25 avril 2009
L’État d’Israël est-il en train d’aborder une crise existentielle - morale, politique, économique - qui pourrait en faire une nation en danger ? Lieberman peut-il, lui ou quelqu’un susceptible de prendre sa place, se révéler comme une personnalité diabolique telle qu’Hitler, ou au moins Mussolini ?
Par Uri Avnery, Gush Shalom, 18 avril 2009
PEUT-ÊTRE Avigdor Lieberman ne représente-t-il qu’un épisode passager dans les annales de l’État d’Israël. Peut-être le feu qu’il s’efforce d’allumer va-t-il vaciller un court instant et disparaître de lui-même. Ou peut-être l’enquête de police sur la grave affaire de corruption dont il est suspecté va-t-elle entraîner son retrait de la scène publique.
Mais le contraire est aussi possible. La semaine passée, il a promis à ses acolytes que les prochaines élections le porteraient au pouvoir.
Peut-être Lieberman va-t-il apparaître comme un "Israbluff" (expression qu’il aime lui-même employer) et se révéler, derrière la façade épouvantable, n’être rien de plus qu’un banal imposteur.
Peut-être ce Lieberman va-t-il même disparaître pour laisser la place à un autre Lieberman, en pire.
Quoi qu’il en soit, nous devons affronter franchement le phénomène qu’il manifeste. Si l’on considère que ses déclarations ont une tonalité fasciste, on doit se demander : y a-t-il une possibilité qu’un régime fasciste vienne au pouvoir en Israël ?
LE PREMIER sentiment instinctif est un NON retentissant. En Israël ? Dans l’État juif ? Après l’Holocauste que le fascisme nazi nous a fait subir ? Quelqu’un peut-il même imaginer que des Israéliens puissent devenir quelque chose comme les nazis ?
Lorsque Yeshayahu Leibovitz forgea, il y a de nombreuses années, l’expression "judéo-nazis", ce fut une explosion dans tout le pays. Même beaucoup de ses admirateurs estimèrent que cette fois le turbulent professeur avait passé les bornes.
Mais les slogans de Lieberman le justifient pleinement a posteriori.
Certains négligeraient la performance de Lieberman aux récentes élections. Après tout, son parti "Israël notre maison" n’est pas le premier à faire une apparition soudaine pour obtenir un score impressionnant de 15 sièges. C’est exactement le nombre de sièges remportés par le parti Dash du général Yigael Yadin en 1977 et le parti Shinoui de Tommy Lapid en 2003 - et tous deux ont disparu peu de temps après sans laisser de trace.
Mais les électeurs de Lieberman ne sont pas comme ceux de Yadin et Lapid qui étaient des citoyens ordinaires excédés par quelques aspects particuliers de la vie israélienne. Beaucoup de ses électeurs sont des immigrants de l’ancienne Union soviétique qui considèrent leur "Ivett", un immigrant de l’ex Moldavie soviétique, comme un représentant de leur "secteur". Bien que beaucoup d’entre eux aient apporté de leur précédente patrie une vision du monde de droite, anti démocratique et même raciste, ils ne représentent pas en eux-mêmes un danger pour la démocratie israélienne.
Mais la force complémentaire qui a fait du parti de Lieberman la troisième composante en importance de la nouvelle Knesset est constituée d’une autre sorte d’électeurs : des jeunes gens nés en Israël, dont beaucoup ont pris part à la guerre de Gaza. Ils ont voté pour lui parce qu’ils estimaient qu’il expulserait les citoyens arabes d’Israël et qu’il chasserait les Palestiniens de l’ensemble du pays historique.
Il ne s’agit pas là de gens en marge de la société, fanatiques ou défavorisés, mais de jeunes gens ordinaires qui ont terminé leurs études secondaires et effectué leur service militaire, qui dansent dans les discothèques et qui ont l’intention de fonder une famille. Si des personnes comme celles-là votent massivement pour un raciste déclaré avec une forte odeur de fascisme, il n’est pas possible d’ignorer le phénomène.
Il Y A QUINZE ANS, j’ai écrit un livre intitulé "La Svastika" dans lequel je décrivais la façon dont les Nazis avaient pris le pouvoir en Allemagne. J’étais aidé par mes souvenirs d’enfance. J’avais 9 ans quand les Nazis sont arrivés au pouvoir. J’ai été témoin de l’agonie de la démocratie allemande et des premiers pas du nouveau régime avant que mes parents, dans leur infinie sagesse, ne décident de fuir et de s’installer en Palestine.
J’ai écrit le livre à la veille du jugement d’Adolf Eichmann, après avoir pris conscience que la jeune génération en Israël savait beaucoup de choses concernant l’Holocauste, mais presque rien sur les gens qui en étaient à l’origine. Ce qui me préoccupait plus que toute autre chose, c’était la question : comment un parti aussi monstrueux a-t-il pu accéder au pouvoir par des voies démocratiques dans l’un des pays les plus civilisés du monde ?
