La disparition progressive de la banquise Arctique est un processus dont les conséquences pourraient bouleverser les équilibres subtils que le système terre a ajusté durant les temps longs de son évolution. Loin d’être un événement local, le réchauffement de cette région du globe - bien supérieur à la moyenne observée ailleurs - pourrait entraîner des conséquences dramatiques sur l’ensemble de la planète. D’une part, le pergélisol des régions polaires emprisonne des quantités gigantesques de carbone et de méthane dont le dégazement dans l’atmosphère - déjà entamé - pourrait déclencher un processus incontrôlable d’emballement du réchauffement climatique. D’autre part, l’apport en eau douce est susceptible de ralentir la circulation des courants océaniques, ce qui pourrait perturber gravement les moussons d’Asie, indispensables aux cultures qui nourrissent plus de deux milliards d’humains. Le NewScientist fait le point sur les dernières connaissances scientifiques en la matière et explore ces scénarios inquiétants, mais hélas de plus en plus vraisemblables.
Par Fred Pearce, NewScientist, 25 mars 2009
« Je suis choquée, vraiment choquée », déclare Katey Walter, spécialiste de l’écologie à l’Université de l’Alaska à Fairbanks.« J’ai suis allée en Sibérie, il y a quelques semaines, et je suis maintenant de retour en Alaska. Le pergélisol est en train de fondre rapidement dans tout l’Arctique, des lacs se forment partout et le méthane en sort en bouillonnant. »
En 2006, dans un article publié par la revue Nature, Mme Walter avait averti que la fonte du pergélisol en Sibérie et l’augmentation des émissions de méthane pourraient accélérer les changements climatiques. Mais même cette chercheuse ne s’attendait pas à un tel changement rapide. « Les lacs de Sibérie sont cinq fois plus étendus que lorsque je les avais mesurés en 2006. C’est sans précédent. C’est désormais un événement d’importance mondiale, et la dynamique conduisant à une fonte plus importante du pergélisol s’accélère. »
Les changements spectaculaires dans l’océan Arctique ont souvent fait l’actualité au cours des deux dernières années. Il y a eu une énorme augmentation de la fonte de la banquise chaque été, et certains prévoient aujourd’hui que dès 2030, elle aura complètement disparu en Arctique durant l ’été.
Les discussions sur les conséquences de la disparition des glaces, sont généralement centrées sur l’ouverture de nouveaux domaines pour le transport maritime et l’exploitation minière, ou sur le sort des ours polaires qui chassent sur la banquise. L’enjeu majeur a beaucoup moins retenu l’attention : un réchauffement de l’Arctique transformera toute la planète, et certaines de ses conséquences potentielles sont rien moins que catastrophiques.
Les changements dans la circulation des courants océaniques pourraient par exemple perturber la mousson d’Asie, où près de deux milliards d’êtres humains comptent sur ces pluies pour cultiver les plantes qui les nourrissent. Comme si cela ne suffisait pas, il est également possible que les rétroactions du dégazement de méthane provenant de la fonte du pergélisol puissent entraîner un emballement climatique.
Le danger tient au fait que si une trop grande quantité de méthane est libérée dans l’atmosphère, le monde sera plus chaud, quoi que nous fassions pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Des études récentes suggèrent que les émissions provenant de la fonte du pergélisol pourraient être beaucoup plus importantes qu’on ne le pensait. Et bien qu’il soit trop tôt pour en être sûr, certains scientifiques suspectent que ce scénario soit déjà en train de se dérouler : après être resté stables au cours de la dernière décennie, les niveaux de méthane ont commencé à augmenter à nouveau, et ces émissions pourraient provenir du permafrost arctique.
Ce qui est certain, c’est que l’Arctique se réchauffe plus vite que tout autre endroit sur Terre. Alors que la température mondiale moyenne a augmenté de moins de 1 ° C au cours des trois dernières décennies, le réchauffement de l’océan Arctique a été beaucoup plus important, de l’ordre de 3 ° C. Dans certaines zones où les glaces ont disparu, les températures ont augmenté de 5 ° C.
