L’OCP au fond du gouffre
Aujourd’hui, l’OCP, cette vieille dame vénérable, donne des signes inquiétants, peut-être pas de fin de vie, mais de mal-vivre dans le nouveau contexte mondial.
A. Mansour
Que se passe-t-il au sein de l’Office chérifien des phosphates? Qu’en est-il de son état de santé, en terme de bilan, de chiffres d’affaires, de bénéfices dégagés et de capitaux réinvestis? Comment a-t-il réagi à la crise financière internationale actuelle, dans ses prolongements économiques et sociaux? La situation de cette première entreprise publique du Maroc, aussi bien dans le temps que par ses différents sites d’exploitation, de traitement, de diversification de ses dérivés et du volume de ses exportations, ainsi que l’énorme potentiel humain de ses effectifs, est déterminante pour les équilibres macro-économiques du pays. Voilà des données tellement évidentes qu’il n’est pas besoin d’avoir fait les grandes écoles d’Europe et d’Amérique pour en avoir conscience et connaissance. Le citoyen lambda sait par un héritage mémoriel en continu, depuis que le général Lyautey a fondé l’OCP en 1920, que le Maroc est un pays phosphatier, qu’il est, largement, minier par extension; bref, que ses principales richesses se trouvent dans son sous-sol, à l’exception d’hydrocarbures volatiles qu’on n’arrive pas à localiser.
Paradoxe
Aujourd’hui, l’OCP, cette vieille dame vénérable, donne des signes inquiétants, peut-être pas de fin de vie, mais de mal-vivre dans le nouveau contexte mondial. Les chiffres sont implacables. Pour le premier mois de l’année en cours, les ventes, sur l’éventail des produits phosphatés, ont chuté d’environ 61%, par rapport à janvier 2008. La déclinaison des statistiques dans le détail, marque un recul encore plus alarmant; moins 50% pour le brut, moins 28% pour l’acide; pour les engrais, c’est carrément le black-out, à peine 2% de ce qu’ils représentaitaient au début de l’année dernière. Le tout, en valeur, précise-t-on de sources officielles de l’OCP; une précision technocratique qui n’atténue en rien la mévente catastrophique de la première ressource naturelle du pays pourvoyeuse de devises fraîches et d’emplois. Continuons sur le même registre de mauvais augure. La tonne de phosphate a reculé de moitié, passant de 400 à 200 dollars, dans un marché atone. Les clients traditionnels de l’OCP, tels le Pakistan et l’Inde, ont réduit leurs demandes. Ils font pire. Ils réclament le retour à un prix d’achat quasiment pré-historique du phosphate brut variant entre 60 et 70 dollars la tonne. Si cette poussée à la baisse se réalise, cela serait pratiquement la Berezina pour un pan entier de notre économie, que l’on braderait à perte.
Le tableau est donc sombre et ce n’est pas un exercice de plaisir que d’en donner un descriptif même non exhaustif. Paradoxe saisissant, Mostafa Terrab, directeur général de l’OCP, lui, n’en a cure. Il affiche un optimisme à toute épreuve. C’est plutôt bien d’être optimiste, lorsqu’on est chef d’entreprise, à condition que celle-ci relève du secteur privé et non de l’espace public. La différence est de taille, lorsqu’il s’agit de rendre compte.
M. Terrab met tout sur une crise mondiale qui a bon dos. Il s’accroche, comme à une bouée de sauvetage, à l’exercice 2008; une année référence, pour lui; une année de toutes les performances. Le Maroc n’en a pas vu pareille, depuis 1973, affirme-t-il dans un support publicitaire de la place. L’OCP a réalisé un chiffre d’affaires de 64 milliards de dirhams. L’État, dans sa magnanimité infinie, n’en a prélevé que deux milliards; le reste ayant été versé dans les fonds propres de l’office. Une injection providentielle, certes, sauf que ces fonds propres étaient négatifs de moins 250% par rapport à la dette de l’office jusqu’à fin 2007. Un ratio cauchemardesque. Pour le réduire à 70% des fonds propres, il aura fallu, en plus de l’attitude chevaleresque du Trésor public, un apport substantiel et salvateur de la Banque populaire.
