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Balade dans le Djurdjura

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  • Balade dans le Djurdjura

    Au nord, Tizi Ouzou. Au sud, Bouira. Entre les deux grandes villes, le Djurdjura balance. Imposante barrière calcaire en forme de grosse lentille d’une soixantaine de kilomètres de long, l’Adrar N’Jerjer sépare les deux versants, le nord et le sud, où trône Tikjda, à 1450 m d’altitude. Il fait 35°C à Alger, une vingtaine ici. Ali, travailleur à l’Auberge, dit qu’il n’y a pas grand-chose de changé depuis la passation de l’EGT Centre, Etablissement de gestion touristique, vers le MJS. « Les salaires sont les mêmes et tous les travailleurs ont été gardés. » L’hôtel, dont la dotation de budget a eu lieu, n’est toujours pas rénové, mais à l’auberge ou dans l’ensemble des immeubles officiellement construits pour les sportifs, les tarifs d’hébergement sont les mêmes.

    Ce qui a changé ? Une plaque, qui annonce le ministère, une barrière et des agents de sécurité en pagaille. Dans le restaurant de l’auberge, un carré VIP, fermé, « pour le wali ou le ministre, quand ils viennent ». Plus d’alcool au bar ou au restaurant. « Et ça ! », dira Ali en désignant une plate-forme qui servira à la construction d’une mosquée.

    Faut-il monter plus haut vers les cols, pour redescendre vers le versant nord, l’auberge Tassaft, dans la commune d’Iboudrarène, ou celle du Bracelet d’argent, à Beni Yenni ? Car il faut suivre cette route féerique qui s’accroche aux derniers remparts sud du Djurdjura et navigue entre rochers nus et plaques de neige. A gauche, tout en haut, l’Akouker et ses 2305 m. A droite, au loin, le Lalla Khedidja encore enneigé, 2308 m exactement, troisième pic d’Algérie après le Tahat du Hoggar et le Chelia des Aurès.

    La petite route vertigineuse longe le rempart rocheux en s’accrochant au versant sud. Assouel, ou Tizi N’Boussouil, 1741 m, où un stade olympique gît, encore une idée du MJS. Des vaches traversent d’ailleurs le terrain, alignées sur les couloirs de course. Puis le pic Thaletat, « l’auriculaire » (1638 m), dénommé « la main du juif » par les Français. La route grimpe encore dans ces zones où en hiver elle est coupée par la neige. La bonne ligne iso ? C’est celle entre 1400 et 1700 m d’altitude, territoire de calcaire blanc, refuge des aigles et des vaches, des pins et des cèdres.

    Même l’olivier, typique des deux versants, est inexistant ici, où la nature joue son équilibre à quelques mètres près. Si l’on descend un peu, les pins et les cèdres disparaissent. Si l’on monte trop, la végétation ne survit pas et seul un monde entièrement minéral subsiste. C’est en tous les cas sur cette ligne qu’il fait frais. Tizi N’Kouilal (1585 m), le col qui sépare les deux versants et du même coup, sur une décision purement administrative, les deux wilayas, Tizi Ouzou et Bouira. « A Tizi N’Kouilal, on est plus près du ciel », disait Mouloud Mammeri. Mais plus haut, on est obligé de dépasser les cols pour basculer vers le versant nord et la chaleur. Plus bas, c’est le versant sud, la chaleur aussi.

    Difficile équilibre. Heureusement il y a Kaci, avec son bâton pour seule arme contre les braconniers, les voleurs de bois et de pierres. Garde forestier, il nomadise du côté du col, entre les deux versants. 50 ans, il travaille au Parc national du Djurdjura depuis 1983, date à laquelle il a été créé pour préserver cet unique écosystème, dont la majeure partie s’étale sur le versant sud. « Et il y a du travail », explique-t-il, lui qui touche 10 000 DA par mois pour veiller sur le Djurdjura et protéger les espèces. « Pas toutes, non », rigole-t-il. « Pour ceux qui viennent ici jeter leurs sachets, j’ai mon bâton. »

    La montagne de Jerjer

    De l’air frais. La Haute Kabylie, le Djurdjura, ainsi dénommée cette citadelle de pierres par les Français à partir du nom local, Adrar N’Jerjer à l’étymologie étrange, « la montagne de Jerjer ». Mais qui est Jerjer ? Un dieu ancien, un homme, une femme ? « Jerjer vogue dans les cieux, nous le suivons des yeux », chante Nouara sur un poème de Ben Mohamed. C’est « un squelette de dinosaure » pour Mouloud Feraoun, de par sa forme de longue dorsale un peu courbée. Et son âge peut-être, du Jurassique, témoin du choc tectonique entre l’Europe et l’Afrique. Choc et rempart naturel, franchissable que par une série de cols, les plus intéressants étant le Tizi N’Kouilal et le Tirourda. Oui mais, qui est Jerjer ? Kaci ne sait pas. Posté sur le col, il sait simplement que « ce n’est plus comme avant », lui qui erre sur la ligne de crêtes depuis des décennies. « Tout a changé, les gens, la sécurité... Avant, quand un promeneur passait, on l’invitait à manger. »