Ce réchauffement intense ne se limite pas à l’océan Arctique. Il s’étend vers le sud, en profondeur dans les terres émergées de la Sibérie, de l’Alaska, du Canada, du Groënland et de la Scandinavie, et y fait fondre la neige, les calottes de glace et de pergélisol. En 2007, la température de l’Arctique nord-américain a été en moyenne plus de 2 ° C supérieure à la moyenne observée de 1951 à 1980, et dans certaines régions de la Sibérie cette augmentation a atteint 3 ° C . En 2008, la température en Sibérie a été de 2 ° C supérieure à la moyenne.
La plupart de ces phénomènes résultent de rétroactions positives provenant de la disparition de la banquise, déclare David Lawrence, du Centre National de Recherche Atmosphérique à Boulder, Colorado. Ses études de modélisation montrent que pendant les périodes de forte diminution de la banquise, le réchauffement s’étend à quelques 1500 kilomètres à l’intérieur des terres. « Si la banquise continue à se réduire rapidement au cours des prochaines années, le réchauffement des terres arctiques et le dégel du pergélisol vont vraisemblablement accélérer », précise-t-il.
Les changements dans la configuration des vents pourraient accélérer encore le réchauffement. « La diminution de la banquise durant l’été implique que plus de chaleur soit absorbée par l’océan. Elle est ensuite restituée dans l’atmosphère au début de l’hiver. Ceci modifie la configuration des vents et favorise la perte supplémentaire de banquise », indique James Overland, un océanographe au Pacific Marine Environmental Laboratory de Seattle. « La grande question, potentiellement, c’est que nous avons pourrions avoir maintenant une rétroaction positive entre le régime des vents dans l’atmosphère et la diminution de la banquise. »
De fait, l’évolution des vent pourrait aussi être à l’origine de certains épisodes de froid et de neige en Amérique du Nord et en Chine au cours des derniers hivers, note M. Overland. Les flux inhabituels d’air chaud entre la Sibérie et le pôle ont repoussé l’air froid vers le sud dans d’autres parties de la région.
Ce réchauffement rapide de l’Arctique indique qu’une hausse de la température mondiale de 3 ° C, probable durant ce siècle, pourrait se traduire par un réchauffement de 10 ° C dans le Grand Nord. Le Pergélisol pourrait risquer de fondre sur plusieurs centaines de mètres de profondeur.
C’est là que ce phénomène devient d’importance mondiale. L’Arctique n’est pas seulement un miroir réfléchissant en train de se craqueler, c’est également un énorme réservoir de carbone et de méthane, emprisonnés dans les sols gelés et les formations de glaces sous marines.
Un quart de la superficie des terres de l’hémisphère nord est faite de pergélisol, un sol gelé en permanence. Par endroits, le permafrost profond, qui s’est formé au cours de la dernière glaciation, lorsque le niveau de la mer était beaucoup plus bas, s’étend loin dans l’océan, sous les fonds marins. De vastes zones de permafrost ont déjà commencé à fondre, entraînant une érosion rapide, la déformation de routes et de pipelines, l’effondrement de bâtiments et l’apparition forêts « ivres » aux arbres penchés.
Le véritable problème, tient au fait que le pergélisol contient du carbone organique sous forme de plantes et d’animaux morts depuis des temps immémoriaux. Certains animaux, y compris le mammouth, y sont restés gelés durant des dizaines de milliers d’années. Lorsque le pergélisol fond, une grande partie de ce carbone est susceptible d’être relâché dans l’atmosphère.
Nul ne sait exactement combien de carbone est enfermé dans le pergélisol, mais il semble qu’il y en ait beaucoup plus que nous ne le pensions. Une étude internationale dirigée en 2008 par Edward Schuur de l’Université de Floride a doublé les estimations précédentes de la teneur en carbone du pergélisol, avec un chiffre d’environ 1600 milliards de tonnes - soit environ un tiers de l’ensemble du carbone présent dans les sols du monde entier et deux fois plus que dans l’atmosphère.
