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Faut-il avoir peur du protectionnisme ?

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  • Faut-il avoir peur du protectionnisme ?

    «Avec le capitalisme nouveau, le libre-échange ne fonctionne plus», juge Guillaume Bachelay. «Il ne peut fonctionner que dans une aire dotée de règles respectées par tous», lui répond Christian Saint-Etienne.

    Le Figaro Magazine - Pourquoi le protectionnisme est-il devenu une sorte de tabou?

    Christian Saint-Etienne - Parce qu'il a joué un rôle clé d'accélération lors de la crise de 1929 : quatre ans plus tard, le commerce mondial en valeur avait baissé des deux tiers. La communauté économique et politique internationale est restée marquée par cet épisode, considérant que toute nouvelle flambée de protectionnisme provoquerait une crise de même nature. Un Lehman Brothers bis, une attaque israélienne sur l'Iran, un pays qui perdrait ses nerfs en élevant des barrières protectionnistes réamorceraient le cauchemar de la dépression. Sans sursaut politique en Europe, on pourrait craindre l'éclatement de l'euro avec, pour avenir, l'inconnu. Comme disent les Anglo-Saxons, uncharted territories.

    Guillaume Bachelay - Depuis que le commerce se fait dans le cadre des Etats nations, le monde est protectionniste : c'est vrai de Colbert à Pascal Lamy. Les Etats-Unis financent leur appareil militaro-industriel par la commande publique. La Chine fixe des restrictions aux importations sur son territoire, tout en favorisant ses exportations par la sous-évaluation du yuan. La Russie fait le blocus sur certaines automobiles étrangères. Le Brésil soumet la moitié de ses importations à des clauses d'autorisation. L'Inde interdit les jouets chinois, etc. La question n'est donc pas de savoir s'il faut une Europe protectionniste, mais comment elle devient plus protectrice. Pour sauver nos secteurs traditionnels et développer les industries innovantes, il faut pouvoir protéger un cadre commercial de manière temporaire et communautaire. Le libre-échange a eu ses vertus de développement des nations et de dialogue entre les peuples, mais avec l'essor d'un capitalisme mondial et financier, le système se grippe. «Tous concurrents, et que le moins cher gagne!», c'est un slogan mortel ! Comment voulez-vous que nos salariés et nos entrepreneurs tirent leur épingle du jeu sans un mixte d'innovation et de protection, face à des concurrents disposant d'un réservoir de main-d'œuvre inépuisable, de salaires 40 fois inférieurs aux nôtres et qui ne respectent pas les règles du jeu international ? Si l'Europe ne se réveille pas, c'est tout son appareil industriel et, à terme, son modèle de société qui seront bazardés.

    Christian Saint-Etienne - Votre propos est habile et même convaincant pour qui ne connaît pas le sujet. Le libre-échange serait, selon vous, une vertu qui ne fonctionne plus, alors que toute l'histoire est une recherche d'ouverture de marché. Les Romains n'ont rien fait d'autre que de créer un empire de libre-échange. Qu'est-ce que la constitution des royaumes du Moyen Age jusqu'à la Renaissance, sinon l'extension de l'aire à l'intérieur de laquelle, de par l'action du roi, il y aura du libre-échange ? A mesure que l'on a fait sauter le blocage au commerce, le niveau de vie s'est élevé. Avant la spécialisation des pays selon leurs compétences et la division du travail rendues possibles par ce système, je dirais, pour schématiser, que l'on mangeait des racines ! Mais le libre-échange ne peut fonctionner que dans le cadre d'une aire politique et économique dotée d'un Etat de droit bien construit, avec des règles respectées par tout le monde. Or que s'est-il passé ? L'OMC, au départ, ne comprenait que des pays développés avec des valeurs et des systèmes juridiques très proches. Mais, lorsqu'elle s'est étendue à des pays n'appliquant pas le droit euro-américain, elle est devenue un marché de dupes. L'Europe en est la principale victime, dès lors qu'elle prétend à une politique d'ouverture. La question n'est donc pas la distinction entre protectionnisme et protection, ainsi que vous l'affirmez, mais la réciprocité. Si l'on était capable d'obtenir des Chinois et des Américains le même degré d'ouverture, les mêmes règles environnementales et règles du travail que les nôtres, le libre-échange serait une excellente chose au plan mondial. Le concept de libre-échange est comme l'eau : on peut y nager ou s'y noyer.

