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Mohamed Dib, le silence six ans après sa disparition

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  • Mohamed Dib, le silence six ans après sa disparition

    Malgré la dimension universelle de son œuvre et la manière indélébile avec laquelle Mohamed Dib a marqué les lettres algériennes, aucune activité particulière n’a marqué le sixième anniversaire de sa mort.

    Disparu le 2 mai 2003 après une carrière, une vie doit-on dire, consacrée à la littérature, Mohamed Dib est considéré comme le romancier le plus prolifique et le plus novateur en Algérie. Il s’est surtout imposé par ses deux trilogies : ‘’Algérie’’, qui regroupe La Grande maison, L’Incendie et Le Métier à tisser, puis la trilogie nordique regroupant Les Terrasses d’Orsol, Le Sommeil d’Eve et Neiges de marbre.

    Depuis sa mort, seul un séminaire a été organisé en 2006 à Tlemcen par la fondation portant le nom de l’écrivain et présidée par Mme Sabeha Benmansour. Il faut préciser tout de suite que le statut de fondation n’existe pas encore en Algérie ; le législateur n’a pas introduit cette notion dans le texte portant sur les associations. Il s’ensuit une sorte de confusion qu’ont eu à vivre les animateurs de la fondation Matoub Lounès et ceux de la fondation Nordine Abba.

    La présidente de la fondation Mohamed Dib, prenant ses quartiers dans l’historique bourg tlemcénien d’El Mechouar, elle dira : " Ce que nous a légué M.Dib, c’est son œuvre magistrale qui est devenue universelle.

    C’est la seule fortune qu’il nous a laissée et elle est belle. Par ailleurs, il nous a fait un seul don, c’est celui d’une traduction qu’il avait faite lui-même avec le défunt Mohamed Ghenineche, où tous les dialogues sont en arabe dialectal. Nous sommes en relation avec un éditeur parisien pour sa publication ". A propos du prix Mohamed Dib institué par cette fondation, Mme Benmansour révèlera au quotidien El Watan du 5 décembre 2005 : " Nous voulons promouvoir la jeune écriture algérienne dans un cadre qui pouvait joindre l’exigence du sérieux et l’ouverture des efforts. Il nous fallait donc quelque chose de fort et nous l’avons trouvé en la symbolique de Mohamed Dib». Consulté avant sa mort à propos du projet de prix littéraire portant son nom, Dib a conditionné cette opération au poids littéraire que doit revêtir l’œuvre à couronner (le prix devant être cautionné par un jury international puissant) et à la valeur financière du prix qui, selon lui, doit être très importante. La président du jury se trouve être l’universitaire spécialiste de l’œuvre dibienne, Naget Khadda. "Nous oeuvrons pour être un espace fédérateur emblématique pour tous les intellectuels intéressés par Mohamed Dib. Au fil des ans, nous tendons à être dépositaires de toutes les recherches sur Mohamed Dib. Nous sommes en contact avec toutes les universités d’Algérie et certaines de France ou celle de Los Angeles ", ajoutera Mme Benmansour.

    L’auteur de la ‘’Grande maison’’ a touché à tous les genres littéraires avec la même passion et le même bonheur : le théâtre, avec Les Fiancées du printemps (1963) et Mille hourras pour une gueuse (1979), le conte, avec Baba Fekrane (1959), L’Histoire du chat qui boude (1974), Salem et le sorcier (2000), L’Hippopotame qui se voulait vilain (2001), et les nouvelles : Au Café (1955) et Le Talisman(1966). D’autres textes ‘’inclassables’’ produits par l’auteur, tenant à la fois de la nouvelle, du conte et de la prose poétique parsèment les pages de certains revues littéraires.

    Mohamed Dib est aussi un grand poète. Il n’a jamais cessé de composer des vers tout en donnant au reste de ses textes en prose des couleurs et des fragrances toutes poétiques. Nous revisitons ici quelques œuvres et strophes dibiennes par lesquelles il exalte l’amour de la vie, l’absurdité de l’existence, l’étrangeté des hommes ainsi que leurs pitoyables envies.

    Sept recueils poétiques de Dib ont été publiés : Ombre gardienne (1961), Formulaires(1975), Omnéros (1975), Feu, beau feu (1979), ô vive (1985), L’Aube d’Ismaël (1997), L’Enfant-jazz (1999) et Le Cœur insulaire (2000).

