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Ukraine - La face cachée de la tsarine

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  • Ukraine - La face cachée de la tsarine

    La percée de Timochenko semble irrésistible. Portrait.

    De notre envoyé spécial Marc Nexon avec Katia Swarovskaya à Moscou


    Elle s’avance l’air grave. Serre la main du président sans même le regarder dans les yeux et prend place. Ce jour de février, le Premier ministre Ioulia Timochenko, auréolée de sa traditionnelle tresse blonde, participe à une réunion du Conseil de sécurité nationale et de défense, l’organe le plus élevé de l’Etat ukrainien. Quarante dignitaires, dont une moitié d’officiers de haut rang, s’installent en silence. L’ambiance est glaciale.
    A l’ordre du jour : l’accord gazier conclu avec Moscou après trois semaines d’interruption des livraisons à destination de l’Ukraine et de l’Union européenne. Le président Victor Iouchtchenko veut le remettre en question. Timochenko, qui l’a négocié, s’y refuse. Sitôt les caméras éloignées et les portes refermées, le ton monte. Puis Iouchtchenko explose : « Cet accord est une capitulation, vous êtes des nuls ! » « Le gouvernement n’a jamais rien fait qui trahisse les intérêts nationaux », rétorque Timochenko. « Il est temps d’éliminer les intermédiaires corrompus », poursuit-elle en substance.
    Iouchtchenko se redresse, fou de rage. « Dans le passé, vous avez systématiquement volé du gaz et vous nous donnez maintenant des leçons ? Toutes vos actions reposent sur des pots-de-vin , fulmine-t-il. Arrêtez d’arroser les parlementaires et ils vous montreront leur *** ! Je serais moins gêné pour vous parler si vous n’étiez pas une femme... » Timochenko se lève, blême, et quitte la salle devant une assistance médusée. « Je n’ai jamais vu ça, raconte un participant. Ce soir-là, j’ai vécu une tragédie. »
    Une tragédie et la fin d’un idéal. Celui de la révolution orange et de ses grandes manifestations parvenues en décembre 2004 à renverser un régime autoritaire. L’ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991, se rêvait dans l’Union européenne. Débarrassée de ses politiciens véreux, de sa police arbitraire, de ses oligarques mafieux et du joug de Moscou.
    Quatre ans et demi plus tard, le bilan est affligeant. En matière de corruption, le pays a plongé dans les classements internationaux de la 90e à la 143e place ! Un exemple : une place de député se négocie désormais entre 3 et 5 millions de dollars. La tutelle russe ? Elle n’a jamais cessé. Le Kremlin coupe le robinet du gaz de l’Ukraine à son gré. Sans parler de l’activisme du grand frère sur le terrain. « Toutes nos institutions sont infiltrées par des agents du FSB [ex-KGB] », assure un membre du Conseil de sécurité ukrainien. Quant au rapprochement avec l’Union européenne, il est dans les limbes. « On ne sait plus à qui parler », déplore un représentant de Bruxelles.
    Bref, une immense désillusion au moment où le pays, fort de 46 millions d’habitants, sombre. Voué à la faillite si le Fonds monétaire international tarde à le secourir. « Ça peut très, très mal tourner », avertit un diplomate. Mais les deux têtes de l’exécutif n’en ont cure. Elles s’adonnent à leur sport favori : s’écharper : « On a atteint un point de non-retour », admet Oleg Ribatchouk, ancien chef de l’administration présidentielle.