Mostafa Terrab a donc beau jongler avec les chiffres, l’OCP va mal. Si cet office, poumon exportateur du Maroc, a pu se maintenir à flot, c’est plus grâce à une flambée des prix en 2008 que par le fait de la gestion de son directeur général. Car, en définitive, en quoi a consisté le management de M. Terrab, depuis sa nomination en 2006, hormis d’avoir profité de l’éclaircie de 2008! Sa principale trouvaille a été de réduire le rythme de production, en attendant la remontée des cours sur le marché mondial. Il appelle cela «ne pas jouer sur le volume». Ce qui ne l’a pas empêché de stocker l’équivalent en chiffre d’affaires de 4 millions de tonnes de phosphate traité.
Cette idée lumineuse qu’il semble avoir ramenée de ses chères études euro-américaines, n’aurait jamais été possible si l’économie marocaine n’avait pas relativement résisté au séisme de la crise internationale. Ce qu’il reconnaît lui-même sans sourciller. En plus clair, Mostafa Terrab a fait vivre l’OCP aux crochets de l’effort économique national, alors que l’on était en droit de s’attendre à l’inverse. Plus managérial que cela, tu meurs. Et pourtant, M. Terrab s’en glorifie en nous promettant des jours meilleurs lorsque la crise et ses effets se seront dissipés. À condition que nous ayons suffisamment économisé pour financer son déficit.
Facilité
M. Terrab n’est pas pour autant dupe. Il sait, mieux que quiconque, lui l’ex-fonctionnaire international, revenu d’un exil volontaire auprès de la Banque mondiale, entre 2002 et 2006, que nul ne peut prévoir le délai et le type de dénouement de la crise mondiale.
Alors, il a pris le devant en empruntant les chemins de la facilité: rogner sur les effectifs. Il s’est, lui aussi, offert une version OCP du “départ volontaire”; histoire de limiter un autre volume que celui de la production, la masse salariale. Près de 1.300 cadres et employés du siège de Casablanca ont été incités à rendre leur tablier. Une opération baptisée “dégraissage du mammouth”, sans trop d’inventivité, puisque déjà usée et abusée par ailleurs. D’autant plus qu’elle met les partants au même diapason, les tout nouveaux comme les anciens.
Le problème, c’est que cet “ailleurs”, ce n’est pas nous. Il s’agit de pays où les personnes en âge de travailler ou en rupture d’emploi, bénéficient d’un “revenu minimum d’insertion” (RMI), ou d’une allocation de chômage. Or, nous sommes loin de disposer de ce filet social de rattrapage.
M. Terrab a proposé deux mois de salaire par année d’ancienneté, jusqu’à concurrence de 48 mois de pécule, en guise d’au-revoir et merci. Sur son site informatique, l’OCP totalise un effectif de 19.874 personnes, dont 856 ingénieurs et équivalents. Les 1.300 salariés du lock-out, rapportés au total du personnel, constituent des économies de bouts de chandelles. Mais, socialement, cela fait mal. D’autant plus qu’en même temps, Mostafa Terrab a recruté à prix d’or des encadreurs, étrangers et nationaux, avec des salaires qui défient tout entendement. Si cela ne ressemble pas à une provocation, en temps de crise, dans une entreprise publique soumise à un plan social, sous couvert de restructuration organique, c’est tout comme.
Mais la cerise amère sur le gâteau indigeste servi, clé en main et bille en tête, par M. Terrab, est pour la fin. Le patron de l’OCP du haut de ses pouvoirs concédés, a pris soin d’enrober sa stratégie de refondation interne dans une entournure langagière avec un mot magique qui tient le haut du pavé de son discours: décentralisation. Il va tellement loin dans sa chevauchée décentralisatrice qu’il projette de réduire le siège de Casablanca à sa plus simple expression, au profit de centres éclatés de décision sur les sites de production, à Safi, El Jadida, Khouribga et Benguérir. Parce que, dit-il, c’est sur ces sites que doivent se gérer «les recrutements, les achats et la politique sociale». Apparemment, voilà donc une orientation vers une régionalisation que les pouvoirs publics et la population appellent de tous leurs vœux. Mais apparemment seulement.
