3 avril 2009
« Cette crise porte un coup dévastateur à la crédibilité et la légitimité des États-Unis à travers le monde, » a asséné Wolf aux Sénateurs américains qui l’avaient convié à à donner sa lecture de la situation. Martin Wolf est un adepte résolu de la mondialisation. Mais loin de se contenter de chanter ses mérites, comme beaucoup, c’est un esprit aigu qui sait analyser les faiblesses du système, en saisir les contradictions, y déceler les tendances lourdes, et n’hésite pas a exprimer franchement son opinion. Devant les Sénateurs, il ne s’est pas cantonné à une analyse économique technique, mais leur a signifié à quel point cette crise « made in USA » serait lourde de conséquences globales. Car au delà de leur statut désormais compromis, c’est le modèle de la mondialisation qu’ils avaient impulsé qui est désormais remis en cause. Si les USA eux même ne parviennent pas à maitriser le marché libre, qui le pourrait ? Si la mondialisation présente de tels dangers, pourquoi s’y insérer ? Cette crise va ouvrir une période de transformations profondes, diagnostique-t-il. Le rôle des USA, mais aussi de l’occident dans son ensemble, sera remis en cause, en raison de leur échec patent à prévenir de telles catastrophes. De la même façon que le souvenir de la Dépression des années trente avait façonné le monde durant près d’un demi siècle, cette crise redéfinira pour longtemps les orientations et les choix politiques dans le monde entier. Elle entraînera un renforcement du contrôle exercé par le politique sur les marchés, prévoit Wolf, mais elle bouleversera aussi les hiérarchies établies. Les pays émergents ne se contenteront plus d’être réduits au second rôle dans des institutions internationales dont les responsables en titre ont fait un si mauvais usage. Les pays asiatiques, en particulier, qui gardent encore le souvenir cuisant des humiliations subies de la part du FMI et des USA en 1998, rappelle Wolf, réclameront d’obtenir voix au chapitre. Ce à quoi nous sommes confrontés c’est bien à une rupture de dimension historique : « l’effondrement du système financier occidental, alors que la Chine semble prospère, marque de façon humiliante la fin du “moment unipolaire”. »
Communication de Martin Wolf devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat des Etats-Unis, 25 mars 2009
Nous vivons la plus dangereuse crise économique et financière depuis les années 1930. Mais c’est également une crise ayant un impact sur les relations internationales : une profonde récession va ébranler la stabilité politique à travers le monde, et elle représente une menace pour l’objectif poursuivi depuis longtemps par les États-Unis qui est de créer un marché ouvert et dynamique pour l’économie mondiale. Peut-être plus important encore, les États-Unis sont actuellement considérés comme la source du problème plutôt que de sa solution.
Par conséquent, cette crise porte un coup dévastateur à la crédibilité et la légitimité des États-Unis à travers le monde. Si les États-Unis ne parviennent pas à gérer le capitalisme de marché libre, qui le pourrait ? Si le capitalisme de marché libre peut créer de tels dommages, pourquoi l’adopter ? Si l’ouverture à l’économie mondiale comporte de tels dangers, pourquoi prendre ce risque ? Alors que le choc subi se transforme en colère, non seulement aux États-Unis, mais partout dans le monde, ces questions sont posées. Si les États-Unis souhaitent fournir les bonnes réponses, ils doivent traiter cette crise chez eux, et faire ce qu’il peuvent pour venir en aide aux victimes innocentes à l’étranger. Ce n’est pas une question de charité. C’est une question d’intérêt personnel.
La crise économique mondiale est devenue extrêmement grave : le système financier est sous perfusion, avec des milliers de milliards de dollars fournis par les gouvernements. Trois des quatre banques centrales les plus importantes - la Réserve fédérale, la Banque du Japon et de la Banque d’Angleterre - ont des taux d’intérêt proche de zéro, et la Banque centrale européenne devrait suivre le mouvement. Les gouvernements assouplissent également leur politique budgétaire de façon agressive, avec des déficits pour les pays avancés membres du G-20 qui devraient atteindre 6,7 pour cent du PIB cette année et 7,6 pour cent en 2010.
