Thierry Lévêque
L'ouverture d'une enquête sur les biens détenus en France par les présidents de trois pays africains producteurs de pétrole et pivots de l'influence française en Afrique suscite un trouble politique et judiciaire.
Jugeant recevable une plainte de l'Organisation non gouvernementale Transparency International France, la juge d'instruction Françoise Desset a ordonné mardi une information judiciaire sur les propriétés, comptes bancaires et limousines détenus par Omar Bongo (Gabon), Denis Sassou Nguesso (Congo) et Teodoro Obiang (Guinée équatoriale) et leurs proches.
Le parquet, qui s'opposait à l'ouverture en invoquant une irrecevabilité de la plainte déposée en décembre, peut faire appel mais n'a pas encore pris sa décision, a dit le cabinet du procureur. Il dispose de cinq jours de délai.
"La plainte déposée par Transparency International est irrecevable, elle n'a pas qualité pour représenter les citoyens du Gabon. J'espère donc que le parquet fera appel", a dit à Reuters l'avocat français d'Omar Bongo, Me Patrick Maisonneuve.
En cas d'appel, le dossier serait suspendu jusqu'à l'automne prochain, le temps que la chambre de l'instruction statue pour infirmer ou confirmer l'ordonnance de la juge Françoise Desset.
Il ne pourrait y avoir d'investigations d'ici là sur ce dossier qualifié de "recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance" par les plaignants. Interrogée sur RMC et BFM TV, la ministre de la Justice Rachida Dati a refusé de prendre position.
"Je ne suis pas partie à l'affaire, je m'exprime en tant que garde des Sceaux. (...) Même s'il est sous l'autorité du procureur général et du garde des Sceaux, il y aussi une opportunité (dans la démarche du parquet-NDLR). Je ne vais pas prendre une position", a-t-elle dit.
"UNE AVANCÉE DÉCISIVE"
Transparency International, organisation anticorruption, considère que les biens n'ont pu être achetés qu'avec de l'argent volé aux finances publiques des pays en question.
Daniel Lebègue, président de la branche française de Transparency, a salué dans un communiqué "une avancée décisive pour la morale publique et le droit international" et réaffirmé que l'organisation voulait restituer les biens aux populations.
Estimant que des avancées restent à obtenir, elle déplore cependant que la juge Desset ait jugé irrecevable l'autre plainte déposée par un citoyen gabonais, Grégory Gbwa Mintsa.
L'avocat des deux plaignants, William Bourdon, a cependant souligné que la procédure était la première de ce type à viser des chefs d'Etat en exercice. "Est désormais possible l'identification et la poursuite de ceux qui, inlassablement et sournoisement, appauvrissent leurs pays", a-t-il dit à Reuters.
Si l'enquête était effectivement lancée, les magistrats se heurteraient à l'immunité coutumière accordée aux chefs d'Etats en exercice, mais leurs proches n'en bénéficient pas et peuvent donc en théorie être arrêtés, sauf immunité diplomatique.
Les 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus par Omar Bongo et ses proches, les 24 propriétés et 112 comptes bancaires de la famille Sassou-Nguesso, ainsi que les limousines achetées par la famille Obiang risqueraient une saisie.
Rappelant une affaire emblématique, les plaignants soulignent que le procès Elf à Paris en 2003 avait démontré que les revenus tirés de l'"or noir" profitaient personnellement aux chefs d'Etat en question. Ces derniers nient toute malversation. Mais Omar Bongo n'a pas engagé à ce jour les poursuites en diffamation annoncées.
Edité par Yves Clarisse
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