Sylvie Arsever
Un groupe de femmes arrivant au congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), au Bourget en 2007. (Jean Ayissi / AFP)
Dans un livre en forme de réquisitoire, «Islamophobie ou légitime défense?» (Ed. Favre), la journaliste Mireille Vallette dénonce l’emprise de l’intégrisme musulman sur les sociétés occidentales. Mais est-ce le bon combat? Débat avec la féministe Patricia Roux
Le Temps: Mireille Vallette,
l’intégrisme musulman, que vous dénoncez dans votre livre, constitue-t-il un tel danger pour la Suisse?
Mireille Vallette (M. V.): Je démontre d’abord, et ça a constitué le gros de mon travail, qu’il avance masqué. Les responsables religieux qu’on entend vanter un islam pacifiste et ouvert défendent en réalité, vis-à-vis de leurs coreligionnaires, des positions qui, notamment, rabaissent et discriminent les femmes. Ces positions menacent des valeurs fondamentales comme les droits humains ou la démocratie et sa liberté d’expression. Sur ce dernier point, nous avons déjà perdu beaucoup de terrain. Avant même le vote sur les minarets, les autorités fédérales s’excusent auprès de gouvernements qui ne tolèrent pas le prosélytisme d’autres religions que l’islam et répriment l’apostasie. On a peur de simplement représenter le prophète: quel caricaturiste oserait-il encore s’y lancer? Et ce n’est qu’un début. Il existe une forte pression des pays musulmans, notamment au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, pour imposer à tous les Etats de réprimer la diffamation des religions. En Norvège, le gouvernement de centre gauche préparait en catimini une loi réprimant le blasphème qui a heureusement été balayée. C’est souvent la gauche qui montre le plus de complaisance envers l’intégrisme, au lieu de défendre les acquis démocratiques des sociétés occidentales et l’égalité entre femmes et hommes.
– Patricia Roux, vous êtes responsable des études genre à l’Université de Lausanne et vous refusez de considérer les discriminations exercées contre les femmes par l’islam fondamentaliste comme un problème spécifique. Vous abandonnez les musulmanes
à leur sort?
Patricia Roux (P. R.): D’abord, je ne conteste pas l’existence de discriminations. La question qui se pose à moi est de savoir comment je peux, en tant que féministe, être solidaire de ces femmes sans tomber dans le piège du racisme. Si je ramène les violences sexistes, qui sont présentes à des degrés divers et sous des formes différentes dans toutes les sociétés patriarcales, à la seule culture musulmane, je justifie la discrimination envers les musulmans. De ce fait, je fragilise les femmes musulmanes, en faisant du sexisme un problème qui leur est propre, lié à l’islam. Et j’abandonne les autres femmes en laissant entendre que, pour elles, tout va bien. Or c’est faux: tout ne va pas bien pour les femmes en Suisse. Les tâches ménagères continuent de peser avant tout sur les femmes, qui continuent à gagner un salaire inférieur à celui des hommes et à subir des violences sexistes. Les violences contre les femmes s’inscrivent partout dans le même système de domination patriarcale.
M. V.: Ce n’est pas parce que les femmes suisses ne gagnent pas encore le même salaire que les hommes que nous devons accepter l’obligation de virginité, de non-mixité, la justification de la polygamie, les mariages forcés et les crimes d’honneur, tous phénomènes nouveaux en Europe et qui concernent à une écrasante majorité des populations musulmanes.
P. R.: Ces pratiques sont combattues à l’intérieur des collectivités concernées, et c’est en soutenant celles qui mènent ce combat que nous sommes dans le juste, pas en intervenant du haut de notre prétendue supériorité pour expliquer comment les choses devraient se passer. L’exemple des crimes d’honneur est une bonne illustration de la mécanique de stigmatisation qui intervient lorsqu’on pose un problème grave comme relevant d’une seule communauté: en mettant l’accent sur ces crimes, qui sont bien entendu horribles et inacceptables, on se résigne implicitement à taire la violence conjugale qui touche tous les milieux sociaux et les crimes passionnels «normaux» qui continuent à faire beaucoup plus de victimes.
Publicité
OAS_AD('Middle1');
– Votre position sur le foulard: jusqu’où faut-il le tolérer ou l’interdire? Et d’ailleurs, que représente-t-il?
M. V.: C’est le symbole de l’oppression des femmes dans le monde musulman. Pourquoi Dieu impose-t-il cette contrainte aux femmes et rien aux hommes? Je ne comprends pas pourquoi des femmes qui vivent dans une société qui leur garantit des droits qu’aucune société musulmane ne leur a jamais octroyés – la liberté de choisir leur mari, de quitter l’islam, de divorcer et de conserver la garde de leurs enfants – choisissent de l’arborer. Elles proclament ainsi leur adhésion à un système qui leur confère un statut inférieur. Elles sont instrumentalisées par le fondamentalisme. Personnellement, je suis acquise à la loi française sur le foulard.
P. R.: Cette loi est discriminatoire pour les femmes musulmanes, qui sont vues comme forcément victimes, soumises ou influencées, incapables de décider pour elles-mêmes. Or elles nous racontent tout autre chose: pour elles, le foulard peut être une manière d’affirmer leur droit à exister dans une société qui se montre de plus en plus hostile à l’égard de leur communauté. Ou un moyen de négocier, avec cette communauté, un espace de liberté qu’elles jugent plus importante que celle de montrer leurs cheveux: la possibilité de faire des études, de prendre la parole, de mettre leur statut en débat.
