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ALGÉRIE - Dans les eaux troubles du business algérien

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    ALGÉRIE - Dans les eaux troubles du business algérien
    Blues. Les entrepreneurs sont fatigués du piston, du système D et du bakchich.

    De notre envoyée spéciale Mireille Duteil

    Bienvenue au club des extraterrestres. « Ici on refuse de verser des bakchichs et on croit à la valeur travail. » Yeux clairs, crâne rasé, jean et chemise bleue, Nassim Kerdjoudj, informaticien, est le jeune patron de Net-Skills, une société spécialisée dans les nouvelles technologies. Son club ? Care : Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise. C’est un des rares think tanks du pays, un forum d’utopistes quadras, hommes et femmes, tous chefs d’entreprise, qui rêvent de moderniser la vie des affaires et d’en changer les règles du jeu. A leur actif : l’élaboration d’un code de bonne pratique pour la gouvernance des entreprises. Ils l’ont réalisé en collaboration avec les Etats-Unis. Car Care, en dépit de sa taille modeste, est courtisé par les diplomates occidentaux qui voient dans cette association de jeunes entrepreneurs les pionniers d’une Algérie new-look. « C’est la première fois que je suis optimiste », confirme, ravi, un ambassadeur après avoir dîné avec certains d’entre eux.

    N’entre pas qui veut dans ce club. Le candidat doit être accepté à l’unanimité des membres et ne pas vivre du système en place. La moitié d’entre eux sont rentrés de l’étranger. Partis étudier en France, aux Etats-Unis, au Canada, ils y ont souvent commencé une carrière prometteuse. Puis ils ont sauté le pas. « Je suis resté douze ans en France, dont cinq chez IBM, précise Nassim Kerdjoudj, dont l’épouse est française. Je m’étais dit que je n’y resterais que dix ans . » Riant de lui-même et de ses amis, il avoue : « Nous avons tous pensé qu’en revenant en Algérie nous allions soulever des montagnes sans même en connaître la hauteur d’avance . » Pas si facile.

    Un travail de titan les attend dans une Algérie pervertie par l’argent du pétrole et du gaz. Et peu nombreux sont ceux qui croient que la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, le 9 avril, pour un troisième mandat présidentiel de cinq ans, puisse changer la donne.

    Sables mouvants

    En fait, l’Algérie a le blues. A commencer par les entrepreneurs, algériens ou étrangers, qui semblent toujours oeuvrer sur des sables mouvants. Certains sont fatigués de vivre dans le pays du système D, du bakchich et du piston. Même si un certain nombre en profite. D’autres, les industriels algériens, estiment qu’ils n’ont pas bénéficié de la manne pétrolière, réservée aux seuls investissements publics (160 milliards de dollars ont été injectés dans les infrastructures). Les derniers, enfin, algériens ou étrangers, se sentent sans cesse déstabilisés par un pouvoir qui a officiellement abandonné le socialisme et le tout-Etat mais n’a pas encore totalement adopté l’économie de marché. Dans cet entre-deux-eaux, le pays va mal. Les entrepreneurs ne savent pas sur quel pied danser. L’administration toute-puissante et corrompue ? Hamed a touché cette réalité du doigt, l’an passé. Jeune diplômé de droit, il cherchait désespérément un emploi et s’adresse à l’Agence nationale, qui doit le mettre en contact avec des entreprises qui recrutent. Car les autorités, il faut le reconnaître, ont multiplié les canaux mis à la disposition des jeunes étudiants. L’Etat verse 12 000 dinars (environ 120 euros) à l’entreprise, exonérée de charges sociales, pour payer le jeune en préemploi. Un salaire de misère, mais guère inférieur au salaire minimum. Sauf que la réalité est plus compliquée. Le fonctionnaire a l’habitude d’arrondir ses fins de mois. Ainsi, il a été demandé 10 000 dinars (100 euros) au jeune diplômé pour lui faire obtenir un rendez-vous. Une somme importante quand, à la maison, trois des six personnes qui y vivent sont au chômage. Et le fonctionnaire indélicat qui a réclamé cette somme n’est apparemment pas le seul dans son cas. Ailleurs, ce sont les demandeurs de logements sociaux qui doivent payer pour que leur dossier ne reste pas en bas de la pile. Et, pourtant, l’Etat a construit 800 000 logements. A l’extérieur d’Alger, des dizaines de barres de béton enlaidissent le paysage.

