakar, Pernambouc, Rio de Janeiro, Montevideo, Buenos Aires”, raconte dans ses mémoires le Capitaine Joseph Roig, militaire choisi par Latécoère pour reconnaître les futures escales de la ligne Casablanca-Dakar. Lyautey, mis au parfum, détache un sous-officier des goumiers pour servir d’interprète à Roig.

    Aviateurs en territoire hostile
    Le courrier doit traverser le Rio de Oro et le désert mauritanien, longues étendues de sable où la domination française n’a pas prise. Roig a pour mission de déterminer les points d’atterrissage les plus sûrs, et négocier avec les tribus nomades, promptes à la gâchette et au pillage. Le missi dominici de Latécoère et Lyautey choisit Cap Juby (actuelle Tarfaya) et Villa Cisneros (actuelle Dakhla) comme étapes marocaines de la ligne postale. C’est là que seront déposés les pièces de rechange, le carburant et les avions de dépannage. A peine protégés par deux forts espagnols, perdus selon l’expression de l’époque dans un pays en “dissidence”. Aussi, les gens de Latécoère décident que tous les courriers seront accompagnés d’un interprète pour les négociations de rançon, et d’un deuxième avion pour venir en aide au premier en cas de panne. Casablanca-Dakar est ouverte en juin 1925. Un an et demi plus tard, elle faisait ses premières victimes. Deux pilotes meurent abattus par des membres de tribus du Rio de Oro, tandis qu’un troisième est fait prisonnier. Blessé par balles, criblé de coups de couteaux, le pilote-otage “préfère mettre fin à ses souffrances en buvant d’un trait la teinture d’iode et l’acide phénique qu’il portait en deux flacons sur lui. Ses ravisseurs le crurent mort et l’abandonnèrent dans le désert. Récupéré par une mission de sauvetage, il s’éteignit dix jours plus tard dans un hôpital de Casablanca, l’intestin perforé par les substances chimiques qu’il avait absorbé”, raconte Joseph Kessel dans “Vent de Sable”. Embeded dans un avion de l’Aéropostale, le reporter écrivain contribue à bâtir le mythe de pilotes-aventuriers bravant la mort et les Maures. Presque autant qu’un autre auteur : Antoine de Saint-Exupéry.

    Des racines et des ailes
    Nommé chef d’escale à Cap Juby, en octobre 1927, le futur géniteur du “Petit Prince” est chargé d’aller sauver les pilotes tombés en panne dans le désert ou négocier leurs rançons s’ils ont été fait prisonniers. “Je fais un métier d’aviateur, d’ambassadeur et d’explorateur !”, écrira-t-il. Les exigences des ravisseurs sont parfois irréalistes. Contre deux pilotes, des rebelles locaux exigent un million de fusils, un million de chameau et la libération de leurs prisonniers détenus en Mauritanie. Le directeur de la ligne, Didier Daurat, considère l’escale de Cap Juby comme essentielle pour assurer la sécurité des pilotes. Il cherche un négociateur apte à s’entendre avec les tribus locales. Le choix de Saint-Exupéry s’impose à lui : “Il nous fallait aussi des hommes de tact, capables de discerner l’esprit, les sentiments, l’âme de ces peuplades divisées chez lesquelles, en Afrique, nous rêvions de faire poser régulièrement nos avions”, expliquera plus tard Daurat dans un langage fleuri. Entre deux missions de sauvetage en avion, quelques marchandages avec les tribus pour faire libérer des aviateurs de l’Aéropostale, Saint-Exupéry cogite dans “ces coulisses du Sahara, ornées de quelques figurants”, qui l’ennuient “comme une banlieue sale”, écrit-il à sa mère en 1927. Pourtant, il déteste Casablanca, ses immeubles modernes, “ses cafés somptueux peuplés de colons rapaces”. La ville où ses camarades d’épopée font la fête, la légende vivante de l’Aéropostale, Jean Mermoz, en tête. Là “où leur travail périlleux achevé, ils étaient nets de tout souci, hors celui de s’amuser comme des enfants”, souligne Joseph Kessel. Dans la ville blanche, les pilotes de l’Aéropostale ont la cote auprès des dames élégantes et des messieurs qui les admirent. Ils risquent leur vie pour un sac de lettres, transportent des têtes couronnées comme Albert 1er, roi des Belges, le Maréchal Pétain et un président de la république française. Et parfois, au milieu des lettres, un petit air de Paris : des robes du soir de grands noms de la haute couture, commandées par la Maréchale Lyautey et les femmes de hauts fonctionnaires ou négociants.

    Saint-Ex, seul dans le désert
    Loin de la vie mondaine casablancaise et des fêtes entre pilotes, Saint-Exupéry passe 18 mois à Cap Juby pendant lesquels il devient l’interlocuteur privilégié des tribus locales. On parle beaucoup de lui à Casablanca entre aviateurs, de sa solitude et de ses missions de sauvetage. Dans ce bout de désert perdu au milieu de nulle part, Saint-Exupéry se balade en vieux pyjama ou en tenue débraillée, loge dans une simple baraque avec pour meubles quelques caisses, et pour tout verrou une magnéto à laquelle son mécanicien a adapté une hélice. Branché à la poignée de la porte, le système artisanal, qui lâche une décharge électrique, protège Saint-Exupéry des “rôdeurs maures.” Insomniaque, il écrit la nuit, pond Courrier Sud, son premier roman à la gloire des pilotes de l’Aéropostale. Cap Juby et le désert environnant lui auraient aussi inspiré Le Petit Prince, veut la légende. Une chose est sûre au moins, “c’est là qu’il médite, c’est de là qu’est sorti Saint-Exupéry”, l’écrivain s’entend, témoignera plus tard Didier Daurat. Subsistant grâce à des subventions, l’Aéropostale est en proie à des difficultés financières et finit par déposer son bilan en 1932. Les lignes ouvertes vers l’Amérique du Sud, via le Maroc, sont abandonnées, tandis que la compagnie tombe dans le giron de la future Air France. C’est la fin de l’aventure aérienne, le début des temps modernes de l’aviation. De cette époque, il ne reste que quelques vestiges. Un vieil habitant de Tarfaya (ex-Cap Juby) qui, gamin, assistait Saint-Exupéry. Il témoigne désormais devant les caméras à chaque escale du rallye Toulouse -Saint-Louis du Sénégal. Une course d’avions pour nostalgiques indécrottables de l’Aéropostale…

    © 2009 TelQuel Magazine. Maroc.
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