Cette politique de soutien massif répond à une situation économique de plus en plus sombre : le Fonds Monétaire International prévoit que la production mondiale va diminuer de 0,5 pour cent à 1 pour cent cette année, ce qui est une révision à la baisse de ses prévisions de 1 à 1,5 points de pourcentage en deux mois. Il prévoit également que les économies des pays avancés se contracteront de 3 à 3,5 pour cent, ce qui est le pire résultat depuis les années 1930.
Rien de tout cela n’est surprenant. Non seulement le système financier mondial, s’est bloqué à la fin de l’année dernière, mais la Banque Asiatique de Développement a indiqué que la perte totale de patrimoine sur le marché mondial s’élève à 50 000 milliards, ce qui représente près d’un an de la production mondiale. La perte de patrimoine sur les places boursières représente à elle seule 25 000 milliards de dollars. La demande de produits manufacturés, le niveau de leur production et leur commerce mondial sont tombés en chute libre à la fin de l’an dernier : la production industrielle Allemande a baissé de 19,2 pour cent sur un an en Janvier, celle de la Corée du Sud de 25,6 pour cent et celle du Japon de 30,8 pour cent.
Inévitablement, et de façon tragique, les plus durement touchés sont les pays qui se sont ouvert aux capitaux mondiaux, en particulier les pays émergents en Europe centrale et orientale. Ceux-ci forment le seul groupe important de pays émergents à avoir été importateurs nets de capitaux dans les années 2000, avec pour résultat une situation déjà observée à de nombreuses reprises durant ces trois dernières décennies, lorsque les détenteurs capitaux prennent peur. Ces pays font face au risque d’un effondrement, précisément parce que ils ont fait confiance à l’Europe et aux marchés de capitaux. Depuis juin dernier, le consensus des prévisions de croissance pour cette année en Europe de l’Est, a chuté de plus 6 pour cent à moins 0,5 pour cent. Il va certainement continuer à baisser. Mais toutes les économies émergentes sont affectées par la perte de la demande extérieure, la réduction des flux de capitaux à l’échelle mondiale et les hausses résultantes dans le coût du crédit.
« Cette crise porte un coup dévastateur à la crédibilité et la légitimité des États-Unis à travers le monde, » a asséné Wolf aux Sénateurs américains qui l’avaient convié à à donner sa lecture de la situation. Martin Wolf est un adepte résolu de la mondialisation. Mais loin de se contenter de chanter ses mérites, comme beaucoup, c’est un esprit aigu qui sait analyser les faiblesses du système, en saisir les contradictions, y déceler les tendances lourdes, et n’hésite pas a exprimer franchement son opinion. Devant les Sénateurs, il ne s’est pas cantonné à une analyse économique technique, mais leur a signifié à quel point cette crise « made in USA » serait lourde de conséquences globales. Car au delà de leur statut désormais compromis, c’est le modèle de la mondialisation qu’ils avaient impulsé qui est désormais remis en cause. Si les USA eux même ne parviennent pas à maitriser le marché libre, qui le pourrait ? Si la mondialisation présente de tels dangers, pourquoi s’y insérer ? Cette crise va ouvrir une période de transformations profondes, diagnostique-t-il. Le rôle des USA, mais aussi de l’occident dans son ensemble, sera remis en cause, en raison de leur échec patent à prévenir de telles catastrophes. De la même façon que le souvenir de la Dépression des années trente avait façonné le monde durant près d’un demi siècle, cette crise redéfinira pour longtemps les orientations et les choix politiques dans le monde entier. Elle entraînera un renforcement du contrôle exercé par le politique sur les marchés, prévoit Wolf, mais elle bouleversera aussi les hiérarchies établies. Les pays émergents ne se contenteront plus d’être réduits au second rôle dans des institutions internationales dont les responsables en titre ont fait un si mauvais usage. Les pays asiatiques, en particulier, qui gardent encore le souvenir cuisant des humiliations subies de la part du FMI et des USA en 1998, rappelle Wolf, réclameront d’obtenir voix au chapitre. Ce à quoi nous sommes confrontés c’est bien à une rupture de dimension historique : « l’effondrement du système financier occidental, alors que la Chine semble prospère, marque de façon humiliante la fin du “moment unipolaire”. »
Communication de Martin Wolf devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat des Etats-Unis, 25 mars 2009
Nous vivons la plus dangereuse crise économique et financière depuis les années 1930. Mais c’est également une crise ayant un impact sur les relations internationales : une profonde récession va ébranler la stabilité politique à travers le monde, et elle représente une menace pour l’objectif poursuivi depuis longtemps par les États-Unis qui est de créer un marché ouvert et dynamique pour l’économie mondiale. Peut-être plus important encore, les États-Unis sont actuellement considérés comme la source du problème plutôt que de sa solution.
