Joseph Amar, Marocain de confession juive, a été sauvagement assassiné à Casablanca. Un crime lourd de conséquences. Enquête.
Panique chez nos juifs
L. Bernichi
Cette année, Pessah a un goût amer pour la communauté juive marocaine. Particulièrement pour la famille Amar. Elle pour qui cette fête de la Pâque juive était une double célébration. Celle de voir leur fille unique, Nathalia, 26 ans, endosser la toge d’avocat après de longues et brillantes années d’études en Droit à Paris, mais aussi celle d’être, enfin, réunie autour du couscous de la Maïmouna. Sauf que le destin en a voulu autrement.
Nathalia Amar et sa mère sont arrivées à Casablanca par le premier vol, mais leurs coeurs étaient loin d’être à la fête. Leur cher père et époux, Joseph Amar, est mort. Et de quelle manière. Des plus cruelles. Pour une poignée de dirhams, un loubard des bas-fonds de l’ancienne médina lui a pris la vie.
Casablanca, la nuit du 3 au 4 avril 2009. Ce soir-là, ce bijoutier à la retraite, 68 ans, est invité à dîner chez une connaissance habitant le boulevard El Massira. Sa femme, Hannah, étant à Paris pour se soigner d’une fracture de l’épaule, Joseph en profite pour rendre visite à ses amis. Histoire d’échapper à la solitude. Après avoir partagé avec ses hôtes leur repas et évoqué les bons vieux souvenirs, Joseph décide de rentrer à pied. Il est 1 h10. L’heure tardive ne le décourage pas. Joseph Amar est un habitué de la marche nocturne. Les 20 minutes qui le séparent de chez lui, il les attaquerait bon pied bon oeil. Ne craint-il pas pour sa sécurité? Nullement. Pour être né et avoir vécu à Casablanca, l’homme croit avoir apprivoisé la ville ogresse.
Joseph Amar a, en effet, vu le jour au mellah, quartier juif de l’ancienne médina. Il passe là-bas la plus grande partie de sa jeunesse avant de déménager dans un petit appartement sur le boulevard Bordeaux, au ciquième étage d’un immeuble au-dessus du cinéma Verdun. Un quartier qui jadis abritait la plupart des Juifs casablancais. En attestent les cinq synagogues et le Cercle de l’Alliance Israélite, centre culturel juif, qui s’y trouvent toujours. D’ailleurs, ce quartier était surnommé, à l’époque coloniale française, la petite Tel Aviv, en référence à la capitale de l’Etat hébreu.
Le commerce de bijoux de Joseph Amar, par contre, se trouvait à l’ancienne médina, sur la rue de Rabat. Il était fermé depuis quelques années déjà, l’orfèvre n’ayant pas réussi à faire face à la concurrence féroce de ses jeunes rivaux installés eux aussi dans ce quartier de bijoutiers.
Réseau
Jusqu’à sa mort brutale, Joseph Amar gagnait sa vie en achetant des lots d’occasion de montres, de bijoux et d’objets d’antiquité dans les marchés informels, qu’il écoulait ensuite dans son réseau relationnel constitué essentiellement de Marocains de confession juive.
De l’avis de tous ses compagnons, Amar n’a jamais réussi à faire fortune. Il vivait modestement et bouclait difficilement ses fins de mois. Autant d’épreuves à surmonter qui ont marqué son visage et forgé son caractère. Introverti et peu loquace, Joseph Amar souriait rarement. Mais, tous s’accordent à dire qu’il ne reculait devant rien et ne se laissait pas impressionner. Dans sa jeunesse, il avait pratiqué plusieurs sports de combat, en particulier, le catch. Sa corpulence visible le prouve.
Cette nuit-là, son audace le trahit.
Sur le chemin de retour, à quelques pas de sa maison, il s’arrête au niveau d’une cabine téléphonique au coin d’une ruelle donnant sur le boulevard de Bordeaux pour téléphoner à son frère résidant aux Etats-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique, le soleil venait de se coucher.
À peine le temps de décrocher le combiné que le sexagénaire sent un souffle dans son dos. Il se retourne et se retrouve nez-à-nez avec un jeune homme plutôt menu, au visage long et aux joues creuses. Il porte un survêtement rouge et chausse des espadrilles.
Sous la menace d’un couteau de cuisine d’une lame de trente centimètres, il ordonne à Joseph Amar de lui remettre son portefeuille.
Il en faut plus pour intimider le vieil homme. Lui qui s’est mesuré à la star du catch dans les années soixante et soixante-dix, en l’occurrence Haj Fennane, une légende urbaine, ne se laissera pas faire. Surtout pas par un petit voyou et de surcroît dans son fief, Verdun. Autrefois commerçant et bien paisible, ce quartier s’est transformé en un véritable coupe-gorge, comme tout le centre historique de Casablanca.