Aujourd’hui, l’OCP, cette vieille dame vénérable, donne des signes inquiétants, peut-être pas de fin de vie, mais de mal-vivre dans le nouveau contexte mondial.
A. Mansour
Que se passe-t-il au sein de l’Office chérifien des phosphates? Qu’en est-il de son état de santé, en terme de bilan, de chiffres d’affaires, de bénéfices dégagés et de capitaux réinvestis? Comment a-t-il réagi à la crise financière internationale actuelle, dans ses prolongements économiques et sociaux? La situation de cette première entreprise publique du Maroc, aussi bien dans le temps que par ses différents sites d’exploitation, de traitement, de diversification de ses dérivés et du volume de ses exportations, ainsi que l’énorme potentiel humain de ses effectifs, est déterminante pour les équilibres macro-économiques du pays. Voilà des données tellement évidentes qu’il n’est pas besoin d’avoir fait les grandes écoles d’Europe et d’Amérique pour en avoir conscience et connaissance. Le citoyen lambda sait par un héritage mémoriel en continu, depuis que le général Lyautey a fondé l’OCP en 1920, que le Maroc est un pays phosphatier, qu’il est, largement, minier par extension; bref, que ses principales richesses se trouvent dans son sous-sol, à l’exception d’hydrocarbures volatiles qu’on n’arrive pas à localiser.
Paradoxe
Aujourd’hui, l’OCP, cette vieille dame vénérable, donne des signes inquiétants, peut-être pas de fin de vie, mais de mal-vivre dans le nouveau contexte mondial. Les chiffres sont implacables. Pour le premier mois de l’année en cours, les ventes, sur l’éventail des produits phosphatés, ont chuté d’environ 61%, par rapport à janvier 2008. La déclinaison des statistiques dans le détail, marque un recul encore plus alarmant; moins 50% pour le brut, moins 28% pour l’acide; pour les engrais, c’est carrément le black-out, à peine 2% de ce qu’ils représentaitaient au début de l’année dernière. Le tout, en valeur, précise-t-on de sources officielles de l’OCP; une précision technocratique qui n’atténue en rien la mévente catastrophique de la première ressource naturelle du pays pourvoyeuse de devises fraîches et d’emplois. Continuons sur le même registre de mauvais augure. La tonne de phosphate a reculé de moitié, passant de 400 à 200 dollars, dans un marché atone. Les clients traditionnels de l’OCP, tels le Pakistan et l’Inde, ont réduit leurs demandes. Ils font pire. Ils réclament le retour à un prix d’achat quasiment pré-historique du phosphate brut variant entre 60 et 70 dollars la tonne. Si cette poussée à la baisse se réalise, cela serait pratiquement la Berezina pour un pan entier de notre économie, que l’on braderait à perte.
Le tableau est donc sombre et ce n’est pas un exercice de plaisir que d’en donner un descriptif même non exhaustif. Paradoxe saisissant, Mostafa Terrab, directeur général de l’OCP, lui, n’en a cure. Il affiche un optimisme à toute épreuve. C’est plutôt bien d’être optimiste, lorsqu’on est chef d’entreprise, à condition que celle-ci relève du secteur privé et non de l’espace public. La différence est de taille, lorsqu’il s’agit de rendre compte.
M. Terrab met tout sur une crise mondiale qui a bon dos. Il s’accroche, comme à une bouée de sauvetage, à l’exercice 2008; une année référence, pour lui; une année de toutes les performances. Le Maroc n’en a pas vu pareille, depuis 1973, affirme-t-il dans un support publicitaire de la place. L’OCP a réalisé un chiffre d’affaires de 64 milliards de dirhams. L’État, dans sa magnanimité infinie, n’en a prélevé que deux milliards; le reste ayant été versé dans les fonds propres de l’office. Une injection providentielle, certes, sauf que ces fonds propres étaient négatifs de moins 250% par rapport à la dette de l’office jusqu’à fin 2007. Un ratio cauchemardesque. Pour le réduire à 70% des fonds propres, il aura fallu, en plus de l’attitude chevaleresque du Trésor public, un apport substantiel et salvateur de la Banque populaire.
