Interview. Star internationale devenue l'ambassadeur de la musique raï dans le monde entier, à la chaleur communicative et au sourire éternellement vissé aux lèvres, Khaled est aussi (et peut-être malgré lui), le porte-parole d'une certaine opposition culturelle à l'intolérance.
Khaled le rebelle chante la plus iconoclaste des musiques algériennes avec, en filigrane, l'espoir fou de retrouver un jour sa terre natale apaisée, seulement écrasée de soleil. Il ressuscite aujourd'hui les folles années du raï dans son nouvel album, un magnifique pont entre le passé et l'avenir, entre racines et devenir. Khaled a retrouvé en studio les musiciens de toujours, qui le suivent sur toutes les scènes du monde, et avec qui il n'avait toujours pas enregistré d'album.
Par sa musicalité aux accents du terroir, par le choix des thèmes ce nouvel opus baptisé « Liberté » n'est-il pas celui qui vous ressemble le plus ?
Tout à fait. C'est exactement cela, tant par le choix des thèmes de mes chansons que par la musicalité. J'ai toujours été l'apôtre de la liberté sous toutes ses formes. Quant à la musicalité, j'ai opté pour un album qui retourne aux racines oranaises et marocaines. J'ai eu l'impression de revenir vingt ans en arrière quand j'ai enregistré sous la houlette de Martin Meissonnier, producteur français passionné de « world music », et avec Safy Boutella, musicien algérien, un album qui s'intitulait « Kutché », et le premier produit ailleurs qu'en Algérie, avec des moyens nettement plus importants.
Vous symbolisez la liberté de ton du raï… Pourquoi ?
Je ne suis pas le chantre d'une liberté excessive, d'une permissivité sans borne. Je suis pour que chacun puisse vivre comme il en a envie. Le raï est un genre musical qui, par certains côtés, a mis à mal, sans réelle subversion, un certain nombre de tabous qui briment l'expression d'une jeunesse en mal de vivre.
Vous avez d'ailleurs été le chef de file des « chebs » (jeunes) algériens, en étant l'un des premiers ambassadeurs du raï et en n'hésitant pas à briser quelques tabous en parlant d'amour, de filles, d'alcool et de liberté dans vos chansons !
Tout à fait. Je suis très aimé et respecté à ce titre. Les jeunes me considèrent comme un grand frère, un vieux sage. L'Algérie, prise dans ses contradictions, entre archaïsme et modernité, n'avait pas prévu l'explosion de ce phénomène. Une jeunesse, qui a soif de vivre, et qui s'est retrouvée dans des chansons dans lesquelles l'amour et la fête reviennent comme des leitmotivs.
En s'enrichissant de tous les courants musicaux actuels, et en se déclinant en autant de styles, la jeunesse algérienne s'est retrouvée dans cette musique, en quête de démocratie mais aussi d'une libéralisation des mœurs et de l'évolution des structures sociales.
Ne craignez vous pas que cet album « Liberté », album traditionnel s'il en est, soit moins apprécié par le plus grand nombre, habitué à un répertoire raï plus proche de la variété, Didi ou Aïcha ?
C'est un risque, j'en ai conscience. Toutefois, je veux assouvir cette envie du retour à mes racines et d'être en accord avec moi-même artistiquement parlant. J'avais envie de faire ce disque depuis longtemps, mais je me suis dit que les Européens n'étaient pas prêts pour ce genre de musique plus fidèle à la tradition.
Un jour, j'en ai discuté avec Martin Messonnier et lui était partant pour un enregistrement live, « nature ». Il m'a dit que c'était sur scène que je dégageait la meilleure chaleur, il voulait que je me libère des contraintes du formatage qui m'ont souvent bridé ces dernières années. Donc, l'idée a été d'enregistrer avec les musiciens de mon groupe de base, dont certains jouent avec moi sur scène depuis des années, voire mes débuts. J'ai ainsi retrouvé en studio mes musiciens de toujours, qui me suivent sur les scènes du monde entier depuis maintenant plusieurs années et avec qui je n'avais toujours pas enregistré d'album !
Zabana est un hommage au premier condamné à mort exécuté et dont un musée et un stade portent le nom à Oran.
