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Massacres du 8 Mai 1945 : La main des milices.

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    Massacres du 8 Mai 1945 : La main des milices

    Mardi 8 mai 1945, c’est jour de marché à Sétif. La foule afflue des différentes localités voisines. Les uns viennent pour faire des emplettes, les autres rallient Langar, un quartier du centre-ville où est implantée la mosquée de la Gare, rebaptisée en 1962, mosquée Abou Dher El-Ghiffari. C’était le lieu de regroupement et le point de départ de la manifestation pacifique des Algériens qui désiraient s’associer aux Alliés célébrant, ce jour-là, la fin de la Seconde Guerre mondiale. A 7h30, la tension est à son paroxysme, de ce côté de la ville, qui s’avère trop exigu pour contenir une marée humaine venant de partout.


    Face à ce déferlement, les organisateurs de la marche invitent les participants à déposer leurs « debbous » (cannes). Cette démarche est inconvenante pour les paysans qui ne veulent, dans un premier temps, rien savoir. Les initiateurs du mouvement ont dû user de beaucoup de diplomatie pour convaincre les paysans : « Des cannes, des couteaux et quatre fusils de chasse sont récupérés », révèle Lakhdar Taârabit, un des encadreurs de la manifestation qui insiste sur le caractère pacifique de la marche. « Les scouts étaient en tête. Si on savait que la manifestation allait tourner à la tragédie, aurions-nous exposé nos enfants au danger ? Aurions-nous placé des enfants âgés de six, huit et dix ans à la tête du cortège ? Aurions-nous désarmé nos militants et sympathisants ? » Il faut préciser que l’attroupement de milliers d’Algériens qui répondent présent à l’appel des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) et du PPA (Parti du peuple algérien) intrigue la police coloniale qui dégaine à la vue de l’emblème national. L’assassinat du jeune Saâl Bouzid a été le déclencheur de la tuerie. La réaction des « indigènes » ouvre la voie au carnage. Avant de perpétrer d’indescriptibles atrocités à Amoucha, Aïn Abassa, Beni Fouda, Aïn Roua, Beni Aziz, Aïn El Kébira et Bouandas, qui ont payé un lourd tribut, l’armée coloniale ayant instauré le couvre-feu et décrété l’état de siège à Sétif, distribue des armes aux colons qui forment des milices responsables de centaines d’exécutions sommaires.
    Pris par une folie meurtrière qui marque encore les mémoires des survivants, des maisons sont saccagées, des femmes sont violées, des vieillards sont égorgés par des escadrons de la mort protégés par le silence et la complicité de l’armée coloniale laquelle achève la sale besogne. Des décennies après, la plaie est toujours ouverte. Chérif Mohamedi Lhadi, cet octogénaire qui conserve sa lucidité, évoque avec minutie les souffrances endurées : « Le soir du 8 mai, aux environs de 20 heures, la police s’invite chez moi pour m’arrêter. Avant d’être transféré vers le camp de concentration de la caserne de Sétif où étaient parqués dans d’abominables conditions plus de 10 000 prisonniers, la police me tortura pendant 12 jours. Toutes les méthodes adoptées par la Gestapo ont été pratiquées par Olivieri et ses acolytes qui m’ont soumis quatre jours durant aux atroces et insoutenables épreuves de l’électricité. Celles-ci furent appliquées sur mes organes génitaux. Je n’ai en outre pas échappé à la baignoire qui consiste à y introduire la tête dans une eau sale, au moment où le corps est plié par le biais d’un bâton de bois qui retient atrocement pieds et poignets. Contrairement à d’autres détenus, mes geôliers m’ont épargné de l’insoutenable examen de la bouteille sur laquelle on faisait asseoir les captifs, dont bon nombre n’avaient rien à voir avec l’action politique. N’ayant pas supporté l’horreur, de nombreuses victimes n’ont pas tenu le coup. En plus des persécutions et des supplices, les bourreaux nous ont privés de tout aliment durant les quatre premiers jours de détention. Ne pouvant résister à la torture avec un ventre creux, certains sont devenus fous. »