Le dernier chapitre de mon livre avait pour titre "Cela peut arriver ici". C’était une paraphrase du titre d’un livre de l’écrivain américain Sinclair Lewis, "Cela ne peut pas arriver ici", dans lequel il décrivait avec précision comment cela pourrait arriver aux États-Unis.
Je faisais valoir dans le livre que le nazisme n’était pas une maladie particulièrement allemande, que dans certaines circonstances, n’importe quel pays du monde pouvait être infecté par le virus - y compris notre État. Pour éviter ce danger, il fallait comprendre les causes sous-jacentes au développement de la maladie.
À ceux qui disent que je suis "obsédé" par cette question, que je vois la menace de ce danger dans tous les coins, je réponds : ce n’est pas vrai. Pendant des années, j’ai évité de m’exprimer à ce sujet. Mais c’est vrai que j’ai dans la tête une petite lampe rouge qui s’allume lorsque je pressens le danger.
Cette lampe s’est maintenant mise à clignoter.
QU’EST-CE QUI A FAIT le mal nazi se déclarer dans le passé ? Pourquoi s’est-il déclaré à un certain moment et pas à un autre ? Pourquoi en Allemagne et pas dans un autre pays souffrant de problèmes semblables ?
La réponse est que le fascisme est un phénomène particulier, différent de tout autre. Ce n’est pas une "extrême droite", un prolongement de positions "nationalistes" ou "conservatrices". Le fascisme est à l’opposé du conservatisme à bien des égards, même s’il lui arrive de se présenter sous un déguisement conservateur. Il ne s’agit pas non plus de la radicalisation d’un nationalisme normal, ordinaire, qui existe dans chaque nation.
Le fascisme est un phénomène unique qui a des caractéristiques uniques : l’idée d’être une "nation supérieure", la négation de l’humanité d’autres nations et de minorités nationales, un culte du chef, un culte de la violence, le mépris pour la démocratie, une adoration de la guerre, le mépris de la morale commune. Toutes ces caractéristiques réunies créent le phénomène auquel il n’existe aucune définition scientifique reconnue.
Comment cela est-il arrivé ?
Des centaines de livres ont été écrits sur le sujet, des dizaines de théories ont été proposées dont aucune n’est satisfaisante. En toute humilité, je propose une théorie personnelle, sans prétendre qu’elle soit plus valable que l’une quelconque des autres.
Dans ma façon de voir les choses, une révolution fasciste éclate lorsqu’une personnalité très particulière rencontre une situation nationale très particulière.
L’État d’Israël est-il en train d’aborder une crise existentielle - morale, politique, économique - qui pourrait en faire une nation en danger ? Lieberman peut-il, lui ou quelqu’un susceptible de prendre sa place, se révéler comme une personnalité diabolique telle qu’Hitler, ou au moins Mussolini ?
Par Uri Avnery, Gush Shalom, 18 avril 2009
PEUT-ÊTRE Avigdor Lieberman ne représente-t-il qu’un épisode passager dans les annales de l’État d’Israël. Peut-être le feu qu’il s’efforce d’allumer va-t-il vaciller un court instant et disparaître de lui-même. Ou peut-être l’enquête de police sur la grave affaire de corruption dont il est suspecté va-t-elle entraîner son retrait de la scène publique.
Mais le contraire est aussi possible. La semaine passée, il a promis à ses acolytes que les prochaines élections le porteraient au pouvoir.
Peut-être Lieberman va-t-il apparaître comme un "Israbluff" (expression qu’il aime lui-même employer) et se révéler, derrière la façade épouvantable, n’être rien de plus qu’un banal imposteur.
Peut-être ce Lieberman va-t-il même disparaître pour laisser la place à un autre Lieberman, en pire.
Quoi qu’il en soit, nous devons affronter franchement le phénomène qu’il manifeste. Si l’on considère que ses déclarations ont une tonalité fasciste, on doit se demander : y a-t-il une possibilité qu’un régime fasciste vienne au pouvoir en Israël ?
LE PREMIER sentiment instinctif est un NON retentissant. En Israël ? Dans l’État juif ? Après l’Holocauste que le fascisme nazi nous a fait subir ? Quelqu’un peut-il même imaginer que des Israéliens puissent devenir quelque chose comme les nazis ?
Lorsque Yeshayahu Leibovitz forgea, il y a de nombreuses années, l’expression "judéo-nazis", ce fut une explosion dans tout le pays. Même beaucoup de ses admirateurs estimèrent que cette fois le turbulent professeur avait passé les bornes.
Mais les slogans de Lieberman le justifient pleinement a posteriori.
Certains négligeraient la performance de Lieberman aux récentes élections. Après tout, son parti "Israël notre maison" n’est pas le premier à faire une apparition soudaine pour obtenir un score impressionnant de 15 sièges. C’est exactement le nombre de sièges remportés par le parti Dash du général Yigael Yadin en 1977 et le parti Shinoui de Tommy Lapid en 2003 - et tous deux ont disparu peu de temps après sans laisser de trace.