    Gros sous
    D’un côté, Iouchtchenko, 55 ans, le président au visage grêlé par un mystérieux empoisonnement à la dioxine à la veille des manifestations de 2004. Un ancien banquier plutôt terne, proaméricain convaincu et régulièrement traité de « fripouille » par Poutine. De l’autre, Ioulia Timochenko, 48 ans, baptisée la Jeanne d’Arc de l’Ukraine. Charismatique et infatigable oratrice. La révolution orange les a réunis sur les mêmes estrades devant les foules de Kiev. Mais aujourd’hui tout les oppose. L’un paresse. Quitte parfois le bureau en milieu d’après-midi pour aller s’occuper de sa trentaine de ruches ou chiner des poteries antiques. « Il peut passer trois heures à tourner et à rêver autour d’un tronc d’arbre », persifle Victor Tchernomyrdine, l’ambassadeur de Russie à Kiev. Dans le même temps, la blonde Ioulia bûche à l’excès. « On a tenu la semaine dernière une réunion à 3 heures du matin sur une affaire de douane », raconte le député Andreï Portnov, le numéro deux du Bloc Timochenko.
    Autre contraste : Iouchtchenko est sous influence. A l’abri de son secrétaire Victor Baloga, soupçonné de tous les complots, autrefois dans le business de l’alcool et du tabac et aujourd’hui détenteur du tampon et de la signature présidentiels. « Le président ne voit pas passer certaines décisions », reconnaît un membre de son cercle. A l’inverse, Timochenko tient son entourage d’une main de fer. « Elle n’a que des valets ou des ennemis », dit le politologue Dmitri Vydrin, l’un de ses anciens collaborateurs.
    Deux caractères inconciliables et qui se détestent. La raison ? La perspective de l’élection présidentielle, fixée en janvier 2010. Mais aussi une affaire de gros sous. Timochenko accuse le président d’enrichir son clan et sa famille en siphonnant Rosukrenergo, un holding basé en Suisse, chargé jusqu’ici de l’importation du gaz. En retour, Iouchtchenko soupçonne son Premier ministre de vouloir mettre en place sa propre pompe à finances. Dès lors, chacun se rend coup pour coup.
    Timochenko renvoie-t-elle le chef des douanes ? Le président bombarde aussitôt ce dernier numéro deux des services secrets. Iouchtchenko impose-t-il deux de ses hommes à la tête des portefeuilles des Affaires étrangères et de la Défense ? Le Premier ministre obtient du Parlement la révocation du premier et ampute le budget du second. Timochenko est-elle reçue avec les honneurs à Paris ? Le président envoie, le même jour, des hommes cagoulés au siège de la compagnie gazière pour tenter de récupérer les documents signés par son Premier ministre. Résultat, rien n’avance. « La faute au président ! » soutient Timochenko. L’an passé, elle convoque même les caméras et compose la ligne directe de Iouchtchenko. « Vous entendez ? Ça fait bip... Il ne me prend pas au téléphone depuis six mois... » « Du baratin , juge le politologue Dmitri Vydrin. S i elle veut le voir, ce n’est pas difficile : un souterrain relie son bureau au palais présidentiel. »
    Il n’empêche. Le camp Timochenko ronge son frein. Et promet un vaste règlement de comptes en cas de victoire à la présidentielle. « Des hommes de Iouchtchenko iront en prison, prévient le député Andreï Portnov, proche de Ioulia, le président devra s’expliquer devant la justice. »
    La guerre, c'est la guerre des hommes ; la paix, c'est la guerre des idées. V. Hugo