    Notre interlocuteur, un des encadreurs de la marche et rédacteur des slogans consignés dans les banderoles brandies, le mardi sanglant, nous parle de l’horreur vécue des mois durant à la caserne : « Le soir, les prisonniers étaient regroupés à 400 dans une écurie aménagée pour une trentaine de mulets. Serrés les uns contre les autres, dormant accroupis, à même le sol. Les plus jeunes et les plus souples s’offraient les mangeoires, un "luxe" ! C’est dans une de ces écuries qu’un vieux retraité que tout le monde appelait à Sétif ‘‘sèrgene’’ (sergent) chevalier de la Légion d’honneur et Croix de guerre, est terrassé par le typhus. Ses états de service et décorations n’ont, en fin de compte, servi à rien. Il m’est impossible d’oublier le sacrifice de Khélifa Zaâboub, un brave d’El Eulma (ex-Saint Arnaud) qui a été torturé à mort des heures durant par un tortionnaire. Massacré, le vieux dont le corps est lacéré par plein d’ecchymoses, est jeté à moitié mort dans l’écurie aux environs de 19 heures. Le torturé qui rendit l’âme à 23 heures, avait perdu son dentier. Ses organes génitaux étaient abîmés par le courant électrique. La torture qui n’avait rien à envier au style des nazis, était dirigée par le capitaine Pierson, un ex-substitut du procureur de la République. »
    Pour venger ses 101 morts et mater un peuple désarmé, affamé, vivotant de surcroît dans la misère, la France, chantre des droits de l’homme, s’appuie sur l’aviation, les blindés, l’artillerie qui ont pilonné, bombardé, pillé, brûlé et attaqué des villages et montagnes, où se sont réfugiés des squelettes achevés par le typhus. Pour l’illustration, plus de 6000 paysans sont regroupés à Beni Aziz où les miliciens fusillèrent plus de 700 citoyens. Portées disparues, le sort de 100 autres personnes demeure, 64 ans après, en suspens. Selon des rescapés, cette tuerie collective se faisait par groupes de vingt personnes. Avant la fusillade, les « condamnés » qui n’ont comparu devant aucune juridiction sont contraints de creuser les fosses des autres victimes. A Aïn El Kébira où plus de 600 indigènes ont été massacrés par les légionnaires et les Sénégalais, la répression a été sanglante. Des hameaux, tels Bourgazene, Beni Bezez et bien d’autres douars, sont rasés de la carte. Le cheptel de ces hameaux est volé. Les provisions des paysans sont soit brûlées, soit confisquées. Même les élèves du collège Eugène Albertini (lycée Mohamed Kerouani), qui ont osé prendre part à la marche, n’ont pas échappé à la persécution.
    Les Mostéfaï Séghir, Benmahmoud Mahmoud, Maïza Mohamed Tahar, Benzine Abdelhamid, Torche Mohamed, Kateb Yacine et Zériati Abdelkader, qui ont été déchus de leurs bourses, sont, à l’instar de leurs camarades Lamri Abderahmane, Khaled Khodja Boualem, Keddad Bakhouche, Lamériben Nacerdine, Djemmame Abderrezak, Ferrani Ouamar, Cherfaoui Mohamed, Abdeslem Belaïd, Taklit (tombé au champ d’honneur durant la glorieuse Révolution de Novembre 1954) et Yanat Boualem, frappés d’exclusion (décision N°3819-3821) des effectifs. En somme, l’horreur vécue durant les mois de mai et juin 1945 hante encore et toujours les esprits des survivants et de leurs descendants qui réclament réparation : « Que la France officielle reconnaisse sa responsabilité dans ce crime contre l’humanité car il a été perpétré par son armée qui a laissé faire les milices à l’origine des centaines d’exécutions sommaires. En plus de la repentance, nous exigeons réparation », dira Abdelhamid Salakdji, président de la Fondation du 8 Mai 1945 de Sétif qui n’oublie pas…
    El Watan
    Par Kamel Beniaiche
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…
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