Peut-on interdire de scrutin européen les listes de Dieudonné ?
Claude Guéant a annoncé qu'une interdiction de ces listes «anti-sionistes» était à l'étude, sans être sûr d'y parvenir. Tenter d'invalider la candidature du sulfureux humoriste ou l'ensemble de ses listes: quelles sont les pistes ?
LAURE EQUY
Dieudonné, à Paris en février dernier (Jacky Naegelen / Reuters)
Annoncée par Claude Guéant, l’éventuelle interdiction des listes de Dieudonné aux européennes pourrait donner du fil à retordre aux services des ministères de l’Intérieur et de la Justice, chargés à la demande de l’Elysée, de plancher sur les leviers juridiques à activer.
De l’aveu même du secrétaire général de l’Elysée dimanche sur Radio J, «les pouvoirs publics sont en train de voir si» la ou les listes «antisionistes» que Dieudonné compte présenter «tombent sous le coup de la loi», mais Claude Guéant n’est «pas sûr que nous parvenions à les interdire». Un flou qui a permis à l’intéressé de parader : «Je pense que c’est absolument impossible d’interdire une liste, il faudrait faire voter une loi et les délais sont extrêmement courts.»
«Initiative extrêmement délicate»
Selon Bernard Maligner, ingénieur d’études au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages de droit et de contentieux électoraux, l’initiative, «extrêmement délicate, est loin d’être réglée».
«Dieudonné est antisémite tout le temps», a notamment invoqué Claude Guéant. Pour interdire à ce titre, la candidature de celui qui pourrait conduire une liste en Ile-de-France au scrutin de juin, «il faut savoir si Dieudonné a fait l’objet d’une condamnation définitive du juge répressif», rappelle Bernard Maligner, c’est-à-dire sans recours (en appel ou en cassation) en instance. «Et si cette décision est définitive, la condamnation pour injures racistes ou antisémites» doit être accompagnée d’une «peine complémentaire» le privant de son droit de vote ou le rendant inéligible.
Or, selon plusieurs associations, Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour des propos sur la Shoah et les juifs, n’a pas été frappé d’inéligibilité. Preuve, juge Raphaël Haddad, président de l’Union des étudiants juifs de France, que «Dieudonné a su surfer sur l’ambiguité entre humoriste et leader politique d’extrême droite».
D’autres voies juridiques peuvent-elles être envisagées? «Il n’est pas impossible, suppose Maligner, que le gouvernement décide d’employer tous les moyens pour que sa candidature soit considérée irrecevable.» Dans le laps de temps où les listes doivent être déposées auprès du ministère de l’Intérieur, celui-ci pourrait refuser d’enregistrer celles «anti-sionistes» et, dans les 24 heures suivant leur dépôt, saisir le conseil d’Etat. Lequel aurait «trois jours pour se prononcer».
Si seul Dieudonné était reconnu interdit de scrutin, sa liste aurait «48 heures pour se compléter». Mais sur quels motifs pourrait-il être rayé de la liste? «Je ne sais pas, reconnaît Maligner. Le gouvernement doit probablement examiner toutes les possibilités dans les textes législatifs.»
«L'antisionisme en dénominateur commun»
Raphaël Haddad fait, pour sa part, une autre lecture de l’initiative de Claude Guéant. Il s’agit, non pas de barrer la route à la personne de Dieudonné, mais d’«étudier l’objet des listes qui ont pour dénominateur commun l’antisionisme. Un tel objet peut-il être légal en France?», s’interroge Haddad.
La question de la recevabilité des listes est, elle, «soumise à la loi du 7 juillet 1977» qui régit les élections des représentants au Parlement européen, rappelle Bernard Maligner. Lui «ne voit pas dans ces dispositions les raisons pour lesquelles on pourrait interdire» les listes en question.
Des candidatures ont, certes, déjà été retoquées pour des questions de forme (dépôt hors délai, non respect du nombre de candidats) mais pas sur le fond, ajoute Vincent Tolédano, avocat au barreau de Paris. «Si jamais le conseil d’Etat devait statuer, pourrait-il écarter une liste sur la base de son intitulé? La notion d’anti-sionisme ne dépassant pas ouvertement les limites admises de la liberté d’expression ou d’opinion, cela me semble difficile», conlut Me Tolédano.
