Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Résonances: Une collection à identité africaine

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Résonances: Une collection à identité africaine

    LA TRIBUNE : Acheter, en France, les droits d’auteurs africains revient peut-être à faire un choix à partir d’une sélection européenne…

    Samia Zennadi ( Editions Apic) : La littérature africaine, qu’on appelle africaine, n’est pas née en Afrique, elle est née en France et au jour d’aujourd’hui elle s’écrit, s’édite et se lit sans l’Afrique et c’est ça la réalité.
    Dans l’esprit de Bourdieu, Pascale Casanova, dans la République mondiale des lettres, propose une analyse intéressante de l’espace littéraire international, où Paris fonctionne comme une «banque centrale» qui habilite et consacre les œuvres et les auteurs, comme un «méridien de Greenwich» du temps littéraire. D’autres centres existent, comme Londres, Madrid ou New York.

    Faut-il en rester à ce constat ou faire en sorte de proposer un autre centre ?

    C’est la question qui se pose. Déplacer le centre de gravité commence par l’autonomie du champ littéraire africain. Alors, arrêtons de jouer au faux-semblant. Le choix appartient aux hommes libres et nous pouvons faire le choix de ne plus être des sociétés dominées.

    Pourquoi le titre «Résonances» pour cette collection ?

    Karim Chikh( Editions Apic) : Au sens figuré, ce mot signifie la répercussion dans le cœur ou l’esprit d’une parole ou d’un acte et ça résonne bien avec notre démarche qui est celle de rapatrier des textes. Il faut peut-être rappeler que nous n’existons que depuis mars 2003 et nous avons toujours cultivé le rêve silencieux de rapatrier des textes africains porteurs de sens. Notre projet a abouti en 2007 et nous avons lancé «Résonances» avec Sami Tchak le Togolais, Anouar Benmalek et Hamid Skif, les deux Algériens qui sont également Africains et qui y ont trouvé leur place naturelle géographique et culturelle. Pas besoin de rajouter africaines à «Résonances» d’autant plus que nous sommes une terre africaine. Aussi, ce choix des titres du lancement de cette collection de littérature par la présence de ces deux grands écrivains algériens brise certains lapsus qui situent l’Algérie dans un contexte extra-africain.

    L’ouverture est notre choix éditorial, sortir des murs est aussi notre démarche et notre histoire avec la littérature africaine n’est pas liée à l’organisation du Panaf.

    Résonances, «certains livres sont à retardement…» nous dit le Libraire de Régis de Sa Moreira, certaines idées le sont aussi.

    Ce rapatriement, c’est une histoire de coton. Pour acheter le coton malien, tu t’adresses à l’Europe ?

    Samia Zennadi : En effet, les donnes sont ainsi pour l’instant.
    Le coton est malien mais il vient de l’Europe. C’est la réalité de l’Afrique qui, depuis le XVIe siècle a fait la courte échelle pour que d’autres montent sur le baobab du développement et aujourd’hui profitent allègrement de ses fruits.
    J’évoque ainsi l’historien et homme politique burkinabé Joseph Ki-Zerbo, qui raconte une anecdote assez sympathique : un jour, un médecin africain tente de rassurer une dame qui avait quelques petits soucis de santé en lui expliquant qu’il allait lui faire une petite anesthésie locale. Il réveille ainsi l’angoisse de cette dame qui dès qu’elle a entendu le mot «local» a eu peur et a dit au docteur qu’elle ne voulait pas d’une anesthésie locale mais d’une anesthésie de France.

    Vous voyez, un héritage aussi lourd ne peut pas disparaître parce que nous avons décidé de nous retourner vers notre identité africaine sur laquelle nous nous endormons comme sur un oreiller ; ce n’est pas vrai, l’identité se constitue à travers des luttes souvent féroces. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas la porter sur la poitrine comme une médaille, comme une décoration.

    Nous devons la forger, la construire au jour le jour et commencer par ce rapatriement de texte. Certes, la littérature africaine est pour le moment expatriée et je pense que ce n’est pas mauvais du tout.

    Je partage l’avis de Tierno Monénembo qui dit qu’elle se confronte aux autres littératures du monde et reviendra plus forte et plus riche. La littérature moderne américaine s’est faite à Paris, pas aux Etats-Unis. Mc Kay, l’un des grands chantres de la négro renaissance, a écrit son roman à Marseille. Même la littérature russe s’est faite à Paris. Mais pour ce qui nous concerne, les éditions APIC, nous n’adhérons pas aux critères ISO en littérature. Mon voyage à Bamako en janvier 2007 pour participer à la «Première rentrée littéraire du Mali», organisée par un petit éditeur «les Editions de Tombouctou» m’a donné des ailes.

    Savoir que cet éditeur a initié un prix continental au nom du Malien Yambo Ouologuem, le Renaudot de 1968, me parle encore. Comment ces auteurs qui sont sacrés dans les grands centres des littératures mondiales, traduits dans plusieurs langues, ne bénéficient d’aucune reconnaissance sur aucune parcelle africaine ? Faut-il rappeler la citation de Tanella Boni, l’Ivoirienne, la femme multiple : «Avec nos plumes marteaux-piqueurs, avec nos mains sandales de fête, nous graverons sur la terre ferme nos mots de feu.» Maintenant que nous avons compris comment les autres modes fonctionnent, il est peut-être temps de choisir le nôtre.

