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Les dangers de la décharge de Dandora au Kenya

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  • Les dangers de la décharge de Dandora au Kenya

    Moses, ce matin, ne travaille pas. En sandales dans les détritus, il va lentement des uns aux autres. "Il y a eu un décès dans ma famille, je collecte de l'argent pour les obsèques", explique-t-il. Et, à Nairobi, quel meilleur endroit pour cela que la décharge de Dandora ?

    Moses, 18 ans, la fréquente depuis toujours ; il en connaît les moindres recoins. Sait-il aussi qu'elle constitue l'un des plus vastes dépotoirs d'Afrique ? Qu'elle a été dénoncée, en 2007, par les Nations unies pour ses niveaux de métaux lourds dangereusement élevés ? "Bien sûr, c'est dangereux. Mais je n'ai pas d'autre moyen de vivre", répond-il. Vivre en récupérant des sacs plastique emplis d'ordures, qu'il lave puis recycle. Un gagne-pain comme un autre pour des milliers d'habitants du bidonville jouxtant la décharge, qui viennent chaque jour y chercher ce qui peut être réutilisé ou revendu.

    Principale cause de pollution dans de nombreuses villes de pays en développement, la mauvaise gestion des déchets solides atteint ici des sommets. Ouverte dans les années 1970, la décharge de Dandora, située à 8 kilomètres à l'est de la capitale kenyane, accueille, sur plus de 15 hectares, la majeure partie des déchets industriels, agricoles, domestiques et médicaux de la région. Chaque jour, 2 000 tonnes d'ordures y sont déposées, près d'un fleuve dont l'eau est utilisée, en aval, par la population.

    Classé, avec une mine de plomb située en Zambie, parmi les deux sites les plus pollués d'Afrique dans le rapport 2007 de l'ONG américaine Blacksmith Institute, le lieu est une menace pour le million d'habitants des quartiers avoisinants. Et plus encore pour les 120 000 de Korogocho, le bidonville qui se trouve à ses portes. "Je vis ici depuis toujours. A mesure que la population du quartier augmentait, la décharge n'a cessé de s'étendre, et la situation d'empirer."

    A 39 ans, Maurice Oduor travaille pour Sarakasi Trust, une association qui forme les jeunes du quartier à la musique et à l'acrobatie. Un moyen de canaliser les plus grands. Et d'empêcher les petits, sitôt sortis de l'école, d'aller traîner dans l'âcre fumée des déchets. Au bord du fleuve qui sépare la décharge du bidonville, des femmes, inlassablement, lavent les sacs plastique récupérés. D'autres, avec l'eau polluée qui chemine, arrosent de pauvres cultures maraîchères.

    Sur l'autre rive, au coeur de la décharge, le spectacle devient dantesque. Bouteilles en plastique, batteries de voiture, ordinateurs hors d'usage, seringues et rebuts hospitaliers, les déchets s'étendent à perte de vue, dans une odeur persistante de produits chimiques. Entourées de marabouts d'Afrique, énormes oiseaux charognards, des centaines de personnes s'activent depuis l'aube, dans une succession savamment organisée de monticules de plastique, de verre, de matériel électrique, de cartons et d'ordures ménagères. Un centre de tri à ciel ouvert où chacun a quelque chose à gagner. Et où tous, lentement, s'empoisonnent.

    EMPOISONNEMENT AU PLOMB

    Les conclusions de l'étude menée par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), en collaboration avec l'université de Nairobi, sont accablantes. Les échantillons de sol et d'eau analysés ont montré des niveaux de métaux lourds dangereusement élevés. En 2007, les taux de plomb et de cadmium sur la décharge étaient respectivement de 13 500 ppm (parties par million) et 1 060 ppm (contre 150 ppm et 5 ppm aux Pays-Bas, par exemple). Le mercure atteignait une concentration de 47 ppm dans les sols et de 19 ppm le long du fleuve, alors que le niveau d'exposition acceptable, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), est de 2 ppm.

    D'après les analyses de sang et d'urine effectuées sur plus de 300 enfants âgés de 2 à 18 ans vivant près de la décharge, la moitié présentait des taux de plomb excédant les niveaux internationalement acceptés. Une proportion égale souffrait d'infections respiratoires, gastro-intestinales ou dermatologiques, et un tiers avait des niveaux d'hémoglobine et de fer insuffisants, symptômes de l'empoisonnement au plomb. "Nous nous attendions à des résultats inquiétants, mais ils sont encore plus choquants que ce que nous avions imaginé", résume Achim Steiner, directeur exécutif du PNUE.

    Pour améliorer la situation - d'autant plus scandaleuse que le centre de la capitale a bénéficié récemment d'importantes rénovations -, le conseil municipal de Nairobi a annoncé des mesures. Dans ses cartons repose depuis des années un grand projet d'assainissement, qui prévoit de nettoyer la décharge, de la fermer et d'en créer une autre, ailleurs, où sera mis en oeuvre un recyclage moderne des déchets. Le nouveau site - une centaine d'hectares à 30 kilomètres de Dandora - a été arrêté, les instituts scientifiques et techniques mobilisés, des contacts ont été pris avec des industriels.

    Mais les intérêts individuels et politiques semblent bloquer toute tentative de mener ce projet à terme. Une paralysie qui n'inquiète pas Moses. Au contraire, c'est à l'évocation de la fermeture du site de Dandora que son regard s'assombrit. "Si cela arrive, cela deviendra très difficile pour nous tous de gagner notre vie. Même si c'est dangereux, nous n'avons pas le choix : il faut que la décharge reste ici."

    Par le Monde
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