Source: Libération (France)
Claude Guéant a annoncé qu'une interdiction de ces listes «anti-sionistes» était à l'étude, sans être sûr d'y parvenir. Tenter d'invalider la candidature du sulfureux humoriste ou l'ensemble de ses listes: quelles sont les pistes ?
LAURE EQUY
Dieudonné, à Paris en février dernier (Jacky Naegelen / Reuters)
Annoncée par Claude Guéant, l’éventuelle interdiction des listes de Dieudonné aux européennes pourrait donner du fil à retordre aux services des ministères de l’Intérieur et de la Justice, chargés à la demande de l’Elysée, de plancher sur les leviers juridiques à activer.
De l’aveu même du secrétaire général de l’Elysée dimanche sur Radio J, «les pouvoirs publics sont en train de voir si» la ou les listes «antisionistes» que Dieudonné compte présenter «tombent sous le coup de la loi», mais Claude Guéant n’est «pas sûr que nous parvenions à les interdire». Un flou qui a permis à l’intéressé de parader : «Je pense que c’est absolument impossible d’interdire une liste, il faudrait faire voter une loi et les délais sont extrêmement courts.»
«Initiative extrêmement délicate»
Selon Bernard Maligner, ingénieur d’études au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages de droit et de contentieux électoraux, l’initiative, «extrêmement délicate, est loin d’être réglée».
«Dieudonné est antisémite tout le temps», a notamment invoqué Claude Guéant. Pour interdire à ce titre, la candidature de celui qui pourrait conduire une liste en Ile-de-France au scrutin de juin, «il faut savoir si Dieudonné a fait l’objet d’une condamnation définitive du juge répressif», rappelle Bernard Maligner, c’est-à-dire sans recours (en appel ou en cassation) en instance. «Et si cette décision est définitive, la condamnation pour injures racistes ou antisémites» doit être accompagnée d’une «peine complémentaire» le privant de son droit de vote ou le rendant inéligible.
Or, selon plusieurs associations, Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour des propos sur la Shoah et les juifs, n’a pas été frappé d’inéligibilité. Preuve, juge Raphaël Haddad, président de l’Union des étudiants juifs de France, que «Dieudonné a su surfer sur l’ambiguité entre humoriste et leader politique d’extrême droite».
D’autres voies juridiques peuvent-elles être envisagées? «Il n’est pas impossible, suppose Maligner, que le gouvernement décide d’employer tous les moyens pour que sa candidature soit considérée irrecevable.» Dans le laps de temps où les listes doivent être déposées auprès du ministère de l’Intérieur, celui-ci pourrait refuser d’enregistrer celles «anti-sionistes» et, dans les 24 heures suivant leur dépôt, saisir le conseil d’Etat. Lequel aurait «trois jours pour se prononcer».
Si seul Dieudonné était reconnu interdit de scrutin, sa liste aurait «48 heures pour se compléter». Mais sur quels motifs pourrait-il être rayé de la liste? «Je ne sais pas, reconnaît Maligner. Le gouvernement doit probablement examiner toutes les possibilités dans les textes législatifs.»
«L'antisionisme en dénominateur commun»
Raphaël Haddad fait, pour sa part, une autre lecture de l’initiative de Claude Guéant. Il s’agit, non pas de barrer la route à la personne de Dieudonné, mais d’«étudier l’objet des listes qui ont pour dénominateur commun l’antisionisme. Un tel objet peut-il être légal en France?», s’interroge Haddad.
La question de la recevabilité des listes est, elle, «soumise à la loi du 7 juillet 1977» qui régit les élections des représentants au Parlement européen, rappelle Bernard Maligner. Lui «ne voit pas dans ces dispositions les raisons pour lesquelles on pourrait interdire» les listes en question.
Des candidatures ont, certes, déjà été retoquées pour des questions de forme (dépôt hors délai, non respect du nombre de candidats) mais pas sur le fond, ajoute Vincent Tolédano, avocat au barreau de Paris. «Si jamais le conseil d’Etat devait statuer, pourrait-il écarter une liste sur la base de son intitulé? La notion d’anti-sionisme ne dépassant pas ouvertement les limites admises de la liberté d’expression ou d’opinion, cela me semble difficile», conlut Me Tolédano.
Source: Libération (France)
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