Mostafa Terrab a donc beau jongler avec les chiffres, l’OCP va mal. Si cet office, poumon exportateur du Maroc, a pu se maintenir à flot, c’est plus grâce à une flambée des prix en 2008 que par le fait de la gestion de son directeur général. Car, en définitive, en quoi a consisté le management de M. Terrab, depuis sa nomination en 2006, hormis d’avoir profité de l’éclaircie de 2008! Sa principale trouvaille a été de réduire le rythme de production, en attendant la remontée des cours sur le marché mondial. Il appelle cela «ne pas jouer sur le volume». Ce qui ne l’a pas empêché de stocker l’équivalent en chiffre d’affaires de 4 millions de tonnes de phosphate traité.
Cette idée lumineuse qu’il semble avoir ramenée de ses chères études euro-américaines, n’aurait jamais été possible si l’économie marocaine n’avait pas relativement résisté au séisme de la crise internationale. Ce qu’il reconnaît lui-même sans sourciller. En plus clair, Mostafa Terrab a fait vivre l’OCP aux crochets de l’effort économique national, alors que l’on était en droit de s’attendre à l’inverse. Plus managérial que cela, tu meurs. Et pourtant, M. Terrab s’en glorifie en nous promettant des jours meilleurs lorsque la crise et ses effets se seront dissipés. À condition que nous ayons suffisamment économisé pour financer son déficit.
Facilité
M. Terrab n’est pas pour autant dupe. Il sait, mieux que quiconque, lui l’ex-fonctionnaire international, revenu d’un exil volontaire auprès de la Banque mondiale, entre 2002 et 2006, que nul ne peut prévoir le délai et le type de dénouement de la crise mondiale.
Alors, il a pris le devant en empruntant les chemins de la facilité: rogner sur les effectifs. Il s’est, lui aussi, offert une version OCP du “départ volontaire”; histoire de limiter un autre volume que celui de la production, la masse salariale. Près de 1.300 cadres et employés du siège de Casablanca ont été incités à rendre leur tablier. Une opération baptisée “dégraissage du mammouth”, sans trop d’inventivité, puisque déjà usée et abusée par ailleurs. D’autant plus qu’elle met les partants au même diapason, les tout nouveaux comme les anciens.
Le problème, c’est que cet “ailleurs”, ce n’est pas nous. Il s’agit de pays où les personnes en âge de travailler ou en rupture d’emploi, bénéficient d’un “revenu minimum d’insertion” (RMI), ou d’une allocation de chômage. Or, nous sommes loin de disposer de ce filet social de rattrapage.
M. Terrab a proposé deux mois de salaire par année d’ancienneté, jusqu’à concurrence de 48 mois de pécule, en guise d’au-revoir et merci. Sur son site informatique, l’OCP totalise un effectif de 19.874 personnes, dont 856 ingénieurs et équivalents. Les 1.300 salariés du lock-out, rapportés au total du personnel, constituent des économies de bouts de chandelles. Mais, socialement, cela fait mal. D’autant plus qu’en même temps, Mostafa Terrab a recruté à prix d’or des encadreurs, étrangers et nationaux, avec des salaires qui défient tout entendement. Si cela ne ressemble pas à une provocation, en temps de crise, dans une entreprise publique soumise à un plan social, sous couvert de restructuration organique, c’est tout comme.
Mais la cerise amère sur le gâteau indigeste servi, clé en main et bille en tête, par M. Terrab, est pour la fin. Le patron de l’OCP du haut de ses pouvoirs concédés, a pris soin d’enrober sa stratégie de refondation interne dans une entournure langagière avec un mot magique qui tient le haut du pavé de son discours: décentralisation. Il va tellement loin dans sa chevauchée décentralisatrice qu’il projette de réduire le siège de Casablanca à sa plus simple expression, au profit de centres éclatés de décision sur les sites de production, à Safi, El Jadida, Khouribga et Benguérir. Parce que, dit-il, c’est sur ces sites que doivent se gérer «les recrutements, les achats et la politique sociale». Apparemment, voilà donc une orientation vers une régionalisation que les pouvoirs publics et la population appellent de tous leurs vœux. Mais apparemment seulement.
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