M. Schuur estime que 100 milliards de tonnes de carbone pourraient être libérés par le dégel au cours de ce siècle, selon les scénarios de base. Si ce dégazement se produisait sous forme de méthane, l’effet de réchauffement serait l’équivalent à 270 années d’émissions de dioxyde de carbone aux niveaux actuels. « C’est une sorte de bombe à retardement au ralenti », prévient-il.
Par Fred Pearce, NewScientist, 25 mars 2009
« Je suis choquée, vraiment choquée », déclare Katey Walter, spécialiste de l’écologie à l’Université de l’Alaska à Fairbanks.« J’ai suis allée en Sibérie, il y a quelques semaines, et je suis maintenant de retour en Alaska. Le pergélisol est en train de fondre rapidement dans tout l’Arctique, des lacs se forment partout et le méthane en sort en bouillonnant. »
En 2006, dans un article publié par la revue Nature, Mme Walter avait averti que la fonte du pergélisol en Sibérie et l’augmentation des émissions de méthane pourraient accélérer les changements climatiques. Mais même cette chercheuse ne s’attendait pas à un tel changement rapide. « Les lacs de Sibérie sont cinq fois plus étendus que lorsque je les avais mesurés en 2006. C’est sans précédent. C’est désormais un événement d’importance mondiale, et la dynamique conduisant à une fonte plus importante du pergélisol s’accélère. »
Les changements spectaculaires dans l’océan Arctique ont souvent fait l’actualité au cours des deux dernières années. Il y a eu une énorme augmentation de la fonte de la banquise chaque été, et certains prévoient aujourd’hui que dès 2030, elle aura complètement disparu en Arctique durant l ’été.
Les discussions sur les conséquences de la disparition des glaces, sont généralement centrées sur l’ouverture de nouveaux domaines pour le transport maritime et l’exploitation minière, ou sur le sort des ours polaires qui chassent sur la banquise. L’enjeu majeur a beaucoup moins retenu l’attention : un réchauffement de l’Arctique transformera toute la planète, et certaines de ses conséquences potentielles sont rien moins que catastrophiques.
Les changements dans la circulation des courants océaniques pourraient par exemple perturber la mousson d’Asie, où près de deux milliards d’êtres humains comptent sur ces pluies pour cultiver les plantes qui les nourrissent. Comme si cela ne suffisait pas, il est également possible que les rétroactions du dégazement de méthane provenant de la fonte du pergélisol puissent entraîner un emballement climatique.
Le danger tient au fait que si une trop grande quantité de méthane est libérée dans l’atmosphère, le monde sera plus chaud, quoi que nous fassions pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Des études récentes suggèrent que les émissions provenant de la fonte du pergélisol pourraient être beaucoup plus importantes qu’on ne le pensait. Et bien qu’il soit trop tôt pour en être sûr, certains scientifiques suspectent que ce scénario soit déjà en train de se dérouler : après être resté stables au cours de la dernière décennie, les niveaux de méthane ont commencé à augmenter à nouveau, et ces émissions pourraient provenir du permafrost arctique.
Ce qui est certain, c’est que l’Arctique se réchauffe plus vite que tout autre endroit sur Terre. Alors que la température mondiale moyenne a augmenté de moins de 1 ° C au cours des trois dernières décennies, le réchauffement de l’océan Arctique a été beaucoup plus important, de l’ordre de 3 ° C. Dans certaines zones où les glaces ont disparu, les températures ont augmenté de 5 ° C.
Ce réchauffement intense ne se limite pas à l’océan Arctique. Il s’étend vers le sud, en profondeur dans les terres émergées de la Sibérie, de l’Alaska, du Canada, du Groënland et de la Scandinavie, et y fait fondre la neige, les calottes de glace et de pergélisol. En 2007, la température de l’Arctique nord-américain a été en moyenne plus de 2 ° C supérieure à la moyenne observée de 1951 à 1980, et dans certaines régions de la Sibérie cette augmentation a atteint 3 ° C . En 2008, la température en Sibérie a été de 2 ° C supérieure à la moyenne.
