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La Russie en Europe ou face à l’Europe?

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  • La Russie en Europe ou face à l’Europe?

    « La Russie, puissance résurgente » est le thème de mai 2009 de l’Alliance Géostratégique. Aujourd’hui, Nihil novi sub sole tente d’analyser la place de la Russie en Europe.



    Le 25 avril 2005, Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie, déclarait que la chute de l’URSS était « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». Il n’y a pas beaucoup d’exemples plus spectaculaires de la différence de perceptions entre l’est et l’ouest de l’Europe. La Russie d’aujourd’hui n’est pas devenu une démocratie libérale contrairement aux espoirs du début des années 90. Sans doute était-ce une illusion de croire qu’il pouvait en être autrement compte tenu des facteurs à l’œuvre.

    La Russie est différente, par sa masse d’abord, c’est le premier pays du monde par sa superficie avec 17 millions de kilomètres carrés, loin, très loin devant le numéro deux, le Canada et ses 9 millions de kilomètres carrés. Le tout est dispersé sur une dizaine de fuseaux horaires. Par sa population aussi, le pays le plus peuplé de l’Europe Occidentale, l’Allemagne compte 82 millions d’habitants, la Russie 142 millions.

    Cette masse immense est sans aucun doute l’un des grands triomphes de la volonté humaine sur la réalité géographique. De Saint-Pétersbourg à Vladivostock les frontières du pays longent des espaces géographiques et culturels très diversifiés de l’Europe, en passant par le Moyen-Orient et l’Asie centrale jusqu’à la Chine.

    Pourtant, ces caractéristiques hors-normes de la Russie ne doivent pas nous cacher son incontestable caractère européen. En réalité, la majorité de la population du pays réside à l’est de l’Oural et ses deux capitales historiques, Moscou et Saint-Pétersbourg, sont en Europe. Depuis, plus de 300 ans, la Russie est intégrée au jeu des grandes puissances européennes, et non comme un partenaire encombrant bientôt victime des convoitises européennes, à l’instar de l’Empire Ottoman, mais comme un joueur puissant avec qui il faut compter. La Russie des Tsars fait partie du concert des grandes puissances. Ses élites sont partie prenante des grands mouvements intellectuels qui traversent l’Europe tout au long des deux derniers siècles. Malgré les différences culturelles et historiques, il paraît difficile de nier le caractère européen de la Russie.

    Européenne par la géographie et l’histoire, la Russie a pourtant pris un chemin bien différent du reste du continent. Alors que l’Union Européenne et son ordre libéral s’étend presque sur toute l’Europe, la Russie suit son propre chemin, voulu comme celui d’une grand puissance avec ses impératifs et ses valeurs propres. Le langage est révélateur, aujourd’hui, il y a « la Russie » et « les Européens ». Il est douteux que Napoléon ou Bismarck aient compris cette distinction.

    L’éloignement se manifeste par une succession de crises qui interviennent à des intervalles de plus en plus courts: Kosovo, bouclier anti-missile, Ukraine, Estonie, Géorgie. Autant de sujets récurrents de disputes et même de conflits violents. Lorsque les chars russes entraient en Géorgie par une belle journée d’août, il fallait faire preuve d’un grand sang-froid pour ne pas trouver à cette sinistre affaire un désagréable parfum d’août 1914.

    Il existe aujourd’hui deux thèses en apparence opposées pour expliquer ces divergences de plus en plus marquées et violentes. Pour les uns, c’est l’Occident et les Américains qui ont systématiquement violés leurs engagements en élargissant l’OTAN à l’est, portant ses frontière à 120 kilomètres de Saint-Pétersbourg, en installant des bases militaires dans des pays voisins de la Russie, en refusant de reconnaître ses intérêts spéciaux dans l’espace post-soviétique et qui tentent par tout les moyens d’affaiblir sa position. Pour d’autres, la Russie est gouvernée par une élite autoritaire et corrompue obsédée par la nostalgie de l’empire soviétique, déterminée à reconstituer son ancienne puissance par tous les moyens et fondamentalement incapable d’accepter que ses anciens satellites soient autre chose que des vassaux.

    Ce sont évidemment des caricatures et il existe des myriades d’analyses plus nuancées, mais il s’agit là des deux grands pôles entre lesquels se répartissent les différentes versions des faits. Les deux versions ont évidemment des éléments de vérité, mais se contenter d’une seule ne donne qu’une image très partielle de la situation.

    Il incontestable que les élites dirigeantes, les fameux siloviki, c’est-à-dire les membres des « organes de sécurité » et plus particulièrement l’ex-KGB aujourd’hui FSB n’ont qu’une appréciation très modérée de la démocratie. Il coule de source que la chute de l’URSS ne peut pas être vue par eux comme un événement positif. On comprend donc que l’entreprise de restauration de la Russie passe pour eux par la restauration sinon de l’empire, au moins d’une zone d’influence exclusive dans l’espace post-soviétique. Dans ce contexte il est difficile d’imaginer comment les hommes du Kremlin pourraient voir positivement le développement de l’influence occidentale dans cet espace. Espace qui est d’ailleurs dans bien des cas profondément lié à l’histoire de la Russie. Les pays baltes ont été intégrés à l’empire au XVIIIe siècle, il n’est pas nécessaire d’insister sur le cas de l’Ukraine. Leur vision de l’histoire et de la puissance russe s’accommode très mal avec l’influence croissante de l’Occident dans ces régions. On imagine sans peine l’effet que doit produire sur ces élites l’idée d’une Ukraine ou d’une Géorgie membre de l’OTAN. L’affaire du bouclier anti-missile fait ressortir douloureusement la perte du glacis protecteur offert par le pacte Varsovie. Et s’y ajoute probablement la crainte de voir le précieux héritage nucléaire de la Russie devenir obsolète devant les avancées (peu importe la réalité technique, nous sommes dans le domaine du fantasme) en matière de défense ABM.

    À l’inverse, il est difficile de nier la dimension idéologique de l’expansion indéfinie de l’OTAN et l’UE à l’est. Cette dimension est évidente dans les discours. Comment l’Occident pourrait-il avoir des intentions hostiles? Ne sommes-nous pas du côté du bien, de la prospérité, de la démocratie? Comment ceux qui s’opposent à nous pourraient-ils être de bonne foi? Dans l’élargissement à l’est des piliers du monde atlantique, l’OTAN et l’UE, géopolitique et idéologie sont mélangées au point qu’il est bien difficile de faire la distinction.

    Dans ces conditions, les frictions entre ces deux volontés antagonistes paraissent difficilement évitables. Mais sont-elles inévitables? Les relations entre la Russie et l’espace atlantique sont-elles vouées à alterner phases de crise et brève accalmie? Ou existe-t-il un moyen d’organiser une coexistence pacifique et même une coopération? À quel prix? Pourquoi? Au fond, la Russie est-elle en Europe ou face à l’Europe aujourd’hui? Ce sont ces questions qui vont nous occuper en ce mois de mai.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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