Mais Joseph Amar y habite depuis une quarantaine d’années. Tout le monde ici le connaît. De l’épicier, qui le salue tous les matins, au cafetier, qui lui sert son petit noir quotidien, en passant par le marchand de fruits du coin. Jamais il n’aurait cru qu’il serait attaqué dans des lieux aussi familiers.
Indice
Joseph Amar tente de dissuader son agresseur. Peine perdue. Le délinquant au regard fuyant ne veut rien savoir. Il s’approche dangereusement du vieil homme et le somme de donner son portefeuille. Ce dernier refuse d’obtempérer.
«Jamais je n’aurais cédé!», s’était exclamé Joseph Amar apprenant que son ami Robert E., victime d’une agression quelques semaines plus tôt devant chez lui, au quartier Gauthier, avait abandonné bijoux et argent à ses assaillants. Et, pourtant...
Le jeune adolescent, les nerfs à vif, perd patience et porte deux coups à Joseph Amar. L’un au coeur et le second au dos, au niveau du rein.
Avant de s’écrouler par terre, Joseph Amar pousse trois cris stridents. Alertée, une voisine ouvre la fenêtre, mais ne voit rien de la scène. C’est un gardien de voiture qui découvrira son corps peu de temps après, baignant dans une mare de sang, la tête contre la roue d’une voiture et les jambes sous un camion. Il appelle les secours. Menés par le commissaire Mounir, les policiers de 2ème arrondissement, en permanence cette nuit-là, arrivent aussitôt avertis. L’enquête commence. L’identité de la victime n’est pas connue. Il ne portait sur lui aucune pièce d’identité. Les premiers éléments d’enquête montrent que c’est un Marocain de confession juive, Joseph Amar était coiffé d’un béret comme le veut la tradition hébraïque.
Cet indice change la donne. L’alerte générale est déclenchée. Et si ce fait-divers cachait un crime antisémite ou un attentat terroriste? La machine sécuritaire s’ébranle. Le mobile de cet assassinat doit être élucidé dans les plus brefs délais pour couper court à toute spéculation. D’autant plus que le Bureau de lutte anti-terroriste israélien a diffusé, à la mi-mars juste avant Pessah, une liste noire des pays représentant un risque potentiel pour les touristes israéliens désirant s’y rendre. Et le Maroc y figurait en bonne place. De quoi décourager les 800.000 Juifs marocains que compte l’Etat hébreu et ceux de la diaspora qui viennent, chaque année, célébrer la Maïmouna, et à l’occasion, pour beaucoup, se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres et de leurs saints.
Panique chez nos juifs
L. Bernichi
Cette année, Pessah a un goût amer pour la communauté juive marocaine. Particulièrement pour la famille Amar. Elle pour qui cette fête de la Pâque juive était une double célébration. Celle de voir leur fille unique, Nathalia, 26 ans, endosser la toge d’avocat après de longues et brillantes années d’études en Droit à Paris, mais aussi celle d’être, enfin, réunie autour du couscous de la Maïmouna. Sauf que le destin en a voulu autrement.
Nathalia Amar et sa mère sont arrivées à Casablanca par le premier vol, mais leurs coeurs étaient loin d’être à la fête. Leur cher père et époux, Joseph Amar, est mort. Et de quelle manière. Des plus cruelles. Pour une poignée de dirhams, un loubard des bas-fonds de l’ancienne médina lui a pris la vie.
Casablanca, la nuit du 3 au 4 avril 2009. Ce soir-là, ce bijoutier à la retraite, 68 ans, est invité à dîner chez une connaissance habitant le boulevard El Massira. Sa femme, Hannah, étant à Paris pour se soigner d’une fracture de l’épaule, Joseph en profite pour rendre visite à ses amis. Histoire d’échapper à la solitude. Après avoir partagé avec ses hôtes leur repas et évoqué les bons vieux souvenirs, Joseph décide de rentrer à pied. Il est 1 h10. L’heure tardive ne le décourage pas. Joseph Amar est un habitué de la marche nocturne. Les 20 minutes qui le séparent de chez lui, il les attaquerait bon pied bon oeil. Ne craint-il pas pour sa sécurité? Nullement. Pour être né et avoir vécu à Casablanca, l’homme croit avoir apprivoisé la ville ogresse.
Joseph Amar a, en effet, vu le jour au mellah, quartier juif de l’ancienne médina. Il passe là-bas la plus grande partie de sa jeunesse avant de déménager dans un petit appartement sur le boulevard Bordeaux, au ciquième étage d’un immeuble au-dessus du cinéma Verdun. Un quartier qui jadis abritait la plupart des Juifs casablancais. En attestent les cinq synagogues et le Cercle de l’Alliance Israélite, centre culturel juif, qui s’y trouvent toujours. D’ailleurs, ce quartier était surnommé, à l’époque coloniale française, la petite Tel Aviv, en référence à la capitale de l’Etat hébreu.
