Buno Barrillot au Quotidien d'Oran:
Black-out français sur les archives des essais nucléaires en Algérie
Entretien réalisé par Ziad Salah
Bruno Barrillot mène, depuis plus de trente ans, un combat inlassable pour rétablir la vérité sur les essais nucléaires français en Polynésie et au Sahara algérien. Ce prêtre, devenu une des figures de l'antinucléaire sur le plan international, jouit d'une grande reconnaissance dans les milieux scientifiques et militants.
Son dernier ouvrage, publié en 2007, a été intitulé «Quelle justice pour les essais nucléaires». Il a déjà publié auparavant un autre livre qui a connu un succès retentissant « Les irradiés de la République». Il est constamment sollicité dans les colloques et les rencontres scientifiques portant sur les dégâts des essais nucléaires français.
Avec certaines associations, il est derrière la reconnaissance, très tardive, par la France, des victimes de ses essais au Sahara algérien et en Polynésie. Co-fondateur du Centre de Documentation de Recherche sur la Paix et les Conflits (CDRPC), il a accepté de répondre à nos questions.
Le Quotidien d'Oran.: Le projet de texte de loi déposé par le ministre français de la Défense, concernant l'indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara algérien et en Polynésie, constitue une avancée certaine. Mais l'indemnisation des victimes ne risque-t-elle pas de reléguer, ou carrément d'enterrer des aspects autrement plus importants des essais nucléaires au Sahara ?
Bruno Barrillot.: Le fait qu'un ministre de la Défense français reconnaisse que les essais nucléaires ont des conséquences sur la santé est certainement un événement car, jusqu'à novembre 2008, la thèse officielle française était celle des « essais propres ». Il faut reconnaître cependant que le ministre français cède sous de multiples pressions : d'abord de la part des associations de victimes civiles et militaires créées, depuis 2001, en France, en Polynésie française et en Algérie, puis des révélations sur les graves conséquences sanitaires et environnementales des essais, lors de colloques organisés depuis 10 ans à Paris, Hiroshima, Papeete, Alger, puis encore, par l'émotion des opinions publiques à la suite de nombreux reportages écrits ou audiovisuels, enfin, par le dépôt au Parlement français de 18 propositions de loi émanant de groupes politiques de toutes tendances politiques. L'indemnisation des victimes est donc annoncée par la France.
C'est la moindre des choses. Encore faut-il que les victimes aient connaissance des procédures à remplir pour obtenir réparation et que trop d'obstacles ne soient pas mis pour en indemniser le moins possible.
Par contre, le projet de loi n'aborde nullement les questions environnementales, c'est-à-dire la réhabilitation des anciens sites d'essais qui restent contaminés, tant au Sahara qu'en Polynésie... Et pourtant, ces zones contaminées vont rester, pour des millénaires, de vraies « bombes sanitaires potentielles ».
Q.O.: Sur le plan de l'information, en Algérie le grand public ne connaît pas le nombre exact des essais effectués par la France. Dans un de vos articles, vous parlez de quarante autres essais en plus des dix-sept reconnus. Quelles précisions vous pouvez nous fournir dans ce sens ?
B.B.: Effectivement, en plus des 17 essais nucléaires officiellement reconnus au Sahara algérien, la France a effectué en plus, entre le 28 avril 1961 et le 14 mai 1963, sur le site d'Hamoudia au sud de Reggane, 35 expériences dites « complémentaires » désignées par les Français sous le nom d'« essais froids ». Ces expériences consistaient à tester des explosifs chimiques sur de petites quantités de plutonium qui étaient ainsi pulvérisées et dispersées dans l'environnement. Ces expériences ne produisaient pas un «champignon atomique» et des retombées radioactives comme les quatre essais aériens d'Hamoudia, mais les particules de plutonium ainsi répandues sur de grandes étendues constituent un risque sanitaire très important.
En effet, le plutonium est un métal extrêmement toxique dont une minuscule particule ingérée peut devenir un foyer cancéreux.
Dans le Hoggar, sur le site du Taourirt Tan Ataram à l'ouest de la montagne d'In Eker où eurent lieu 13 essais souterrains, la France a effectué 5 essais dits « de sécurité » entre le 8 mai 1964 et le 9 mars 1966. Il s'agissait de vérifier comment se comporterait une arme nucléaire en cas de crash de l'avion porteur, c'est-à-dire sans que le mécanisme de mise en route de la réaction en chaîne nucléaire ait été déclenché. Là encore, des hectares de terrain ont été contaminés par la pulvérisation de matières nucléaires et de plutonium particulièrement.
Q.O.: En dehors des populations du Sahara victimes des irradiations et dont on ne connaîtra jamais le nombre exact, l'environnement est la seconde victime de ces essais. Est-ce que le risque de pollution et de contamination de la nappe phréatique du grand sud algérien, une des richesses future du pays, est à prendre au sérieux ?
B.B.: Je ne suis pas géologue. Mais je pense que les spécialistes algériens devront étudier sérieusement le problème des risques de contamination des nappes phréatiques. Lorsque j'ai eu l'occasion de me rendre à In Eker avec une délégation gouvernementale algérienne et de nombreux journalistes algériens et étrangers, une personnalité du ministère de la Défense m'a montré la dépression située entre la montagne du Tan Affela où eurent lieu les 13 essais souterrains et la grande route transaharienne tracée à quelque 400 mètres de la montagne. « Il se trouve que des pluies périodiques inondent cette dépression », m'a-t-il dit. Il est clair que ces pluies dévalent les pentes de la montagne nucléaire, s'infiltrent par les nombreuses fissures et passent notamment sur la coulée de lave radioactive produite par l'accident de tir du 1er mai 1962. Les eaux s'accumulent dans cet oued et sont peu à peu absorbées par les sols.
Personne ne peut donc nier qu'il y ait un risque de contamination de la nappe phréatique. Prenons un modèle étranger : aux Etats-Unis, le site d'essais nucléaires aériens et souterrains du Nevada se situe non loin de Las Vegas. Pour vérifier en permanence l'état radiologique de la nappe phréatique qui alimente leur ville, les dirigeants de Las Vegas et de l'Etat du Nevada ont fait installer sur le site d'essais du Nevada, et à proximité, un système très sophistiqué d'analyse permanente de la nappe souterraine. Il faudrait probablement s'inspirer de ce modèle américain pour la nappe saharienne.
Un risque n'est pas une certitude, mais la surveillance devrait s'imposer. De plus, certaines mesures évidentes de précautions devraient être prises pour isoler les zones et les matériaux radioactifs qui ont été laissés à découvert après les accidents et fuites des essais souterrains.
Par ailleurs, les preuves documentaires ou photographiques et les témoignages abondent sur l'enfouissement de déchets contaminés sous quelques centimètres de sable tant à Reggane-Hamoudia qu'à In Eker. De plus, les immenses zones des points zéro d'Hamoudia sont parsemés de fragments de sable vitrifié fortement contaminés ou encore de matériaux métalliques douteux abandonnés sur place. Tout cela a été fait en dépit de toutes les réglementations en matière de gestion des déchets nucléaires.
La moindre des choses pour éviter les contaminations des sous-sols et des nappes phréatiques serait de « réhabiliter » ces zones contaminées, de regrouper les matériaux contaminés et de les stocker selon des normes reconnues internationalement.
Commentaire