    Guillaume Bachelay - Aujourd'hui, il y a trois options possibles. Soit poursuivre le libre-échange dérégulé, fondé sur le laisser-faire et l'hyper spécialisation de l'économie. Or, les pays les plus touchés par la crise - Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne - sont ceux qui ont cédé à cette double tentation. Soit édifier un protectionnisme idiot, national, permanent, généralisé : c'est celui auquel, hélas, on assiste actuellement. Le scénario que j'appelle de mes vœux vise à échapper à cette double impasse : il s'agit de mettre en place les modalités d'une protection commerciale européenne ciblée. En direction des autres grandes régions économiques, l'Union européenne et ses 450 millions de consommateurs doivent mettre en place un « juste échange ». Par exemple, il faut créer un rapport de forces avec la Chine en mettant en place des écluses sociales et écologiques. Désolé, mais on ne peut pas dire que tout se vaut, que les pays qui produisent en respectant les règles de l'Organisation internationale du travail ou le protocole de Kyoto valent ceux qui s'assoient dessus ! Il faut être pragmatiques et responsables : faute de protections européennes coopératives, ciblées, ponctuelles, nous aurons un protectionnisme xénophobe, dé sor donné et constant sous la forme de plans de relance riquiqui et rivaux aussi diplomatiquement dangereux qu'inefficaces économiquement ! Des restrictions au libre-échange à tous crins sont donc indispensables, adossées à des droits compensatoires en matière sociale et environnementale. L'autre volet d'action, c'est l'Europe vis-à-vis d'elle-même, c'est-à-dire la lutte antidumping fiscal et social. Car les délocalisations intra-européennes ne sont pas un fantasme.

    Christian Saint-Etienne - Et, par le biais du protectionnisme, vous voulez compenser le fait qu'il n'y a pas de gouvernement économique européen ni de volonté politique de construire un projet fédéral commun ? Ce que vous proposez, c'est la politique du pire. Il faudrait que la France mette ses affaires en ordre, qu'elle voie les Allemands pour remettre les choses d'équerre en Europe, en reconnaissant qu'on s'est trompés lors de l'ouverture de l'Union européenne. Il fallait créer une aire intégrée sur le plan fiscal, social et environnemental au sein de l'Europe, qui aurait permis un libre-échange efficace, alors que la politique de concurrence intra-européenne est proprement suicidaire.

    Guillaume Bachelay - Votre pensée, au fond, c'est une longue litanie de « et si », « et si », « et si »... Après la crise, c'est comme avant, en somme.

    Christian Saint-Etienne - J'en ai autant à votre service.

    Guillaume Bachelay - La politique du pire, M. Saint-Etienne, c'est la pire des politiques : celle qui nous a amenés à la crise où nous sommes. Trois décennies de dérégulation et de désindustrialisation. Vous ne pouvez pas faire comme si ce modèle n'avait pas échoué.

    Christian Saint-Etienne - Plus de un milliard de Chinois et d'Indiens sont sortis de la pauvreté grâce à cela. On ne peut pas l'oublier. Sauf à vouloir faire un retour au marxisme, qui était en soi du protectionnisme.

    Guillaume Bachelay - Le cadre libre-échangiste n'est donc pas négociable !

    Christian Saint-Etienne - Je vous dis l'inverse !

    Guillaume Bachelay - Vous avez dit que l'on y nage ou que l'on s'y noie ! Pourquoi refusez-vous à la fois les bouées et le pont ?

    Christian Saint-Etienne - Les bouées, avec vous, ce sont des subventions, et le pont ce sont des barrières. Et cela finit toujours par le régime national-socialiste. Vous faites une erreur de diagnostic majeure. La concurrence dont on crève aujourd'hui est accessoirement la chinoise, et fondamentalement le mode de construction européen, qui repose sur une concurrence fiscale et sociale frontale à l'intérieur de l'Union.

    Guillaume Bachelay - Nous sommes au moins d'accord sur ce point.

    Christian Saint-Etienne - C'est cela qui est hallucinant. Nous faisons un débat de sourds. Le problème n'est pas le libre-échange, mais le fait que l'Europe ne comprenne pas que ce système ne fonctionne que dans un certain cadre, et que, pour l'acquérir, il faut une stratégie de mise en œuvre.

    Guillaume Bachelay - Sauf qu'il y a urgence et que c'est dès maintenant qu'il faut en tirer les conséquences...

    * Christian Saint-Etienne, économiste, professeur à Dauphine-Paris-IX et
    à l’université de Tours. Dernier ouvrage paru : « La France est-elle en faillite ? Quinze propositions pour en sortir », Bourin Editeur (2008).

    * Guillaume Bachelay, conseiller de Laurent Fabius, est secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies. Dernier ouvrage paru : « Désert d’avenir ? Le Parti socialiste 1983- 2007 », Encyclopédie du socialisme (2007).

    Patrice de Méritens
    10/04/2009
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