La plupart de ces phénomènes résultent de rétroactions positives provenant de la disparition de la banquise, déclare David Lawrence, du Centre National de Recherche Atmosphérique à Boulder, Colorado. Ses études de modélisation montrent que pendant les périodes de forte diminution de la banquise, le réchauffement s’étend à quelques 1500 kilomètres à l’intérieur des terres. « Si la banquise continue à se réduire rapidement au cours des prochaines années, le réchauffement des terres arctiques et le dégel du pergélisol vont vraisemblablement accélérer », précise-t-il.
Les changements dans la configuration des vents pourraient accélérer encore le réchauffement. « La diminution de la banquise durant l’été implique que plus de chaleur soit absorbée par l’océan. Elle est ensuite restituée dans l’atmosphère au début de l’hiver. Ceci modifie la configuration des vents et favorise la perte supplémentaire de banquise », indique James Overland, un océanographe au Pacific Marine Environmental Laboratory de Seattle. « La grande question, potentiellement, c’est que nous avons pourrions avoir maintenant une rétroaction positive entre le régime des vents dans l’atmosphère et la diminution de la banquise. »
De fait, l’évolution des vent pourrait aussi être à l’origine de certains épisodes de froid et de neige en Amérique du Nord et en Chine au cours des derniers hivers, note M. Overland. Les flux inhabituels d’air chaud entre la Sibérie et le pôle ont repoussé l’air froid vers le sud dans d’autres parties de la région.
Ce réchauffement rapide de l’Arctique indique qu’une hausse de la température mondiale de 3 ° C, probable durant ce siècle, pourrait se traduire par un réchauffement de 10 ° C dans le Grand Nord. Le Pergélisol pourrait risquer de fondre sur plusieurs centaines de mètres de profondeur.
C’est là que ce phénomène devient d’importance mondiale. L’Arctique n’est pas seulement un miroir réfléchissant en train de se craqueler, c’est également un énorme réservoir de carbone et de méthane, emprisonnés dans les sols gelés et les formations de glaces sous marines.
Un quart de la superficie des terres de l’hémisphère nord est faite de pergélisol, un sol gelé en permanence. Par endroits, le permafrost profond, qui s’est formé au cours de la dernière glaciation, lorsque le niveau de la mer était beaucoup plus bas, s’étend loin dans l’océan, sous les fonds marins. De vastes zones de permafrost ont déjà commencé à fondre, entraînant une érosion rapide, la déformation de routes et de pipelines, l’effondrement de bâtiments et l’apparition forêts « ivres » aux arbres penchés.
Le véritable problème, tient au fait que le pergélisol contient du carbone organique sous forme de plantes et d’animaux morts depuis des temps immémoriaux. Certains animaux, y compris le mammouth, y sont restés gelés durant des dizaines de milliers d’années. Lorsque le pergélisol fond, une grande partie de ce carbone est susceptible d’être relâché dans l’atmosphère.
Nul ne sait exactement combien de carbone est enfermé dans le pergélisol, mais il semble qu’il y en ait beaucoup plus que nous ne le pensions. Une étude internationale dirigée en 2008 par Edward Schuur de l’Université de Floride a doublé les estimations précédentes de la teneur en carbone du pergélisol, avec un chiffre d’environ 1600 milliards de tonnes - soit environ un tiers de l’ensemble du carbone présent dans les sols du monde entier et deux fois plus que dans l’atmosphère.
M. Schuur estime que 100 milliards de tonnes de carbone pourraient être libérés par le dégel au cours de ce siècle, selon les scénarios de base. Si ce dégazement se produisait sous forme de méthane, l’effet de réchauffement serait l’équivalent à 270 années d’émissions de dioxyde de carbone aux niveaux actuels. « C’est une sorte de bombe à retardement au ralenti », prévient-il.
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