C'est un honneur que de lui rendre hommage en chanson car c'est le premier guillotiné en Algérie. C'est un hommage à un héros oranais, qui a vite répondu à l'appel à rejoindre le maquis et qui, avec des jeunes de son âge, a malmené les troupes ennemies, comme le dit entre autres la chanson. Capturé le 8 novembre 1954, soit huit jours après le déclenchement de la lutte armée de libération algérienne, lors d'une bataille féroce où il reçut deux balles, il a été incarcéré à Oran, avant d'être transféré à la prison Barberousse à Alger pour y être guillotiné en 1956. Tout comme Guy Môquet, il a laissé une lettre émouvante à ses parents. Un musée et un stade portent son nom à Oran.
Votre père, qui était policier, n'avait pas spécialement envie que vous preniez cette voie, surtout quand il a appris que vous chantiez à son insu dans des mariages avec le groupe Cinq Etoiles ou que vous faisiez le tour des clubs interdits aux mineurs.
Mon père n'a jamais voulu que je devienne chanteur. Il ne voulait pas que j'en fasse mon métier. ll avait placé beaucoup d'espoir en moi. Quand j'étais plus jeune à Oran, il était très furieux à chaque fois qu'il apprenait que j'avais chanté dans un mariage. Je pense qu'il aurait souhaité me voir devenir médecin ou architecte. Vous savez, dans les familles pauvres comme la mienne, dire que l'on veut devenir chanteur est toujours mal pris. Être artiste n'est pas perçu comme un métier. Cela fait peur ! Ma mère, elle, malgré sa réticence, m'a toujours soutenu et elle a d'ailleurs eu une très grande influence sur ma vie artistique et personnelle.
Quel regard portez-vous sur votre parcours atypique en France ?
Je suis ravi, fier de mon parcours et de mes succès. J'ai des bons anges et jamais je n'aurais pensé travailler avec autant de succès et de bonheur avec Jean-Jacques Goldman, d'obédience différente de la mienne. La France me l'a bien rendu. J'ai reçu un César pour la bande originale du film « 1,2,3 Soleils » de Bertrand Blier et j'ai obtenu la Victoire de la musique dans la catégorie « artiste francophone de l'année ». Je suis satisfait là où j'en suis maintenant au niveau de ma carrière.
Et sur le raï et la scène artistique algérienne ?
L'Algérie recèle beaucoup de talentueux artistes. Mais, le chemin pour tout un chacun est long, rude et sinueux. Le président Bouteflika a redoré le blason de la culture algérienne. C'est salutaire. Il était temps, d'autant que la scène artistique a perdu beaucoup des siens.
Propos recueillis par Dominique Parravano
Khaled le rebelle chante la plus iconoclaste des musiques algériennes avec, en filigrane, l'espoir fou de retrouver un jour sa terre natale apaisée, seulement écrasée de soleil. Il ressuscite aujourd'hui les folles années du raï dans son nouvel album, un magnifique pont entre le passé et l'avenir, entre racines et devenir. Khaled a retrouvé en studio les musiciens de toujours, qui le suivent sur toutes les scènes du monde, et avec qui il n'avait toujours pas enregistré d'album.
Par sa musicalité aux accents du terroir, par le choix des thèmes ce nouvel opus baptisé « Liberté » n'est-il pas celui qui vous ressemble le plus ?
Tout à fait. C'est exactement cela, tant par le choix des thèmes de mes chansons que par la musicalité. J'ai toujours été l'apôtre de la liberté sous toutes ses formes. Quant à la musicalité, j'ai opté pour un album qui retourne aux racines oranaises et marocaines. J'ai eu l'impression de revenir vingt ans en arrière quand j'ai enregistré sous la houlette de Martin Meissonnier, producteur français passionné de « world music », et avec Safy Boutella, musicien algérien, un album qui s'intitulait « Kutché », et le premier produit ailleurs qu'en Algérie, avec des moyens nettement plus importants.
Vous symbolisez la liberté de ton du raï… Pourquoi ?
Je ne suis pas le chantre d'une liberté excessive, d'une permissivité sans borne. Je suis pour que chacun puisse vivre comme il en a envie. Le raï est un genre musical qui, par certains côtés, a mis à mal, sans réelle subversion, un certain nombre de tabous qui briment l'expression d'une jeunesse en mal de vivre.
Vous avez d'ailleurs été le chef de file des « chebs » (jeunes) algériens, en étant l'un des premiers ambassadeurs du raï et en n'hésitant pas à briser quelques tabous en parlant d'amour, de filles, d'alcool et de liberté dans vos chansons !