    Originaire de Bouadnane, versant nord, le village de Ahmed Ouyahia, — Ahmed Oulekhla, comme il l’appelle — , Kaci a compris qu’il fait meilleur vivre ici. Même s’il peste contre les déviations, canettes de bière jetées ou couples illicites en plein processus naturel. « Je suis mal vu, comme un agent de l’Etat qui empêche les gens de vivre. » Tizi N’Kouilal, carrefour naturel, une piste descend vers la ténébreuse forêt des Aït Ouabane, par laquelle on peut rejoindre à pied l’autre col, celui de Tirourda. Une autre piste grimpe vers Lalla Khedidja, trois heures d’escalade. Une piste carrossable descend le versant sud vers M’chdellah pour en finir avec le Djurdjura. Et la route goudronnée qui traverse le col pour descendre vers le versant nord. A ce carrefour géostratégique et culturel, que faire ? Pour Kaci, « les Kabyles et les Arabes sont aussi peu soucieux de l’environnement les uns que les autres ». Effectivement, si le paysage est magnifique, les ordures et les graffiti renseignent sur la différence entre l’aigle et l’homme, le cèdre et le sachet noir. Que faire ? Rester en équilibre.

    Les deux versants du même problème


    Le versant nord est plus développé, mais plus peuplé. Le versant sud est plus sauvage mais plus pauvre. Il y a plus de terrorisme sur le versant nord mais moins d’islamistes que sur le versant sud, jalonné de petits villages berbères mais qui conduit là où la berbérité se perd dans les plaines jaunes de Bouira, alors que le versant nord descend vers la vallée du Sebaou et Tizi Ouzou, territoire kabyle. Que faire ? Rester sur la ligne de crêtes mais aller vers l’est, sans descendre, toujours en équilibre, sur les deux versants. Là où il fait frais et la neige encore présente. Col de Tirourda (1760 m), une petite piste à gauche monte vers Azrou N’Thor (1884 m) et une autre à droite rejoint la forêt de Aït Ouabane à deux heures de marche, et Tizi N’Kouilal, autre point d’équilibre. Que l’on peut rejoindre en voiture mais au prix d’un détour par le versant nord, par Aïn El Hammam et Tassaft Ouguemmoune. Au col de Tirourda, il est 15h. L’air est frais, comme partout sur cette ligne d’altitude. Un routier est en panne, son camion arrêté exactement sur le point d’inflexion, entre les deux pentes nord et sud. Lui est assis sur ce calcaire blanc caractéristique de cette altitude. « Je suis là depuis 10h du matin. J’attends le mécanicien. » Le routier n’a plus de freins, ils ont lâché. Il a bien escaladé le versant sud, à partir de M’chdellah mais arrivé au col, c’est la vertigineuse descente du versant nord. Sans freins, impossible. D’où va venir le mécanicien ? Du versant sud ou nord ? Autre question pour les promeneurs, rentrer à Alger par Tizi Ouzou ou par Bouira ?

    Par le versant nord ou le versant sud ? Grande question existentielle. Qui n’a évidemment pas de réponse puisqu’il fait chaud partout. Sauf sur la ligne de crêtes que l’on peut encore emprunter en revenant vers Aïn El Hammam et prendre la bifurcation vers l’est et Illiten pour rejoindre le troisième col, celui de Chellata. Puis celui de l’Akfadou, en s’enfonçant dans les denses forêts et montagnes mais en perdant de l’altitude car le Djurdjura s’affaisse à l’est. Il faut savoir s’arrêter.

    Territoires et sécurité

    Même dans le Djurdjura, on est encore en Algérie. Au niveau de la sécurité, éviter l’ouest de la chaîne, le Djebel Haïzer qui redescend vers le versant nord par Tala Guilef et Boghni, et vers le versant sud sur Merkala et Bezzit. A l’Est, par contre, il n’y a aucun problème mais dans tous les cas, ne pas circuler la nuit et en journée, ne pas trop s’aventurer sur les pistes non identifiées, où des mines, placées il y a longtemps, peuvent encore exploser au passage par l’action d’un petit fil de fer invisible. Autre problème, les cartes. Elles sont généralement anciennes, même les plus récentes puisqu’elles ont été refaites sur la base des anciennes. Ne pas trop s’y fier. Des routes et des pistes indiquées n’existent pas, tout comme des routes et des pistes existantes ne sont pas mentionnées. A quand des cartes modernes et précises pour le territoire ?


    Par Chawki Amari, El Watan

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