14/04/2009
Nicolas Marmié, envoyé spécial à Rabat
Le royaume chérifien guette avec impatience l’annonce des nouveaux caps fixés par l’administration du président américain. Pour renforcer une relation stratégique ancienne, quelque peu perturbée par les années Bush.
« On ne les voit pas beaucoup, mais, au Maroc, les Américains sont partout. » Abdelkacem, sous-officier retraité des Forces armées royales (FAR), sait de quoi il parle. Il a servi pendant cinq ans au Sahara occidental et, comme de nombreux frères d’armes, a participé à des manœuvres avec les soldats de l’Oncle Sam, l’une des nombreuses facettes de la « relation spéciale » qui unit les États-Unis et le royaume chérifien.
Depuis 1956, l’arrimage diplomatique marocain au bloc occidental marche sur deux jambes, la France, ancien « protecteur » colonial, dont on parle beaucoup, et les États-Unis, dont on parle moins. À la Maison Blanche, les présidents passent, mais au Palais royal, les souverains chérifiens durent et font preuve de constance dans ce choix stratégique.
Cette relation protéiforme et méconnue alimente de nombreux fantasmes qui méritent d’être confrontés à la réalité, alors que Rabat, comme les autres capitales africaines et musulmanes, attend d’entrer dans « la nouvelle ère » promise par Barack Obama. Confiants dans l’exemplarité de leur pays (tolérance religieuse, présence d’une communauté juive, stabilité politique), les Marocains ont un temps caressé l’espoir de voir le président américain prononcer à Rabat son message au monde musulman annoncé lors de son discours d’investiture.
Un lobby très actif s’est même constitué à Washington pour promouvoir cet espoir, aujourd’hui déçu. Mais… si la vision maghrébine du nouveau président des États-Unis reste une inconnue, la nomination de Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine est, vue de Rabat, le gage d’une rassurante continuité. L’ex-première dame américaine, dont la sœur réside régulièrement à Marrakech et qui elle-même connaît très bien le royaume, est en effet considérée comme « marocophile ».
La coopération militaire entre les deux pays ne se décline pas seulement avec des exercices conjoints (terrestres, aériens et navals) quasi annuels. Elle se concrétise aussi par l’équipement des FAR : avions de combat (F-5, F-16), chars (Patton M60, M48), hélicoptères (Chinook, Blackhawk), missiles (Sam, Patriot, Raytheon), transports de troupes et véhicules de reconnaissance (Humvee, GMC). Une intégration technologique qui, au-delà des choix stratégiques, explique que le Maroc ait été promu, en 2008, premier pays africain associé de l’Otan.
Objectif : impliquer davantage Rabat dans la surveillance du détroit de Gibraltar, en partenariat avec l’Espagne, le Royaume-Uni et la France. Et c’est encore vers le Maroc que se tournent les médias pour évoquer la possibilité, jusqu’à présent officiellement démentie, d’une installation à Tan-Tan de l’Africom (commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique). Les Américains semblent en tout cas n’exclure les Marocains d’aucun projet.
Coopération spatiale ? Le Maroc, qui offre à la Nasa la logistique de la base de Benguerir, près de Marrakech, est associé scientifiquement au programme de la navette. Coopération nucléaire ? Rabat et Washington ont signé, dès 1983, un protocole de recherche pour la construction d’un réacteur civil fourni par General Atomics. Le programme suit son cours, attentivement suivi par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), mais aussi par Alger, Tripoli et bien sûr Téhéran.
« Avions fantômes »
Sur le plan sécuritaire, Rabat a rapidement démontré sa qualité d’allié dans la « guerre contre le terrorisme » déclenchée au lendemain du 11 Septembre. Si elles ont résisté aux lourdes pressions de l’administration Bush pour les associer militairement à sa campagne irakienne, les autorités marocaines ont en revanche activement collaboré avec Washington.
Transmissions, expertises, traductions, étroite surveillance de la mouvance salafiste : les services marocains ont tourné à plein régime pour combattre la menace d’Al-Qaïda. Des sources diplomatiques convergentes assurent par ailleurs que Rabat était une des escales des « avions fantômes » de la CIA utilisés pour « délocaliser » les interrogatoires de certains détenus de Guantánamo. Plus récemment, l’apparition d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a renforcé l’importance du Maroc dans l’Initiative américaine pan-Sahel visant à sécuriser les immenses confins sahariens, de la Mauritanie au Tchad. Ancienne, bien rodée et sincère, la collaboration des services de renseignements (CIA d’un côté, DST et DGED marocaines de l’autre) est donc toujours aussi fluide.
