Editing TelQuel
RÉVÉLATIONS. Le Journal, l’histoire secrète“Mohammed VI, le grand malentendu” (Ed. Calmann Lévy), c’est le titre choc qu’a choisi Ali Amar, cofondateur de l’hebdomadaire Le Journal, pour son ouvrage qui sortira en France le 29 avril. Livre bilan sur les dix ans de règne de Mohammed VI, l’auteur l’agrémente d’anecdotes croustillantes sur les rapports des dirigeants de la publication avec certains hommes forts du régime... Extraits.
En 1999, Le Journal avait caressé l’idée d’interviewer le prince héritier, qui allait bientôt devenir roi. Un scoop sans précédent, le futur Mohammed VI n’ayant jamais accordé le moindre entretien à la presse marocaine. Il ne le fera d’ailleurs jamais. Alors qu’encore aucune initiative n’avait été menée pour faire aboutir le projet, le rédacteur en chef du Journal avait rapporté que la requête venait du Palais, qui estimait une sortie du prince dans les médias envisageable, au point qu’il en serait même demandeur. Vérification faite par d’autres voies, Le Journal apprit que ce désir n’était pas à l’ordre du jour. Une information confirmée aussi par Hassan Bernoussi, autre ami du prince héritier et directeur des investissements étrangers, qui, à l’époque, fréquentait assidûment le futur souverain. L’histoire s’était entre-temps ébruitée dans les couloirs du Palais. Fadel Iraki, l’actionnaire principal du Journal, s’en est alors ouvert à Hassan Aourid qui lui a conseillé d’en parler à Fouad Ali El Himma, à l’époque secrétaire particulier du prince. Le but étant de dissiper tout malentendu sur une idée qui avait bien été évoquée au sein de la rédaction. C’est à cette occasion que nous avions pris pour la première fois contact avec le plus proche confident de Mohammed VI. Pour El Himma, interviewer le futur roi n’était pas tout à fait exclu. Le lendemain de cette rencontre, je devais le retrouver, accompagné d’Aourid, pour un second rendez-vous à sa résidence de la route des Zaërs à Rabat. Arrivés chez El Himma, les deux intimes de Mohammed VI me demandèrent alors s’il était possible de rédiger et de signer une demande d’entretien à l’intention du prince héritier, demande qui, pour la circonstance, devait être antidatée, prouvant ainsi que l’initiative émanait du Journal. Une option difficilement envisageable, qui fera que le projet n’aboutira jamais (…)
A propos de Hicham Mandari
“Eteignez vos portables, ce que j’ai à vous confier ne doit en aucun cas sortir d’ici !” Au volant de sa Volvo bleu nuit, immatriculée au palais royal, Fouad Ali El Himma, le secrétaire particulier de Mohammed VI alors prince héritier, n’est pas encore le n°2 du régime. Nous sommes en juin 1999 et Hassan II n’a plus que quelques semaines à vivre. Le Monde vient de publier un article dévastateur, révélant qu’un jeune roturier, inconnu du grand public, fait chanter le roi depuis son exil américain. El Himma dit avoir un message du jeune prince à transmettre aux patrons du Journal. Fadel iraki, actionnaire principal du Journal, et moi-même le rejoignons pour une longue virée en voiture dans les faubourgs de Rabat, loin des oreilles indiscrètes. Le message, ou plutôt le service “dont le prince héritier se rappellera toute sa vie”, est pour le moins iconoclaste. Il faut convaincre Jean-Pierre Tuquoi, l’auteur de l’article du Monde, que ses révélations sont émaillées de contrevérités. Sur notre insistance pour en savoir plus, El Himma nous propose de rencontrer André Azoulay, le conseiller du roi. Rendez-vous est pris quelques jours plus tard au domicile parisien d’Azoulay. Aboubakr Jamaï, le directeur de publication, très sceptique sur le sens de la démarche, viendra pourtant d’Angleterre où il résidait pour un an, afin de participer à ce rendez-vous. Le conseiller nous reçoit avec une prudence affichée : “Est-ce bien le prince héritier qui me demande de vous recevoir au sujet de Mandari ?”. Nous lui remettons le pli cacheté frappé des armoiries de l’altesse royale qu’El Himma nous a confié à son attention. Azoulay ouvre l’enveloppe et lit attentivement le petit bristol qu’elle contient avant de s’éclipser et de revenir avec un volumineux dossier (…) En réalité, l’article du Monde rebondissait sur une première salve contre Hassan II venue des Etats-Unis. Elle n’avait pas encore eu d’écho dans le royaume. Le Washington Post avait publié le 6 juin un encart publicitaire payé 20 000 dollars, par lequel un certain Hicham Mandari s’adressait au souverain chérifien en des termes menaçants (…). Grâce à la complicité d’autres courtisans avides, il [Hicham Mandari] a pu dérober au cours de l’été 1998 dans le saint des saints, la chambre même du souverain, des dizaines de chèques de comptes personnels du roi. Il aurait aussi subtilisé des bijoux inestimables, d’après la rumeur, et, selon ses propres dires, des “documents secrets” ainsi que l’inventaire complet du patrimoine royal placé à l’étranger. Mandari en fera durant six ans un moyen de chantage qui le mènera à la mort (…)
Une offre royale
Lors d’une soirée privée en automne 2000 au domicile de la journaliste Samira Sitaïl, qui avait invité à cette occasion tout le gratin de Rabat et de Casablanca, El Himma me dira que nous étions tout près d’obtenir l’accord de Mohammed VI [pour l’interview]. Les relations avec Le Journal étaient déjà devenues orageuses, après la saisie du numéro où figurait l’interview du chef du Polisario. Un peu plus d’un an auparavant, El Himma avait appelé Fadel Iraki pour lui transmettre un message personnel de Hassan II. Le monarque, qui n’avait plus que quelques mois à vivre, lui aurait fait savoir qu’il trouvait Le Journal “formidable”. Il estimait qu’il était regrettable qu’il soit imprimé en France à cause de la frilosité des imprimeurs locaux. Par conséquent, il se proposait de nous offrir notre propre imprimerie. Le Palais avait eu vent de notre projet d’association avec les imprimeries Dulac en France, qui nous avaient été recommandées par Courrier international, et qui assuraient depuis un an la fabrication du Journal sous le même format (…). Hassan II, nous a expliqué El Himma, était prêt à nous faire don de l’équivalent de 5 millions d’euros, pour que nous puissions garder notre autonomie. Nous avions décliné l’offre, non sans conséquences. Pour nous, l’accepter aurait été à l’évidence synonyme de la perte immédiate de notre crédibilité et de notre indépendance. La refuser a été considéré comme un affront, au point qu’El Himma, interloqué, nous avouera qu’il “ne savait pas comment annoncer la nouvelle au roi (…)”
Commentaire