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La restitution de terres à l'Eglise est problématique en Pologne

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  • La restitution de terres à l'Eglise est problématique en Pologne

    Située en face de l'université de Varsovie, l'église de la Sainte-Croix est l'un des plus fameux lieux de culte polonais. Tenue par les frères missionnaires de Saint-Vincent-de-Paul, elle a été détruite à deux reprises, au XVIIe siècle puis pendant la seconde guerre mondiale. Elle a aussi subi une amputation, sous le régime communiste : à l'instar de l'ensemble de l'église polonaise, alors grand propriétaire terrien, elle s'est vu confisquer plusieurs hectares. Depuis dix-sept ans, elle en réclame la restitution. Problème : il s'agit du quartier le plus onéreux au mètre carré de Varsovie, où se trouvent des bâtiments gouvernementaux, universitaires et privés.

    Le cas de l'église de la Sainte-Croix fait partie des 269 dossiers toujours pendants à la Commission des biens. Créée en 1991, cette dernière a pour mission de proposer une compensation, en hectares ou en zlotys, aux paroisses et aux associations cultuelles victimes de spoliations sous le régime communiste. "En 1949, l'Etat avait fait le recensement des terres de l'Eglise, qui s'élevaient à 170 000 hectares environ, explique le père Miroslaw Piesiur, membre de la Commission. Au cours de l'année qui a suivi l'adoption en 1950 de la législation autorisant les saisies, près de 90 000 hectares ont été pris. Cette législation a été utilisée jusqu'à la fin des années 1960. Le but était d'empêcher l'Eglise de remplir ses fonctions caritatives et religieuses, de la rayer de la vie sociale."

    Composée de douze membres - six de l'épiscopat et six du ministère de l'intérieur -, la Commission a enregistré le dépôt de 3 063 plaintes, en 1991-1992. Elle n'a pas pour vocation de compenser toutes les terres qui avaient été confisquées en vertu de lois adoptées par le régime communiste. Il s'agit en revanche de rendre les biens saisis au mépris de ces lois, qui prévoyaient de ne pas laisser une paroisse avec moins de 50 hectares.

    A l'origine, les statuts de la Commission précisaient que les dossiers seraient réglés en trois, voire six mois pour les plus complexes. Il a vite fallu déchanter. Chaque affaire ressemble à un casse-tête. La plupart des terrains réclamés sont déjà occupés ; on y a bâti des écoles, des hôpitaux, des sièges d'entreprises ou des immeubles d'habitation. Il faut donc déterminer un bien équivalent.

    La règle "un hectare confisqué = un hectare restitué" a été abandonnée en 2001 ; on lui a préféré celle de la valeur équivalente, et non de la taille égale, une solution logique qui tient compte de l'évolution du marché immobilier. Si aucune terre n'est disponible, le ministère des finances est censé payer la compensation financière. Mais rien n'est simple : qui doit décider de la valeur du bien réclamé ? "Nous n'avons pas les compétences et les moyens de procéder nous-mêmes aux estimations", plaide Krzysztof Wasawoski, juriste et membre de la Commission, au nom de l'épiscopat polonais.

    C'est le requérant lui-même qui s'en charge, via un expert mandaté. Ainsi naissent les polémiques, comme dans le cas du quartier de Bialoleka, à Varsovie, où 47 hectares devaient être offerts en compensation à un ordre de religieuses. Prix fixé : 30,7 millions de zlotys (7 millions d'euros). Les autorités locales, furieuses, ont estimé la valeur à 240 millions de zlotys (56 millions d'euros). "Ces terres appartenaient à l'Agence des biens fonciers agricoles, et pas à la mairie", souligne le père Piesiur, qui regrette les "fortes résistances" des autorités, à tous les niveaux, surtout en période de crise économique.

    Les décisions de la Commission sont sans appel, prises généralement sans consultation préalable des autorités locales, qui rechignent à se priver de terrains à titre gratuit. L'impossibilité de contester les décisions violerait la constitution, plaident certains juristes. Les députés ex-communistes en ont même appelé au Tribunal constitutionnel. "La situation est insupportable, affirme Pawel Borecki, professeur au département droit et administration de l'Université de Varsovie, et pourfendeur de longue date de la Commission. Les bases fondamentales de l'Etat de droit sont violées. Les membres de la Commission n'ont aucune compétence juridique ou économique, ils peuvent être renvoyés n'importe quand, alors que les autorités municipales ne peuvent même pas participer aux délibérations. Rien n'est transparent, l'opinion publique n'a accès à aucune information. Pour des raisons politiques, on a accordé un privilège à l'Eglise."

    En 2008, après dix-sept ans de travail plutôt anonyme, la Commission a affronté une succession d'articles de presse très critiques sur son action, notamment dans l'hebdomadaire Newsweek (version polonaise) et le quotidien Gazeta. "La Commission est vue comme un instrument d'enrichissement illégitime de l'Eglise, qui serait privilégiée", reconnaît M. Wasawoski. Ce sentiment est exacerbé en période de crise économique.

    Le regain d'intérêt pour la Commission est aussi lié à une autre question, que la Pologne n'a cessé de repousser depuis 1989 : la reprivatisation, soit la réparation des confiscations subies par des particuliers à l'époque communiste. Contrairement à tous les autres pays de la région, anciens satellites soviétiques, aucun projet n'a abouti. Selon une étude menée par le centre CBOS, le soutien populaire pour la reprivatisation est le plus bas de l'histoire : 34 %, contre 65 % en 1991. Un opposant sur deux à ce processus met en avant le coût insoutenable pour les finances publiques.

    Par le Monde
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