Sur le plan diplomatique aussi, la solidité de l’axe Rabat-Washington ne s’est jamais démentie. De la guerre froide à la dernière aventure irakienne, en passant par l’accueil des obligés déchus de l’Occident (du chah d’Iran à Mobutu, enterré à Rabat), les deux capitales ont toujours été en phase. Certes, des divergences de forme sont apparues depuis la faillite des accords d’Oslo, mais le département d’État se félicite toujours du « rôle modérateur » du Maroc dans le conflit *israélo-palestinien, « Rabat restant une étape importante » pour la recherche d’une solution pacifique.
La qualité de président du comité Al-Qods du roi Mohammed VI et l’importance de la communauté juive marocaine dans l’État hébreu expliquent en partie ce positionnement diplomatique privilégié. Et, quand il s’agit de sauver plus que de lancer le plan de George W. Bush pour démocratiser le « Grand Moyen-Orient », c’est Rabat qui est choisi, en 2004, pour accueillir le Forum pour l’avenir et accoucher d’un projet mort-né.
En retour de sa loyauté, Rabat peut compter sur Washington pour peser dans des dossiers délicats. C’est ainsi grâce à la médiation de Colin Powell que la crise de l’îlot Perejil-Tourah-Leïla a pu trouver une issue honorable à l’été 2002. L’ancien secrétaire d’État était intervenu personnellement pour calmer un Aznar survolté, tenté de rejouer un énième épisode de la Reconquista en prenant le contrôle militaire du rocher inhabité à un jet de pierre seulement des côtes marocaines.
Mohammed VI sait également pouvoir compter sur le soutien américain dans le dossier stratégique du Sahara occidental. Bien que moins affiché que celui de la France (dont l’ex-président Chirac qualifiait le territoire contesté de « provinces du sud » marocain), l’appui américain ne s’est jamais démenti sous couvert de légalité internationale et onusienne. « Le Polisario est une relique de la guerre froide », analyse le Moroccan American Center for Policy, dirigé par Robert Holley, un ancien diplomate américain en poste à Rabat.
Nicolas Marmié, envoyé spécial à Rabat
Le royaume chérifien guette avec impatience l’annonce des nouveaux caps fixés par l’administration du président américain. Pour renforcer une relation stratégique ancienne, quelque peu perturbée par les années Bush.
« On ne les voit pas beaucoup, mais, au Maroc, les Américains sont partout. » Abdelkacem, sous-officier retraité des Forces armées royales (FAR), sait de quoi il parle. Il a servi pendant cinq ans au Sahara occidental et, comme de nombreux frères d’armes, a participé à des manœuvres avec les soldats de l’Oncle Sam, l’une des nombreuses facettes de la « relation spéciale » qui unit les États-Unis et le royaume chérifien.
Depuis 1956, l’arrimage diplomatique marocain au bloc occidental marche sur deux jambes, la France, ancien « protecteur » colonial, dont on parle beaucoup, et les États-Unis, dont on parle moins. À la Maison Blanche, les présidents passent, mais au Palais royal, les souverains chérifiens durent et font preuve de constance dans ce choix stratégique.
Cette relation protéiforme et méconnue alimente de nombreux fantasmes qui méritent d’être confrontés à la réalité, alors que Rabat, comme les autres capitales africaines et musulmanes, attend d’entrer dans « la nouvelle ère » promise par Barack Obama. Confiants dans l’exemplarité de leur pays (tolérance religieuse, présence d’une communauté juive, stabilité politique), les Marocains ont un temps caressé l’espoir de voir le président américain prononcer à Rabat son message au monde musulman annoncé lors de son discours d’investiture.
Un lobby très actif s’est même constitué à Washington pour promouvoir cet espoir, aujourd’hui déçu. Mais… si la vision maghrébine du nouveau président des États-Unis reste une inconnue, la nomination de Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine est, vue de Rabat, le gage d’une rassurante continuité. L’ex-première dame américaine, dont la sœur réside régulièrement à Marrakech et qui elle-même connaît très bien le royaume, est en effet considérée comme « marocophile ».