  • #2
    Insatiable
    Un vaudeville qui désespère la population. Sur la place Maidan à Kiev, jadis l’épicentre des manifestations orange, huit tentes occupent les lieux depuis un mois. Sur chacune d’elles, une inscription : « Que le pouvoir aille se faire foutre ! » « Personne ne nous déloge, car on profite de la rivalité entre les services de sécurité et la police, respectivement sous les ordres du président et du Premier ministre », lance Marat, l’un des manifestants, un chômeur de 36 ans persuadé que le peuple redescendra dans la rue.
    Dans la lutte au sommet de l’Etat, l’un des deux protagonistes tire pourtant son épingle du jeu : Timochenko, toujours bien placée dans les intentions de vote. Le 4 mars, c’est elle que Sarkozy reçoit à Paris... Et non Iouchtchenko, qui lance, en janvier, deux invitations au président français et tente de le joindre au téléphone... En vain. « Il passe des heures à nous dire du mal de son Premier ministre, on ne le supporte plus... confie-t-on du côté français. Au moins, Timochenko agit. »
    Certes, elle agit. Et sans états d’âme. « Elle est prête à toutes les intrigues pour obtenir ce qu’elle veut », confie Oleg Polkatchouk, l’un de ses anciens gourous en communication. Une méthode employée dès le début de sa carrière à Dnipropetrovsk, sa ville d’origine, dans l’est de l’Ukraine. Là-bas, elle réalise son premier coup commercial en copiant dans son salon des cassettes vidéo pirates. Elle se lance ensuite dans le négoce de l’essence avant de découvrir un meilleur filon : le gaz. Acheté au russe Gazprom en échange de biens de consommation. « Elle sillonnait le pays et dormait dans sa voiture », raconte Polkatchouk. Insatiable, la « princesse du gaz » engrange alors 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires. C’est le début de la fortune... Mais aussi des ennuis. Les accusations de corruption pleuvent. Les douaniers russes l’interceptent avec 200 000 dollars dans ses bagages. Et les autorités ukrainiennes l’assignent en justice pour 400 millions de dollars de pots-de-vin versés à des militaires russes. Elle passe 42 jours en prison et refuse de s’alimenter de crainte d’être empoisonnée. « Elle est entrée en politique pour réduire la pression sur ses affaires », reconnaît Victor Nebozhenko, un autre de ses conseillers.
    Le plan fonctionne. Elle apprend l’ukrainien en trois mois, se teint les cheveux en blond et opte pour la natte typique des paysannes du siècle dernier. Mais sans jamais quitter son tailleur signé d’un grand couturier. Plus rien n’arrête Timochenko. A la veille de la révolution orange, elle doit rencontrer une délégation de juifs américains. Elle surgit au restaurant en bottes et jupe ultracourte. « J’ai eu honte, raconte la députée Anna Guerman, présente à la réunion. Elle m’a confié qu’il fallait tirer le maximum de ces gens pleins de fric. » Timochenko assume. « Les femmes sont plus fortes », glisse-t-elle lors d’une visite en 2007 à Margaret Thatcher.
    Embuscade
    Possible, sauf qu’aujourd’hui le jeu se complique. Deux hommes se tiennent en embuscade, capables de stopper l’accession de Ioulia au poste suprême, début 2010 : Victor Ianoukovitch, ancien Premier ministre et favori de l’Ukraine orientale, traditionnellement russophone. Mais aussi Arseni Iatseniouk, ancien ministre des Affaires étrangères. Un jeunot de la politique qui aura 35 ans en mai prochain, l’âge requis pour se présenter à la présidentielle. Personne ne connaît son programme, mais il incarne la nouveauté. Et perce dans les sondages.
    Reste l’attitude de Moscou. Un mystère. « La Russie ne misera sur aucun candidat », promet Evgueni Minchenko, directeur de l’Institut international à Moscou. Seule certitude : Timochenko joue ostensiblement l’entente cordiale avec le Kremlin. Au point que son dernier entretien de quatre heures en tête à tête avec Poutine a exaspéré Iouchtchenko. « Elle cherche le soutien financier des Russes pour sa prochaine campagne, croit savoir le politologue Vadim Karassev . En échange, elle renoncera à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. »
    La rue s’en moque. Dans l’une des tentes installées au centre-ville, Nikolaï, 52 ans, un charpentier licencié il y a six mois, avale une crêpe assis sur une chaise en plastique. Il dort ici depuis deux semaines. La révolution ? Il y a participé comme tout le monde... « Mais nos dirigeants ont tourné le dos au peuple », dit-il. Il réfléchit un instant. « Il nous faudrait quelqu’un comme Poutine pour remettre de l’ordre », soupire-t-il. Décidément, le rêve orange a vécu...



    http://www.lepoint.fr/actualites-mon...e/924/0/333656
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    • #3
      La galère des épargnants
      Ils sont une centaine devant le siège de la banque Nadra. Un gardien répète inlassablement : « Ecrivez une lettre de réclamation. »
      Voilà des semaines que les principales banques de Kiev refusent à leurs clients toute possibilité de retrait d'épargne. Nadra a fixé une règle : pas plus de 10 dollars par jour. « Pour retirer les 3 000 dollars de mon compte, j'en ai jusqu'à la fin de l'année ! » fulmine Larissa, une retraitée.Pour porter plainte devant le tribunal, il lui faudrait prévoir une enveloppe pour le juge. Autre solution : solliciter les mystérieux intermédiaires qui laissent leurs coordonnées sur les portables des clients de la banque. Mais ils fixent leur tarif : une commission de 30 % sur les sommes récupérées M. N.
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