Tout à fait. Je suis très aimé et respecté à ce titre. Les jeunes me considèrent comme un grand frère, un vieux sage. L'Algérie, prise dans ses contradictions, entre archaïsme et modernité, n'avait pas prévu l'explosion de ce phénomène. Une jeunesse, qui a soif de vivre, et qui s'est retrouvée dans des chansons dans lesquelles l'amour et la fête reviennent comme des leitmotivs.
En s'enrichissant de tous les courants musicaux actuels, et en se déclinant en autant de styles, la jeunesse algérienne s'est retrouvée dans cette musique, en quête de démocratie mais aussi d'une libéralisation des mœurs et de l'évolution des structures sociales.
Ne craignez vous pas que cet album « Liberté », album traditionnel s'il en est, soit moins apprécié par le plus grand nombre, habitué à un répertoire raï plus proche de la variété, Didi ou Aïcha ?
C'est un risque, j'en ai conscience. Toutefois, je veux assouvir cette envie du retour à mes racines et d'être en accord avec moi-même artistiquement parlant. J'avais envie de faire ce disque depuis longtemps, mais je me suis dit que les Européens n'étaient pas prêts pour ce genre de musique plus fidèle à la tradition.
Un jour, j'en ai discuté avec Martin Messonnier et lui était partant pour un enregistrement live, « nature ». Il m'a dit que c'était sur scène que je dégageait la meilleure chaleur, il voulait que je me libère des contraintes du formatage qui m'ont souvent bridé ces dernières années. Donc, l'idée a été d'enregistrer avec les musiciens de mon groupe de base, dont certains jouent avec moi sur scène depuis des années, voire mes débuts. J'ai ainsi retrouvé en studio mes musiciens de toujours, qui me suivent sur les scènes du monde entier depuis maintenant plusieurs années et avec qui je n'avais toujours pas enregistré d'album !
Zabana est un hommage au premier condamné à mort exécuté et dont un musée et un stade portent le nom à Oran.
C'est un honneur que de lui rendre hommage en chanson car c'est le premier guillotiné en Algérie. C'est un hommage à un héros oranais, qui a vite répondu à l'appel à rejoindre le maquis et qui, avec des jeunes de son âge, a malmené les troupes ennemies, comme le dit entre autres la chanson. Capturé le 8 novembre 1954, soit huit jours après le déclenchement de la lutte armée de libération algérienne, lors d'une bataille féroce où il reçut deux balles, il a été incarcéré à Oran, avant d'être transféré à la prison Barberousse à Alger pour y être guillotiné en 1956. Tout comme Guy Môquet, il a laissé une lettre émouvante à ses parents. Un musée et un stade portent son nom à Oran.
Votre père, qui était policier, n'avait pas spécialement envie que vous preniez cette voie, surtout quand il a appris que vous chantiez à son insu dans des mariages avec le groupe Cinq Etoiles ou que vous faisiez le tour des clubs interdits aux mineurs.
Mon père n'a jamais voulu que je devienne chanteur. Il ne voulait pas que j'en fasse mon métier. ll avait placé beaucoup d'espoir en moi. Quand j'étais plus jeune à Oran, il était très furieux à chaque fois qu'il apprenait que j'avais chanté dans un mariage. Je pense qu'il aurait souhaité me voir devenir médecin ou architecte. Vous savez, dans les familles pauvres comme la mienne, dire que l'on veut devenir chanteur est toujours mal pris. Être artiste n'est pas perçu comme un métier. Cela fait peur ! Ma mère, elle, malgré sa réticence, m'a toujours soutenu et elle a d'ailleurs eu une très grande influence sur ma vie artistique et personnelle.
Quel regard portez-vous sur votre parcours atypique en France ?
Je suis ravi, fier de mon parcours et de mes succès. J'ai des bons anges et jamais je n'aurais pensé travailler avec autant de succès et de bonheur avec Jean-Jacques Goldman, d'obédience différente de la mienne. La France me l'a bien rendu. J'ai reçu un César pour la bande originale du film « 1,2,3 Soleils » de Bertrand Blier et j'ai obtenu la Victoire de la musique dans la catégorie « artiste francophone de l'année ». Je suis satisfait là où j'en suis maintenant au niveau de ma carrière.
Et sur le raï et la scène artistique algérienne ?
L'Algérie recèle beaucoup de talentueux artistes. Mais, le chemin pour tout un chacun est long, rude et sinueux. Le président Bouteflika a redoré le blason de la culture algérienne. C'est salutaire. Il était temps, d'autant que la scène artistique a perdu beaucoup des siens.
Propos recueillis par Dominique Parravano
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