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Quand un juge raconte les paradis fiscaux...

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  • Quand un juge raconte les paradis fiscaux...

    Le jour où l'OCDE annonce triomphante qu'il n'y a plus aucun pays sur la liste noire des paradis fiscaux, que le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay ont donné depuis jeudi les gages suffisants pour rejoindre le purgatoire, il n'est pas inutile de lire Bernard Bertossa. Il sait, lui, de quoi il parle quand il aborde ces sujets. «En 2008, il n'y a toujours pas de volonté sérieuse d'éradiquer la corruption et toujours pas de politique concertée en matière de lutte contre la grande criminalité d'argent», dit l'ancien procureur général de Genève.
    En fonction de 1990 à 2002, il fut un des rouages essentiels de toutes les grandes affaires en Europe – Elf, les frégates de Taiwan, la mafia russe, l'opération « Mains propres » en Italie, les dossiers Longuet, Noir, Carignon...
    Avec six autres juges européens, dont le français Renaud Van Ruymbecke et l'espagnol Baltasar Garzon, il fut à l'origine de l'Appel de Genève en octobre 1996. Ils y dénonçaient déjà les paradis fiscaux et l'impunité de la délinquance en col blanc. A l'époque, il ne manqua pas de contradicteurs – Alain Minc excella notamment dans cet exercice comme Bernard Bertossa le rappelle dans son livre –, pour critiquer l'initiative de ces «petits juges» qui cherchaient à travers la mise en cause de personnalités importantes «à prendre le pouvoir et à se venger».

    Retiré désormais du monde judiciaire, l'ancien procureur général revient avec précision et nuances sur tous ces problèmes qui ont occupé une grande partie de sa carrière. Sur les paradis fiscaux, sujet du moment, son analyse est simple. «Si on veut réellement savoir si un Etat lutte contre le blanchiment d'argent ou s'il coopère sérieusement aux enquêtes criminelles, il ne suffit pas de lire sa législation ou d'écouter poliment son représentant au sein d'une assemblée. Il faut aller dans le cabinet d'un procureur ou d'un juge (...) et constater le nombre de fois où ses commissions rogatoires ne reçoivent aucune réponse», explique-t-il. Un test imparable qui lui permet de dresser très vite sa liste: les îles Caïmans, les îles Vierges, les Bahamas, Singapour, certaines îles anglo-normandes, par exemple, ou Chypre, un des cas les plus choquants, selon lui, car au cœur de l'espace européen.

    S'il dit que la Suisse a fait de grands progrès en matière de blanchiment, il ne comprend toujours pas l'attitude – beaucoup trop compréhensive, selon lui – de son pays à l'égard des «évadés fiscaux». D'abord, pour l'ancien procureur, l'évasion fiscale est un vol «à l'égard de l'Etat mais aussi des contribuables honnêtes à qui on impose une charge fiscale supplémentaire». De plus, à l'expérience, la frontière pour lui entre faux bilan, fraudes comptables et évasion fiscale est des plus poreuses, la perspective de gains masqués entraînant souvent bien d'autres violations de la loi.
    L'hypocrisie de certains pays

    L'ancien juge, cependant, a du mal à supporter «l'hypocrisie» qui entoure toutes ces questions. Comme il le rappelle, quand il y a un corrompu, il y a aussi un corrupteur. De même, il trouve un peu trop facile, dit-il, de dénoncer à la vindicte publique Monaco, l'Andorre ou le Liechtenstein. «C'est une bourgade de 35.000 âmes où sont domiciliées plus de sociétés que d'habitants! Je ne vois pas comment ce duché pourrait résister à des pressions de l'Union européenne si celle-ci avait sérieusement l'intention de mettre fin aux pratiques qu'elle reproche à ce pays», remarque-t-il. Il s'étonne en revanche de l'étrange silence qui entoure la place de Londres, où l'argent de tous les trafics trouve refuge en toute impunité. La justice britannique étant en plus, selon lui, totalement inadaptée à la délinquance financière moderne.

    Douze ans de coopérations judiciaires avec l'ensemble de l'Europe pour traquer les pratiques noires de la finance – il avait été élu pour cela, insiste-t-il, à plusieurs reprises – lui ont permis de juger les systèmes judiciaires européens, les pratiques des uns et des autres. Il n'est ainsi toujours pas revenu de l'attitude de Jean Veil, «le fils de Simone Veil» insiste-t-il, qui conseilla par écrit en tant qu'avocat aux dirigeants du Crédit lyonnais, alors en pleine déconfiture, de détruire tous les documents compromettants avant les perquisitions. «En Suisse, un avocat qui conseillerait de faire le ménage avant que le juge arrive serait poursuivi pour entrave au bon déroulement de la justice. En France, il ne s'est rien passé (...) Et c'est le contribuable français qui a dû payer pour renflouer la banque», remarque-t-il.

    Mais à côté, il y a aussi le comportement de tous ces juges courageux, à Milan, Paris, Madrid ou ailleurs, n'hésitant pas à ouvrir les dossiers, à prendre des risques, à utiliser toutes les parcelles de la loi pour faire avancer la justice. Comme procureur général de Genève, il leur offrit toute l'aide possible à chaque fois qu'il le put. Sans lui, point de frégate de Taiwan, point de dossier Leuna – le groupe pétrolier est-allemand racheté par Elf au début des années 1990 qui donna lieu à plus de 260 millions d'euros de rétrocommissions –, et surtout point de mise en lumière des circuits inconnus, des mécanismes complexes utilisés pour permettre les évasions financières.

    Aujourd'hui, il revient sur ces dossiers oubliés, les inachevés, ceux enterrés sous le secret défense. Y a-t-il encore une volonté de batailler sur ces sujets en Europe? Bernard Bertossa refuse de sombrer dans le pessimisme. La pause est évidente mais le retour en arrière impossible, selon lui. Il ne peut s'empêcher de noter cependant les curieuses dérives des pouvoirs en Italie, en France, en Suisse, où les gouvernements préfèrent mettre l'accent sur les insécurités ordinaires plutôt que de tracer un cadre de justice: on chasse le dealer de rue mais moins le narcotrafiquant, on s'attaque aux voleurs de scooters plutôt qu'aux mafias de haut vol. Au nom de la culture du résultat et de la proximité. La suppression du juge d'instruction, voulue par Nicolas Sarkozy, le laisse plus que rêveur. «Dans les affaires délicates, à la notable exception d'Eric de Montgolfier, le procureur de Nice, ce sont toujours les juges d'instruction qui étaient en première ligne. (...) Ce sont eux qui ont été l'objet des foudres disciplinaires ou médiatiques. Mais où était alors le procureur? Qui même se souvient de son nom?»,

    La Justice, les Affaires, la Corruption. Bernard Bertossa avec Agathe Duparc, Fayard.
    relève Bernard Bertossa. Nul besoin d'aller plus loin dans la démonstration.

    Martine Orange.
    « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte
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