    « Regardez ce paysage, c’est l’exemple type du mal algérien et de la mauvaise gouvernance », explique un industriel. De son bureau au dernier étage d’une des tours qui surplombent la baie d’Alger, la vue est magnifique. De loin, la Casbah étincelle de blancheur en dégringolant vers la mer. Au large, une trentaine de navires attendent pour entrer au port et décharger leurs conteneurs. Une attente de plusieurs jours qui coûte cher aux armateurs et aux consommateurs... « Le lobby des douaniers du port touche beaucoup d’argent sur les marchandises et bloque la construction d’un nouveau port. Cette situation dure depuis des années », affirme l’industriel. La situation devrait s’améliorer prochainement : Dubai Ports, une entreprise des Emirats, a remporté le contrat pour agrandir la zone des porte-conteneurs. Un pis-aller, car la rade d’Alger est trop petite. Un autre projet existe dans les tiroirs du plus grand groupe industriel privé du pays, Cevital, qui possède aussi le quotidien Liberté . Son fondateur, Issab Rebrab, originaire de Kabylie, projette de construire un port en eaux profondes à une trentaine de kilomètres à l’est de la capitale. Un projet pharaonique de 25 milliards de dollars qui prévoit aussi une nouvelle ville industrielle sur la côte. De quoi abriter 100 000 personnes qui travailleraient dans la sidérurgie, une usine d’aluminium... L’idée fait hurler les défenseurs de l’environnement. Manifestement, le pouvoir n’a pas tranché. L’agrément se fait attendre. Et les bateaux patientent aussi.

    Asphyxie

    Les entreprises étrangères, en particulier, sont dans l’expectative. A l’automne, une ordonnance, contredisant une loi, annonçait l’obligation d’une participation algérienne d’au moins 30 % dans les sociétés étrangères. Une mesure rétroactive qui a jeté un froid. Concrètement, nul ne sait quelles seront les décisions du prochain gouvernement. « Cette mesure sera rapportée », estime un proche de la présidence. En fait, le nationalisme algérien, dopé par la manne pétrolière, incite Alger à regarder avec suspicion les sociétés étrangères qui sortent d’Algérie des bénéfices jugés colossaux. Ainsi d’Orascom, la puissante société égyptienne de téléphonie mobile. Il y a quelques années, elle achetait, pour moins de 800 millions de dollars, la première licence de téléphonie algérienne. Un triomphe. Les Algériens acquirent en masse un téléphone portable. Djezzy, la filiale algérienne d’Orascom, dégagea 500 millions de dollars par an, qu’elle sortait très légalement du pays. Au grand dam des autorités qui ont récemment instauré des taxes sur les plus-values.

    Drôle de pays où l’Etat est riche mais la population pauvre ; l’économie en plein boom et les jeunes au chômage. Les Chinois s’activent pour construire une autoroute de 900 kilomètres, les Emirats investissent dans l’immobilier. Par la fenêtre de son bureau, le regard de Nassim Kerdjoudj plonge sur le stade du 5-Juillet et les bois qui l’entourent. Une fumée noire s’élève : un dépôt sauvage d’ordures brûle. Ce nouveau quartier d’Aïn Allah, dont certaines maisons seraient plus dans leur cadre à Amman ou dans le Golfe, est devenu le refuge de la classe moyenne. Les Algérois aisés fuient Alger asphyxiée par la circulation. Alors, sur les hauteurs, restaurants, boutiques de vêtements venus de Turquie, de Chine, certains de France, magasins de meubles et agences bancaires prolifèrent. A l’est de la capitale, près de l’aéroport, ce sont les tours du nouveau quartier d’affaires qui sortent de terre. Etrange Algérie, ce pays trop réglementé et pas assez gouverné.

    LePoint.fr
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