Mais les électeurs de Lieberman ne sont pas comme ceux de Yadin et Lapid qui étaient des citoyens ordinaires excédés par quelques aspects particuliers de la vie israélienne. Beaucoup de ses électeurs sont des immigrants de l’ancienne Union soviétique qui considèrent leur "Ivett", un immigrant de l’ex Moldavie soviétique, comme un représentant de leur "secteur". Bien que beaucoup d’entre eux aient apporté de leur précédente patrie une vision du monde de droite, anti démocratique et même raciste, ils ne représentent pas en eux-mêmes un danger pour la démocratie israélienne.
Mais la force complémentaire qui a fait du parti de Lieberman la troisième composante en importance de la nouvelle Knesset est constituée d’une autre sorte d’électeurs : des jeunes gens nés en Israël, dont beaucoup ont pris part à la guerre de Gaza. Ils ont voté pour lui parce qu’ils estimaient qu’il expulserait les citoyens arabes d’Israël et qu’il chasserait les Palestiniens de l’ensemble du pays historique.
Il ne s’agit pas là de gens en marge de la société, fanatiques ou défavorisés, mais de jeunes gens ordinaires qui ont terminé leurs études secondaires et effectué leur service militaire, qui dansent dans les discothèques et qui ont l’intention de fonder une famille. Si des personnes comme celles-là votent massivement pour un raciste déclaré avec une forte odeur de fascisme, il n’est pas possible d’ignorer le phénomène.
Il Y A QUINZE ANS, j’ai écrit un livre intitulé "La Svastika" dans lequel je décrivais la façon dont les Nazis avaient pris le pouvoir en Allemagne. J’étais aidé par mes souvenirs d’enfance. J’avais 9 ans quand les Nazis sont arrivés au pouvoir. J’ai été témoin de l’agonie de la démocratie allemande et des premiers pas du nouveau régime avant que mes parents, dans leur infinie sagesse, ne décident de fuir et de s’installer en Palestine.
J’ai écrit le livre à la veille du jugement d’Adolf Eichmann, après avoir pris conscience que la jeune génération en Israël savait beaucoup de choses concernant l’Holocauste, mais presque rien sur les gens qui en étaient à l’origine. Ce qui me préoccupait plus que toute autre chose, c’était la question : comment un parti aussi monstrueux a-t-il pu accéder au pouvoir par des voies démocratiques dans l’un des pays les plus civilisés du monde ?
Le dernier chapitre de mon livre avait pour titre "Cela peut arriver ici". C’était une paraphrase du titre d’un livre de l’écrivain américain Sinclair Lewis, "Cela ne peut pas arriver ici", dans lequel il décrivait avec précision comment cela pourrait arriver aux États-Unis.
Je faisais valoir dans le livre que le nazisme n’était pas une maladie particulièrement allemande, que dans certaines circonstances, n’importe quel pays du monde pouvait être infecté par le virus - y compris notre État. Pour éviter ce danger, il fallait comprendre les causes sous-jacentes au développement de la maladie.
À ceux qui disent que je suis "obsédé" par cette question, que je vois la menace de ce danger dans tous les coins, je réponds : ce n’est pas vrai. Pendant des années, j’ai évité de m’exprimer à ce sujet. Mais c’est vrai que j’ai dans la tête une petite lampe rouge qui s’allume lorsque je pressens le danger.
Cette lampe s’est maintenant mise à clignoter.
QU’EST-CE QUI A FAIT le mal nazi se déclarer dans le passé ? Pourquoi s’est-il déclaré à un certain moment et pas à un autre ? Pourquoi en Allemagne et pas dans un autre pays souffrant de problèmes semblables ?
La réponse est que le fascisme est un phénomène particulier, différent de tout autre. Ce n’est pas une "extrême droite", un prolongement de positions "nationalistes" ou "conservatrices". Le fascisme est à l’opposé du conservatisme à bien des égards, même s’il lui arrive de se présenter sous un déguisement conservateur. Il ne s’agit pas non plus de la radicalisation d’un nationalisme normal, ordinaire, qui existe dans chaque nation.
Le fascisme est un phénomène unique qui a des caractéristiques uniques : l’idée d’être une "nation supérieure", la négation de l’humanité d’autres nations et de minorités nationales, un culte du chef, un culte de la violence, le mépris pour la démocratie, une adoration de la guerre, le mépris de la morale commune. Toutes ces caractéristiques réunies créent le phénomène auquel il n’existe aucune définition scientifique reconnue.
Comment cela est-il arrivé ?
Des centaines de livres ont été écrits sur le sujet, des dizaines de théories ont été proposées dont aucune n’est satisfaisante. En toute humilité, je propose une théorie personnelle, sans prétendre qu’elle soit plus valable que l’une quelconque des autres.
Dans ma façon de voir les choses, une révolution fasciste éclate lorsqu’une personnalité très particulière rencontre une situation nationale très particulière.
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