Par conséquent, cette crise porte un coup dévastateur à la crédibilité et la légitimité des États-Unis à travers le monde. Si les États-Unis ne parviennent pas à gérer le capitalisme de marché libre, qui le pourrait ? Si le capitalisme de marché libre peut créer de tels dommages, pourquoi l’adopter ? Si l’ouverture à l’économie mondiale comporte de tels dangers, pourquoi prendre ce risque ? Alors que le choc subi se transforme en colère, non seulement aux États-Unis, mais partout dans le monde, ces questions sont posées. Si les États-Unis souhaitent fournir les bonnes réponses, ils doivent traiter cette crise chez eux, et faire ce qu’il peuvent pour venir en aide aux victimes innocentes à l’étranger. Ce n’est pas une question de charité. C’est une question d’intérêt personnel.
La crise économique mondiale est devenue extrêmement grave : le système financier est sous perfusion, avec des milliers de milliards de dollars fournis par les gouvernements. Trois des quatre banques centrales les plus importantes - la Réserve fédérale, la Banque du Japon et de la Banque d’Angleterre - ont des taux d’intérêt proche de zéro, et la Banque centrale européenne devrait suivre le mouvement. Les gouvernements assouplissent également leur politique budgétaire de façon agressive, avec des déficits pour les pays avancés membres du G-20 qui devraient atteindre 6,7 pour cent du PIB cette année et 7,6 pour cent en 2010.
Cette politique de soutien massif répond à une situation économique de plus en plus sombre : le Fonds Monétaire International prévoit que la production mondiale va diminuer de 0,5 pour cent à 1 pour cent cette année, ce qui est une révision à la baisse de ses prévisions de 1 à 1,5 points de pourcentage en deux mois. Il prévoit également que les économies des pays avancés se contracteront de 3 à 3,5 pour cent, ce qui est le pire résultat depuis les années 1930.
Rien de tout cela n’est surprenant. Non seulement le système financier mondial, s’est bloqué à la fin de l’année dernière, mais la Banque Asiatique de Développement a indiqué que la perte totale de patrimoine sur le marché mondial s’élève à 50 000 milliards, ce qui représente près d’un an de la production mondiale. La perte de patrimoine sur les places boursières représente à elle seule 25 000 milliards de dollars. La demande de produits manufacturés, le niveau de leur production et leur commerce mondial sont tombés en chute libre à la fin de l’an dernier : la production industrielle Allemande a baissé de 19,2 pour cent sur un an en Janvier, celle de la Corée du Sud de 25,6 pour cent et celle du Japon de 30,8 pour cent.
Inévitablement, et de façon tragique, les plus durement touchés sont les pays qui se sont ouvert aux capitaux mondiaux, en particulier les pays émergents en Europe centrale et orientale. Ceux-ci forment le seul groupe important de pays émergents à avoir été importateurs nets de capitaux dans les années 2000, avec pour résultat une situation déjà observée à de nombreuses reprises durant ces trois dernières décennies, lorsque les détenteurs capitaux prennent peur. Ces pays font face au risque d’un effondrement, précisément parce que ils ont fait confiance à l’Europe et aux marchés de capitaux. Depuis juin dernier, le consensus des prévisions de croissance pour cette année en Europe de l’Est, a chuté de plus 6 pour cent à moins 0,5 pour cent. Il va certainement continuer à baisser. Mais toutes les économies émergentes sont affectées par la perte de la demande extérieure, la réduction des flux de capitaux à l’échelle mondiale et les hausses résultantes dans le coût du crédit.
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