    Magie du rythme et de la mesure

    Le monde poétique de Mohamed Dib explore les labyrinthes les plus reculés de notre sensibilité en y envoyant des processions de mots nimbés par la magie du rythme et de la mesure. Le texte de ‘’Feu, beau feu’’, caractérisé par une écriture brève et dense, se donne comme but primordial le flux simple et mesuré de paroles traduisant des situations ordinaires pleines de candeur et de modestie

    Son premier recueil de poèmes, ‘’Ombre gardienne’’, publié en 1961 est préfacé par le grand poète français Louis Aragon qui écrit : "De la douleur naît le chant. D’abord étonné de soi-même. Puis on dirait que pour mieux se reconnaître, l’homme assure mieux dans sa main le miroir. Ayant comparé le monde et sa parole, s’il poursuit, sur cet instrument donné, c’est comme au premier moment pour ne retrouver que ce qui est de sa gorge. Longtemps il écoutera mourir et écho des profondeurs.

    Choisir…Est-ce qu’on choisit ce transfixement du cœur, ou ce mal qui vous fait les yeux fous ? Je ne sais vraiment si l’on chante pour s’apaiser, apaiser en soi quelque flamme. Mais pourquoi chanter ceci, et non cela ? C’est là l’interrogation terrible du poète devant lui-même, ce miroir intérieur ".

    Poésie aux formes pures, écrite dans une langue déliée, nous abreuvant de belles sonorités et d’images chatoyantes. Écrit en pleine guerre de libération, ‘’Ombre gardienne’’ porte aussi la voix de son pays d’origine et de ses hommes. " A cette heure des mutations profondes, des hommes ainsi trouvent en eux-mêmes les accents inattendus de la lumière extérieure ", ajoute Aragon .

    Chanter la terre natale, glorifier la glèbe nourricière, héler les monts et les vaux, susurrer amoureusement à l’air familier le bonheur d’être là entre les éléments de notre sublime et rebelle nature et au milieu des hommes humbles et laborieux de l’Algérie. Mohamed Dib a porté le pays dans son cœur et dans ses vers.

    Couleur et ton de l’exil intérieur


    "A vrai dire, écrit Georges Pompidou dans son ‘’Anthologie de la poésie française’’(Hachette, 1961), les vers ne sont qu’une des multiples expressions possibles de la poésie. Celle-ci est ou peut se trouver partout.

    Dans un roman comme dans un tableau, dans un paysage comme dans les êtres eux-mêmes, se manifeste parfois je ne sais quelle puissance de rêve, parfois encore une pénétration singulière, une sorte de plongée dans les profondeurs provoquant chez le lecteur ou le spectateur une joie mélancolique, une tristesse complaisante ou désespérée, ou encore une jubilation soudaine, qui sont quelques-uns des effets de la beauté poétique".

    A propos de sa première œuvre poétique, M. Dib, dans un entretien à la revue “Afrique Action” en date du 13 mars 1961, s’exprime ainsi : ‘’C’est mon premier recueil de vers, mais je suis essentiellement poète et c’est de la poésie que le suis venu au roman, non l’inverse. Mes premiers poèmes ont été publiés sporadiquement dans des revues et des journaux. J’en ai écrit des centaines. Mais il arrive un moment où la recherche poétique verbale aboutit à l’impasse, à force de vouloir donner à chaque mot une force particulière. Il faut donc, si l’on veut poursuivre l’œuvre créatrice, changer de domaine, nouvelle, roman(…) Ce thème principal(d’Ombre gardienne) qui donne sa couleur et son ton à l’ensemble est celui de l’exil. Essentiellement un exil intérieur, un peu comme ‘’L’Albatros’’ de Baudelaire’’.

    Jacqueline Arnaud, en soumettant à l’analyse le recueil ‘’Omnéros’’, écrit : "pour Mohamed Dib le poème n’est pas expression, mais exploration au moyen du langage. L’écriture ouvre un espace imaginaire, hors du réel, et donc ce qui est à dire n’a pas de nom : l’écriture ne peut être que périphrastique. Elle ouvre sur le mystère du sens (thème essentiel déjà dans ‘’Formulaires’’). Le poète ne peut que ramener des signes : il est écrit dans et par l’écriture, sans qu’on sache qui est le destinateur, ou le sujet. La seule évidence est la femme : elle est le lieu de la totalité et de la partie, du cosmique et de l’humain, du dicible et de l’indicible, matière de désir, objet de rêve, en qui- par qui- l’homme est rêvé. Dans le rêve, l’homme apprivoise son destin.

    Une voix parle, qui fait remonter des profondeurs l’inceste, l’innocence. Cette parole vient des territoires de la femme, du fond du rêve de retour à l’origine, et elle est en même temps hors du rêve. L’homme qui entre en écriture est sans repère, perdu. Dans les péripéties du désir le signe deviendra-t-il sens ? La quête du sens est pour le poète une quête de la Toison d’or. Certains abandonnent, d’autres attendent ".

    Par Amar Naït Messaoud, la dépêche de kabylie
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