La coopération militaire entre les deux pays ne se décline pas seulement avec des exercices conjoints (terrestres, aériens et navals) quasi annuels. Elle se concrétise aussi par l’équipement des FAR : avions de combat (F-5, F-16), chars (Patton M60, M48), hélicoptères (Chinook, Blackhawk), missiles (Sam, Patriot, Raytheon), transports de troupes et véhicules de reconnaissance (Humvee, GMC). Une intégration technologique qui, au-delà des choix stratégiques, explique que le Maroc ait été promu, en 2008, premier pays africain associé de l’Otan.
Objectif : impliquer davantage Rabat dans la surveillance du détroit de Gibraltar, en partenariat avec l’Espagne, le Royaume-Uni et la France. Et c’est encore vers le Maroc que se tournent les médias pour évoquer la possibilité, jusqu’à présent officiellement démentie, d’une installation à Tan-Tan de l’Africom (commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique). Les Américains semblent en tout cas n’exclure les Marocains d’aucun projet.
Coopération spatiale ? Le Maroc, qui offre à la Nasa la logistique de la base de Benguerir, près de Marrakech, est associé scientifiquement au programme de la navette. Coopération nucléaire ? Rabat et Washington ont signé, dès 1983, un protocole de recherche pour la construction d’un réacteur civil fourni par General Atomics. Le programme suit son cours, attentivement suivi par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), mais aussi par Alger, Tripoli et bien sûr Téhéran.
« Avions fantômes »
Sur le plan sécuritaire, Rabat a rapidement démontré sa qualité d’allié dans la « guerre contre le terrorisme » déclenchée au lendemain du 11 Septembre. Si elles ont résisté aux lourdes pressions de l’administration Bush pour les associer militairement à sa campagne irakienne, les autorités marocaines ont en revanche activement collaboré avec Washington.
Transmissions, expertises, traductions, étroite surveillance de la mouvance salafiste : les services marocains ont tourné à plein régime pour combattre la menace d’Al-Qaïda. Des sources diplomatiques convergentes assurent par ailleurs que Rabat était une des escales des « avions fantômes » de la CIA utilisés pour « délocaliser » les interrogatoires de certains détenus de Guantánamo. Plus récemment, l’apparition d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a renforcé l’importance du Maroc dans l’Initiative américaine pan-Sahel visant à sécuriser les immenses confins sahariens, de la Mauritanie au Tchad. Ancienne, bien rodée et sincère, la collaboration des services de renseignements (CIA d’un côté, DST et DGED marocaines de l’autre) est donc toujours aussi fluide.
Sur le plan diplomatique aussi, la solidité de l’axe Rabat-Washington ne s’est jamais démentie. De la guerre froide à la dernière aventure irakienne, en passant par l’accueil des obligés déchus de l’Occident (du chah d’Iran à Mobutu, enterré à Rabat), les deux capitales ont toujours été en phase. Certes, des divergences de forme sont apparues depuis la faillite des accords d’Oslo, mais le département d’État se félicite toujours du « rôle modérateur » du Maroc dans le conflit *israélo-palestinien, « Rabat restant une étape importante » pour la recherche d’une solution pacifique.
La qualité de président du comité Al-Qods du roi Mohammed VI et l’importance de la communauté juive marocaine dans l’État hébreu expliquent en partie ce positionnement diplomatique privilégié. Et, quand il s’agit de sauver plus que de lancer le plan de George W. Bush pour démocratiser le « Grand Moyen-Orient », c’est Rabat qui est choisi, en 2004, pour accueillir le Forum pour l’avenir et accoucher d’un projet mort-né.
En retour de sa loyauté, Rabat peut compter sur Washington pour peser dans des dossiers délicats. C’est ainsi grâce à la médiation de Colin Powell que la crise de l’îlot Perejil-Tourah-Leïla a pu trouver une issue honorable à l’été 2002. L’ancien secrétaire d’État était intervenu personnellement pour calmer un Aznar survolté, tenté de rejouer un énième épisode de la Reconquista en prenant le contrôle militaire du rocher inhabité à un jet de pierre seulement des côtes marocaines.
Mohammed VI sait également pouvoir compter sur le soutien américain dans le dossier stratégique du Sahara occidental. Bien que moins affiché que celui de la France (dont l’ex-président Chirac qualifiait le territoire contesté de « provinces du sud » marocain), l’appui américain ne s’est jamais démenti sous couvert de légalité internationale et onusienne. « Le Polisario est une relique de la guerre froide », analyse le Moroccan American Center for Policy, dirigé par Robert Holley, un ancien diplomate américain en poste à Rabat.
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