Un groupe de femmes arrivant au congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), au Bourget en 2007. (Jean Ayissi / AFP)
Dans un livre en forme de réquisitoire, «Islamophobie ou légitime défense?» (Ed. Favre), la journaliste Mireille Vallette dénonce l’emprise de l’intégrisme musulman sur les sociétés occidentales. Mais est-ce le bon combat? Débat avec la féministe Patricia Roux
Le Temps: Mireille Vallette,
l’intégrisme musulman, que vous dénoncez dans votre livre, constitue-t-il un tel danger pour la Suisse?
Mireille Vallette (M. V.): Je démontre d’abord, et ça a constitué le gros de mon travail, qu’il avance masqué. Les responsables religieux qu’on entend vanter un islam pacifiste et ouvert défendent en réalité, vis-à-vis de leurs coreligionnaires, des positions qui, notamment, rabaissent et discriminent les femmes. Ces positions menacent des valeurs fondamentales comme les droits humains ou la démocratie et sa liberté d’expression. Sur ce dernier point, nous avons déjà perdu beaucoup de terrain. Avant même le vote sur les minarets, les autorités fédérales s’excusent auprès de gouvernements qui ne tolèrent pas le prosélytisme d’autres religions que l’islam et répriment l’apostasie. On a peur de simplement représenter le prophète: quel caricaturiste oserait-il encore s’y lancer? Et ce n’est qu’un début. Il existe une forte pression des pays musulmans, notamment au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, pour imposer à tous les Etats de réprimer la diffamation des religions. En Norvège, le gouvernement de centre gauche préparait en catimini une loi réprimant le blasphème qui a heureusement été balayée. C’est souvent la gauche qui montre le plus de complaisance envers l’intégrisme, au lieu de défendre les acquis démocratiques des sociétés occidentales et l’égalité entre femmes et hommes.
– Patricia Roux, vous êtes responsable des études genre à l’Université de Lausanne et vous refusez de considérer les discriminations exercées contre les femmes par l’islam fondamentaliste comme un problème spécifique. Vous abandonnez les musulmanes
à leur sort?
Patricia Roux (P. R.): D’abord, je ne conteste pas l’existence de discriminations. La question qui se pose à moi est de savoir comment je peux, en tant que féministe, être solidaire de ces femmes sans tomber dans le piège du racisme. Si je ramène les violences sexistes, qui sont présentes à des degrés divers et sous des formes différentes dans toutes les sociétés patriarcales, à la seule culture musulmane, je justifie la discrimination envers les musulmans. De ce fait, je fragilise les femmes musulmanes, en faisant du sexisme un problème qui leur est propre, lié à l’islam. Et j’abandonne les autres femmes en laissant entendre que, pour elles, tout va bien. Or c’est faux: tout ne va pas bien pour les femmes en Suisse. Les tâches ménagères continuent de peser avant tout sur les femmes, qui continuent à gagner un salaire inférieur à celui des hommes et à subir des violences sexistes. Les violences contre les femmes s’inscrivent partout dans le même système de domination patriarcale.
M. V.: Ce n’est pas parce que les femmes suisses ne gagnent pas encore le même salaire que les hommes que nous devons accepter l’obligation de virginité, de non-mixité, la justification de la polygamie, les mariages forcés et les crimes d’honneur, tous phénomènes nouveaux en Europe et qui concernent à une écrasante majorité des populations musulmanes.
P. R.: Ces pratiques sont combattues à l’intérieur des collectivités concernées, et c’est en soutenant celles qui mènent ce combat que nous sommes dans le juste, pas en intervenant du haut de notre prétendue supériorité pour expliquer comment les choses devraient se passer. L’exemple des crimes d’honneur est une bonne illustration de la mécanique de stigmatisation qui intervient lorsqu’on pose un problème grave comme relevant d’une seule communauté: en mettant l’accent sur ces crimes, qui sont bien entendu horribles et inacceptables, on se résigne implicitement à taire la violence conjugale qui touche tous les milieux sociaux et les crimes passionnels «normaux» qui continuent à faire beaucoup plus de victimes.
Publicité
OAS_AD('Middle1');
– Votre position sur le foulard: jusqu’où faut-il le tolérer ou l’interdire? Et d’ailleurs, que représente-t-il?
M. V.: C’est le symbole de l’oppression des femmes dans le monde musulman. Pourquoi Dieu impose-t-il cette contrainte aux femmes et rien aux hommes? Je ne comprends pas pourquoi des femmes qui vivent dans une société qui leur garantit des droits qu’aucune société musulmane ne leur a jamais octroyés – la liberté de choisir leur mari, de quitter l’islam, de divorcer et de conserver la garde de leurs enfants – choisissent de l’arborer. Elles proclament ainsi leur adhésion à un système qui leur confère un statut inférieur. Elles sont instrumentalisées par le fondamentalisme. Personnellement, je suis acquise à la loi française sur le foulard.
P. R.: Cette loi est discriminatoire pour les femmes musulmanes, qui sont vues comme forcément victimes, soumises ou influencées, incapables de décider pour elles-mêmes. Or elles nous racontent tout autre chose: pour elles, le foulard peut être une manière d’affirmer leur droit à exister dans une société qui se montre de plus en plus hostile à l’égard de leur communauté. Ou un moyen de négocier, avec cette communauté, un espace de liberté qu’elles jugent plus importante que celle de montrer leurs cheveux: la possibilité de faire des études, de prendre la parole, de mettre leur statut en débat.
Commentaire