    N’empêche que vous faites le choix après coup…


    Karim Chikh : Notre choix se fait d’abord par la lecture parce que nous éditons des textes et non pas des noms. Aussi, nous n’attendons pas que l’auteur ou l’œuvre soit sacré par un prix français ou autre. C’est le cas de Peuls de Tierno Monénembo, le dernier Renaudot, avec son titre le Roi de Kahel qui est d’ailleurs importé.

    Notre démarche pour l’acquisition des droits de Peuls pour l’Algérie a commencé en janvier 2008 et il faut dire que notre demande a été fortement appuyée par l’auteur qui a suivi de très près les échanges avec son éditeur en France. Il n’est pas à exclure que le prochain titre de Tierno Monénembo paraisse d’abord à Alger. Sa tragédie la Tribu des gonzesses est bien parue à Bamako chez Cauris éditions.

    Vous savez, certains auteurs préfèrent développer des liens avec l’édition africaine, s’inscrivant ainsi hors du centre. Ils sont publiés par des maisons africaines ou en coédition entre éditeurs indépendants français et africains.

    C’est le cas du recueil de nouvelles Dernières nouvelles de Françafrique qui a bénéficié de l’aide de l’Alliance des éditeurs indépendants regroupant des éditeurs africains et européens. Après coup, pour nous, c’est après
    lecture des textes.

    Aussi, nous avons eu la chance de rencontrer et de deviser avec ces auteurs à Alger, à Paris et à Bamako.

    Quand Sami Tchak, docteur en sociologie, vous explique qu’il a choisi la littérature pour dire le monde qu’il connaît bien par ses voyages d’étude dans les univers latino-américains et évoque les enfants qui tentent au cœur de leurs ténèbres de s’inventer des petits espoirs dans des zones pauvres et marginales et constate finalement que ces gens qui ne font rêver personne sont prisonniers dans ses romans d’une appréciation d’art, il parle de littérature de salon.

    Quand Tierno Monénembo, même s’il préfère son roman le Rêve utile où il a fait disparaître tous les dialogues pour laisser les personnages évoluer simplement avec des monologues intérieurs qui s’entrechoquaient de façon désordonnée, a dû un peu revoir cette expérience littéraire très audacieuse parce qu’il se dit qu’étant issu d’une société où les gens savent à peine lire et écrire, il est peut-être trop snob de s’éloigner de son lectorat naturel, alors il opte pour une mouture un peu plus classique de l’écriture.

    Quand nous avons eu ce genre d’échanges de paroles debout, après avoir apprécié leurs paroles couchées, nous avons souhaité leur offrir sans prétention aucune une visibilité en Algérie.

    Mais l’Afrique peut-elle être une terre de liberté et de choix pour les créateurs, pas seulement les écrivains, et leur offrir un espace de création, d’édition, de diffusion et de promotion ?

    Samia Zennadi : Il ne faut surtout pas se voiler la face car la littérature africaine, si elle est expatriée, c’est aussi pour plusieurs raisons : les raisons de censure ; des raisons structurelles, il y a très peu de maisons d’édition, très peu de moyens de diffusion, très peu de bibliothèques, très peu de libraires, très peu de lecteurs. Pour sortir de ce marasme, il faudrait aussi que des liens se tissent en Afrique. Il y a déjà la mise en réseau d’éditeurs africains via l’association Afrilivres, fondée en 2001, qui tente d’apporter une réelle nouveauté sur la scène littéraire. Le site Internet et le catalogue commun sont des outils indispensables pour informer le public et les professionnels, africains ou européens, sur la production. Un contrat de diffusion avec un diffuseur parisien permet de faire circuler certains livres en Occident, même s’il ne résout pas la question de la circulation entre pays africains. Paradoxalement, c’est aussi le problème auquel s’est heurté Dernières nouvelles de Françafrique, dont l’objectif affiché était pourtant de susciter un débat dans les pays des auteurs.

    Mais il y a aussi une grande volonté de faire changer les choses, de prendre un nouveau départ. Je pense que la résidence d’écriture qui va se dérouler pendant le Festival panafricain est une bonne occasion de marquer cet espace de création.

    C’est l’aboutissement d’une réflexion sur ce que les éditions APIC pouvaient apporter à cette manifestation. Notre proposition a suscité au ministère de la Culture un intérêt certain d’autant plus que nous avons pu réunir autour de ce projet des écrivains africains confirmés et de renommée mondiale.

    Quarante ans après le premier Festival panafricain qui se déroulait au moment même où l’Homme marchait sur la Lune, le génie du lieu qui a été pour le continent africain un moteur de libération des peuples colonisés conclura par la création d’une œuvre littéraire collective qui sera aussi une empreinte de la renaissance et du renouveau africains.


    Par la Tribune
Chargement...
X