Par Mohammed Boudarham,
et Mehdi Sekkouri Alaoui
ENQUÊTE. Les généraux de Sa Majestéet Mehdi Sekkouri Alaoui
Qui sont-ils, que font-ils, combien gagnent-ils…
et à quoi servent-ils ?
Mardi 31 mars. L’information fait l’effet d’une bombe. Le général de corps d’armée, Housni Benslimane, annonce qu’il n’est pas candidat à sa succession à la tête de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Il met ainsi fin à un long règne qui a duré quinze ans, soit un record de longévité. Le général a-t-il pris cette décision de son propre chef ou a-t-il été poussé à quitter les pelouses, en réaction à la défaite
Généraux mais pas égaux
En plus de Housni Benslimane, l’armée marocaine compte deux autres généraux de corps d’armée en activité : Abdelaziz Bennani, inspecteur général des FAR et commandant de la zone sud, et Bouchaïb Arroub, patron du 3ème bureau, chargé des mouvements de troupes. “C’est bien peu par rapport à d’autres armées étrangères. En France ils sont une vingtaine, aux Etats-Unis beaucoup plus”, nous explique Abderrahmane Makawi, expert en stratégie militaire et enseignant à la faculté de droit de Casablanca, auteur d’une thèse, Théorie des jeux dans la guerre et la paix (Sorbonne, 1998).
Plus étrange encore : depuis l’indépendance du Maroc, ils ne sont que quatre à avoir percé le cercle très fermé des officiers les plus gradés de l’armée. Le dernier d’entre eux, le général de corps d’armée Abdelhak Kadiri est aujourd’hui à la retraite. Mais cet ancien patron de la DGED (Direction générale des études et de la documentation) n’aurait pas pour autant coupé les ponts avec la grande muette, nous apprend cet officier de haut rang. “Kadiri continue d’être régulièrement consulté par Mohammed VI, essentiellement pour des questions militaires”.
Question, alors : pourquoi les généraux de corps d’armée sont-ils si rares au Maroc ? Explication de ce colonel à la retraite : “Après les coups d’Etat de 1971 et 1972, Hassan II n’accordait le grade de général qu’aux hommes en qui il avait confiance. Il le faisait au compte-gouttes… Ce n’est plus le cas aujourd’hui puisque Mohammed VI tient à rajeunir l’institution militaire. Il veut envoyer à la retraite la vieille garde pour la remplacer par une relève composée de jeunes officiers, passés pour la plupart par de prestigieuses institutions militaires à l’étranger”.
Derrière les généraux de corps d’armée, la deuxième ligne est formée des généraux de division et, “en bas de l’échelle”, les généraux de brigade, qui forment l’essentiel de la soixantaine (plus exactement entre 56 et 60, si l’on en croit les experts consultés) de généraux que compte l’armée marocaine. La différence entre les trois grades est de taille. En plus d’avoir plus de pouvoir, les généraux de corps d’armée, plus rares, sont nettement mieux rémunérés (lire encadré).
Où sont-ils, que font-ils ?
La moitié des généraux de Sa Majesté sont directement affectés à l’état-major. Ils sont pour la plupart à la tête de départements stratégiques. C’est le cas pour Abdelaziz Bennani (Inspection générale), Ahmed Boutaleb (Inspection des Forces royales air), Mohamed Gouzi Berrada (Inspection de la marine), Ahmed Ameur (Inspection de l’infanterie), Mohamed Zeggaoui (Inspection blindés), Mokhtar Zouhri (Inspection de l’artillerie), Abdellah Maâfa (Inspection du génie), Boujemaâ Bouraâda (Inspection transmission), Bouhaib Arroub (3ème bureau), Mohamed Tamedi (4ème bureau), Mohamed Maâich (5ème bureau).
A côté de ces “stars”, d’autres généraux sont assignés au QG de Rabat sans aucune mission précise. “Ils sont quelques-uns à avoir été mis au placard, en attendant un départ à la retraite”, confie cette source bien informée, qui nous apprend par la même occasion l’existence au sein de l’état-major d’un secrétariat militaire de Mohammed VI, composé d’un certain nombre de généraux et dirigé par Mohamed Gouchi.
Le reste de nos généraux est réparti entre le siège du commandement sud à Agadir (Mustapha Rafaii, Ahmed Banyass, etc.) et certaines bases militaires à travers le pays : Meknès (Mohamed El Ouadi), Benguérir (Mohamed Berrada), etc.
Ceux qui arrivent, ceux qui partent
“Mohammed VI a en quelque sorte rendu justice aux grades intermédiaires, en déverrouillant l’accès au grade de général”, nous explique ce fin connaisseur de l’armée marocaine. C’est sans doute vrai. Dès 2001, le roi a promu au grade de général de brigade pas moins de 10 officiers ayant passé une “éternité” au grade de colonel major, parmi lesquels un certain Mohamed Belbachir, futur responsable du renseignement militaire. Quatre ans plus tard, le roi a remis ça, en faisant passer, d’un coup, 24 généraux de brigade au grade de généraux de division. Tout le contraire, donc, de la politique de Hassan II. “Par le passé, la monarchie ne voulait pas d’une armée de généraux à l’algérienne, ces craintes ne sont plus justifiées de nos jours”, assure notre source.
Inutile de préciser que le changement de règne a été vécu, chez les gradés, avec un certain soulagement. A quelques exceptions près, promotions en série et départs à la retraite (à 60 ans) sont devenus la règle. Selon des estimations dûment recoupées, pas moins de 15 généraux ont été mis à la retraite, ou simplement écartés, parmi lesquels Driss Archane, qui a longtemps dirigé le département de la santé militaire et l’Ordre des médecins, voire Ahmed Harchi, ancien patron de la DGED (renseignements extérieurs), etc.
Tous ces mouvements ont été initiés par étapes, “pour ne pas perturber l’équilibre général de l’état-major”, selon l’expression de ce connaisseur. Ce qui est sûr, c’est que les 80 colonels-majors que compte l’armée marocaine rêvent d’une promotion au grade de général de brigade, à l’occasion du 10ème anniversaire de l’intronisation de Mohammed VI, en juillet prochain. Sans parler des 200 lieutenants-colonels qui espèrent à leur tour devenir majors…
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