Le commerce de bijoux de Joseph Amar, par contre, se trouvait à l’ancienne médina, sur la rue de Rabat. Il était fermé depuis quelques années déjà, l’orfèvre n’ayant pas réussi à faire face à la concurrence féroce de ses jeunes rivaux installés eux aussi dans ce quartier de bijoutiers.
Réseau
Jusqu’à sa mort brutale, Joseph Amar gagnait sa vie en achetant des lots d’occasion de montres, de bijoux et d’objets d’antiquité dans les marchés informels, qu’il écoulait ensuite dans son réseau relationnel constitué essentiellement de Marocains de confession juive.
De l’avis de tous ses compagnons, Amar n’a jamais réussi à faire fortune. Il vivait modestement et bouclait difficilement ses fins de mois. Autant d’épreuves à surmonter qui ont marqué son visage et forgé son caractère. Introverti et peu loquace, Joseph Amar souriait rarement. Mais, tous s’accordent à dire qu’il ne reculait devant rien et ne se laissait pas impressionner. Dans sa jeunesse, il avait pratiqué plusieurs sports de combat, en particulier, le catch. Sa corpulence visible le prouve.
Cette nuit-là, son audace le trahit.
Sur le chemin de retour, à quelques pas de sa maison, il s’arrête au niveau d’une cabine téléphonique au coin d’une ruelle donnant sur le boulevard de Bordeaux pour téléphoner à son frère résidant aux Etats-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique, le soleil venait de se coucher.
À peine le temps de décrocher le combiné que le sexagénaire sent un souffle dans son dos. Il se retourne et se retrouve nez-à-nez avec un jeune homme plutôt menu, au visage long et aux joues creuses. Il porte un survêtement rouge et chausse des espadrilles.
Sous la menace d’un couteau de cuisine d’une lame de trente centimètres, il ordonne à Joseph Amar de lui remettre son portefeuille.
Il en faut plus pour intimider le vieil homme. Lui qui s’est mesuré à la star du catch dans les années soixante et soixante-dix, en l’occurrence Haj Fennane, une légende urbaine, ne se laissera pas faire. Surtout pas par un petit voyou et de surcroît dans son fief, Verdun. Autrefois commerçant et bien paisible, ce quartier s’est transformé en un véritable coupe-gorge, comme tout le centre historique de Casablanca.
Mais Joseph Amar y habite depuis une quarantaine d’années. Tout le monde ici le connaît. De l’épicier, qui le salue tous les matins, au cafetier, qui lui sert son petit noir quotidien, en passant par le marchand de fruits du coin. Jamais il n’aurait cru qu’il serait attaqué dans des lieux aussi familiers.
Indice
Joseph Amar tente de dissuader son agresseur. Peine perdue. Le délinquant au regard fuyant ne veut rien savoir. Il s’approche dangereusement du vieil homme et le somme de donner son portefeuille. Ce dernier refuse d’obtempérer.
«Jamais je n’aurais cédé!», s’était exclamé Joseph Amar apprenant que son ami Robert E., victime d’une agression quelques semaines plus tôt devant chez lui, au quartier Gauthier, avait abandonné bijoux et argent à ses assaillants. Et, pourtant...
Le jeune adolescent, les nerfs à vif, perd patience et porte deux coups à Joseph Amar. L’un au coeur et le second au dos, au niveau du rein.
Avant de s’écrouler par terre, Joseph Amar pousse trois cris stridents. Alertée, une voisine ouvre la fenêtre, mais ne voit rien de la scène. C’est un gardien de voiture qui découvrira son corps peu de temps après, baignant dans une mare de sang, la tête contre la roue d’une voiture et les jambes sous un camion. Il appelle les secours. Menés par le commissaire Mounir, les policiers de 2ème arrondissement, en permanence cette nuit-là, arrivent aussitôt avertis. L’enquête commence. L’identité de la victime n’est pas connue. Il ne portait sur lui aucune pièce d’identité. Les premiers éléments d’enquête montrent que c’est un Marocain de confession juive, Joseph Amar était coiffé d’un béret comme le veut la tradition hébraïque.
Cet indice change la donne. L’alerte générale est déclenchée. Et si ce fait-divers cachait un crime antisémite ou un attentat terroriste? La machine sécuritaire s’ébranle. Le mobile de cet assassinat doit être élucidé dans les plus brefs délais pour couper court à toute spéculation. D’autant plus que le Bureau de lutte anti-terroriste israélien a diffusé, à la mi-mars juste avant Pessah, une liste noire des pays représentant un risque potentiel pour les touristes israéliens désirant s’y rendre. Et le Maroc y figurait en bonne place. De quoi décourager les 800.000 Juifs marocains que compte l’Etat hébreu et ceux de la diaspora qui viennent, chaque année, célébrer la Maïmouna, et à l’occasion, pour beaucoup, se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres et de leurs saints.
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