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L'Algérie, un pays toujours bloqué

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  • L'Algérie, un pays toujours bloqué

    Abdelaziz Bouteflika sera réélu le 9 avril prochain à la tête d'un pays dont les recettes d'exportations s'effondrent, alors qu'il ne vit toujours que du pétrole et du gaz.

    On ne change pas une équipe qui perd." Le journaliste Chawki Amari proposait ce slogan pour la campagne d'Abdelaziz Bouteflika. Arrivé au pouvoir après "la décennie noire", celui-ci a pourtant quelques résultats à son actif: près d'un million de logements ont été construits ces cinq dernières années, même si les besoins sont loin d'être satisfaits (1); le taux de chômage a été réduit de moitié en dix ans, mais l'essentiel de cette baisse s'était produite entre 2001 et 2004, avant la flambée du prix des hydrocarbures. Paradoxalement, les formidables recettes pétrolières accumulées depuis 2005 n'auront donc guère permis de développer l'emploi. A 13,3% le taux de chômage officiel prévu pour 2009 reste très élevé. D'autant plus que 70% des chômeurs ont moins de 30 ans.

    L'équipe qui gouverne l'Algérie depuis dix ans pourrait également se vanter d'avoir protégé le pays de la crise financière internationale en remboursant par anticipation la dette extérieure publique mais aussi en s'abstenant de réformer un système bancaire que le Premier ministre Ouyahia qualifie pourtant d'arriéré. Après une privatisation avortée en 2007, le marché bancaire est en effet resté à 90% entre les mains de banques publiques déconnectées des marchés financiers internationaux. Le pays a ainsi été protégé des actifs toxiques... L'Algérie n'a toujours pas non plus adhéré à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), sa monnaie reste inconvertible et la Bourse d'Alger compte seulement deux entreprises cotées...

    + 200% en six ans!

    L'Algérie déconnectée, donc à l'abri? On en est loin. Si le pays a échappé à la crise bancaire, il subit de plein fouet la chute du prix des hydrocarbures, qui représentent 98% de ses recettes d'exportation. Après une année 2008 où le cours moyen du baril a frôlé les 100 dollars, Alger a dû fonder ses prévisions budgétaires 2009 sur un baril à 37 dollars (2). Si les cours devaient rester à ce niveau, les énormes réserves de change accumulées ces dernières années pourraient être asséchées avant trois ans. A moins de maîtriser la folle croissance des importations: + 28% en 2007, + 42% en 2008, + 200% au total en six ans! Derrière cette envolée, il y a ce que les économistes appellent le "syndrome hollandais" (3): la richesse liée à l'exploitation d'une ressource naturelle entraîne un déclin des autres productions locales et donc une flambée des importations.

    Le gouvernement algérien les a délibérément laissé filer ces dernières années, à la fois pour satisfaire le lobby des importateurs, très lié aux sommets terriblement corrompus du pouvoir et de la hiérarchie militaire, mais aussi pour offrir un exutoire à l'immense frustration du peuple algérien. La consommation de tout ce qui vient de l'étranger est une valeur refuge. Les antennes paraboliques en sont un symptôme déjà ancien: deux ou trois "couscoussières" ornent chaque balcon algérois ou oranais, permettant de capter des milliers de chaînes étrangères, pendant que la télévision locale, surnommée "l'unique", n'est regardée que par un tiers de la population. Ces dernières années, c'est l'automobile qui est devenue la nouvelle obsession des consommateurs algériens. Le boom des importations de véhicules, porté par la multiplication des crédits, a donné à l'Algérie le premier parc automobile du Maghreb, sans qu'une seule voiture soit fabriquée sur place. Renault, qui cherchait à implanter une usine d'assemblage dans la région, a préféré se tourner vers le Maroc, au grand dam des dirigeants algériens.

    Un patriotisme économique risqué

    Si les importations devaient continuer à croître à ce rythme, le pays courrait à la catastrophe. Le gouvernement a donc adopté en juillet dernier de nouvelles taxes sur les véhicules importés. Impopulaires (et contraires aux intérêts des importateurs), elles n'ont pas été étendues à d'autres produits. Les principaux efforts d'ajustement portent plutôt sur les transferts de devises effectués par les sociétés étrangères. En 2007, les sorties de dividendes ont été cinq fois plus importantes que les nouvelles entrées de capitaux. Pour inverser cette tendance, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a pris des mesures de "patriotisme économique": préférence nationale dans les appels d'offres, participation algérienne d'au moins 30% dans toute société d'importation, exigence d'un solde en devises positif pour tout nouveau projet d'investissement étranger...

    "Nous nous sommes ouverts tous azimuts aux investissements étrangers. Souvenez-vous de la crise asiatique. Des pays aux fondamentaux économiques solides ont été terrassés par des investissements financiers spéculatifs", justifie l'économiste Abdelhak Lamiri, qui a inspiré ces mesures. Certains craignent cependant qu'elles ne gèlent l'investissement étranger. De plus, elles n'auraient de sens que si elles s'accompagnaient d'une relance de la production locale. Or, on n'en prend pas le chemin. "Nous avons mis tout notre argent dans les infrastructures", déplorait le même Abdelhak Lamiri, le 30 décembre dernier, dans une interview à El Watan. Les chantiers de travaux publics se sont en effet multipliés ces dernières années en Algérie, alors qu'il aurait fallu miser d'abord sur la formation des hommes et "créer au moins un million de PME", ajoute-t-il. Mais, sur ce point, il n'a pas été entendu: les vieilles habitudes dirigistes et clientélistes ont la vie dure.

    Un pays claquemuré

    Au cours du troisième mandat Bouteflika, une mesure aurait en particulier valeur de symbole: la réouverture de la frontière avec le Maroc, fermée depuis 1994. Ce serait une libération pour des millions de familles, mais aussi un moyen de relancer l'économie. Une analyse du Centre d'études et de recherches internationales (4) indique que l'absence d'intégration économique coûte 2% à 3% de leur produit intérieur brut (PIB) annuel aux pays du Maghreb. Mais l'ouverture, dans quelque domaine que ce soit, n'est guère au programme du candidat "Boutef". Le Président ne semble pas avoir perçu les signaux de détresse qui n'ont pourtant pas manqué ces dernières années: un taux d'abstention record (64%) aux élections législatives de 2007; des émeutes en 2008 à Oran, qui ont été, selon l'historien Benjamin Stora, "les plus importantes depuis 1988", l'année où la révolte de la jeunesse avait sonné le glas du parti unique. Avant de déboucher sur une courte phase de démocratisation, vite empoisonnée par la montée de l'islamisme. L'écrivain Boualem Sansal résume ainsi la situation des Algériens depuis cette époque: "Moitié libres, moitié coulés dans le béton."

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    Evolution du taux de chômage en Algérie (en %) et du cours du baril de Brent (en dollars)
    http://www.alternatives-economiques....F&titre_image=

    Lecture: en 2008, malgré un prix moyen du baril de pétrole proche de 100 dollars, le taux de couverture des importations par les exportations a baissé pour la deuxième année consécutive, à cause d'un bond spectaculaire des importations (+ 42 %).
    Algérie : taux de couverture des importations par les exportations, en %
    http://www.alternatives-economiques....l/A279039B.GIF

    Pierre Barrot

    Alternatives Economiques - n°279 - Avril 2009
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