Le Festival culturel panafricain d'Alger face au Festival mondial des arts nègres : Enjeux idéologiques et géopolitique
L'étude des rapports culturels entre le Maghreb et l'Afrique noire (1) démontre que les échanges en matière d'art et de culture entre les deux univers se caractérisent par une inertie palpable. En effet, si l'on prend les festivals comme baromètre du niveau de ces échanges, on constate que seulement trois festivals sont dédiés au Nord à la culture africaine : deux au Maroc (Festival du cinéma africain de Khouribga, Festival international des musiques africaines ‘Magic Draâ’ à Zagora), et un seul en Algérie (Festival arabo-africain de danse folklorique de Tizi-Ouzou). Au sud, aucun événement n'est organisé dans le but de se rapprocher du Maghreb : les festivals dits ‘africains’ sont réservés presque exclusivement aux artistes noirs. D'autre part, les échanges et les conventions culturelles interarabes ou inter musulmanes pour les pays du Maghreb, et intra Afrique noire pour ceux du Sud fleurissent.
Il y a là support problématique pour une réflexion susceptible d'aider à comprendre ce constat paradoxal, tant les discours officiels des pays du Maghreb revendiquent une composante identitaire ‘africaine’ infaillible, et que les pays de l'Afrique subsaharienne se disent pleinement convaincus que leurs ‘frères blancs’ sont africains à part entière. Une explication généraliste considérant le Maghreb comme une entité politique homogène serait fondamentalement erronée. Les trois pays du Maghreb qui sont l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, de par leurs parcours historiques et leurs politiques culturelles souveraines, maintiennent des rapports singuliers avec l'Afrique subsaharienne. Nous tenterons dans cet article de traiter du seul cas de l'Algérie tout en évoquant quelques aspects intéressants des deux autres pays.
A l'époque des mouvements africains de résistance armée et intellectuelle, le fossé idéologique et culturel séparant une grande partie de l'Afrique noire de l'Algérie existait déjà : c'est qu'à l'origine, la définition de la résistance à la colonisation pour l'une et pour les autres n'avait pas la même signification. Dans l'Afrique de Léopold Sédar Senghor, la ‘négritude’, notion qui fait référence à l'homme de couleur noire, était l'essence de tout combat, qui doit être de préférence intellectuel plutôt qu'armé. En Algérie, c'est au nationalisme arabe mélangé au communisme et à l'Islam que les dirigeants s'abreuvaient principalement pour mener leur lutte armée. Le sentiment d'appartenance au continent africain n'est venu qu'à l'indépendance : aucun des trois textes fondateurs de la République Algérienne rédigés avant 1962 ne faisait allusion directe à l'appartenance du pays au continent africain. C'est une fois libérée que l'Algérie a connu et reconnu sa composante identitaire africaine en la constitutionalisant en 1963.
La libération du joug colonial acquise, essentiellement à partir de la fin des années cinquante du siècle passé, les pays africains font plus ample connaissance entre eux et les divergences quant à la définition de la notion de résistance n'allaient pas tarder à se transformer en différend idéologique profond qui divisa le continent en deux blocs : une Afrique exclusivement noire qui faisait de la ‘négritude pacifiste’ son cheval de bataille, et une Afrique plus diversifiée, révoltée et indomptable, qui ne se reconnaissait pas dans l'idéologie cultivée par Senghor. Le mouvement de la ‘négritude’, avec une longueur d'avance sur ses détracteurs, car appuyé par la France, organisera son premier Festival mondial des arts nègres à Dakar en 1966 et l'inscrit dans le thème : ‘Fonction et importance de l'art nègre et africain pour les peuples et dans la vie des peuples’. La manifestation se voulait être un événement historique pour inscrire la négritude dans les courants culturels mondiaux.
Le Maroc et la Tunisie étaient, avec les Emirats Arabes Unis, les seuls pays arabes à avoir participé au festival. Le Maroc, en conflit sur les frontières avec l'Algérie, ne pouvait que soutenir un événement qui ne plaisait pas à son ‘frère ennemi’. Cependant, les intellectuels marocains, en majorité de tendance communiste à l'époque, étaient farouchement hostiles au festival de Dakar. Les contemporains de l'événement se rappellent bien de la diatribe du journaliste Abdallah Stouky parue dans la revue ‘Souffle’ en 1966, une revue qui sera d'ailleurs interdite quelques années plus tard et son fondateur jeté en prison par le Roi Hassan II.
La Tunisie, quant à elle, par son président El Habib Bourguiba, soutenait Senghor dans son projet de francophonie internationale. La complicité entre les deux hommes cachait en réalité un rapport d'intérêt. En effet, c'est le projet francophone qui intéressait Bourguiba et non Senghor. Georges Lapassade, dans un entretien avec Olivier Barlet, révèle une discussion avec Senghor où ce dernier avait affirmé que dans les yeux de Bourguiba, il n'était que ‘son petit nègre’ (3).
L'Algérie n'était pas présente au festival de Dakar. Seule la chanteuse Taos Amrouche, qui résidait à Tunis, avait représenté son pays contre vents et marées et recevra le prix de la musicologie. Elle sera privée de participation au Festival panafricain d'Alger en 1969.
L'étude des rapports culturels entre le Maghreb et l'Afrique noire (1) démontre que les échanges en matière d'art et de culture entre les deux univers se caractérisent par une inertie palpable. En effet, si l'on prend les festivals comme baromètre du niveau de ces échanges, on constate que seulement trois festivals sont dédiés au Nord à la culture africaine : deux au Maroc (Festival du cinéma africain de Khouribga, Festival international des musiques africaines ‘Magic Draâ’ à Zagora), et un seul en Algérie (Festival arabo-africain de danse folklorique de Tizi-Ouzou). Au sud, aucun événement n'est organisé dans le but de se rapprocher du Maghreb : les festivals dits ‘africains’ sont réservés presque exclusivement aux artistes noirs. D'autre part, les échanges et les conventions culturelles interarabes ou inter musulmanes pour les pays du Maghreb, et intra Afrique noire pour ceux du Sud fleurissent.
Il y a là support problématique pour une réflexion susceptible d'aider à comprendre ce constat paradoxal, tant les discours officiels des pays du Maghreb revendiquent une composante identitaire ‘africaine’ infaillible, et que les pays de l'Afrique subsaharienne se disent pleinement convaincus que leurs ‘frères blancs’ sont africains à part entière. Une explication généraliste considérant le Maghreb comme une entité politique homogène serait fondamentalement erronée. Les trois pays du Maghreb qui sont l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, de par leurs parcours historiques et leurs politiques culturelles souveraines, maintiennent des rapports singuliers avec l'Afrique subsaharienne. Nous tenterons dans cet article de traiter du seul cas de l'Algérie tout en évoquant quelques aspects intéressants des deux autres pays.
A l'époque des mouvements africains de résistance armée et intellectuelle, le fossé idéologique et culturel séparant une grande partie de l'Afrique noire de l'Algérie existait déjà : c'est qu'à l'origine, la définition de la résistance à la colonisation pour l'une et pour les autres n'avait pas la même signification. Dans l'Afrique de Léopold Sédar Senghor, la ‘négritude’, notion qui fait référence à l'homme de couleur noire, était l'essence de tout combat, qui doit être de préférence intellectuel plutôt qu'armé. En Algérie, c'est au nationalisme arabe mélangé au communisme et à l'Islam que les dirigeants s'abreuvaient principalement pour mener leur lutte armée. Le sentiment d'appartenance au continent africain n'est venu qu'à l'indépendance : aucun des trois textes fondateurs de la République Algérienne rédigés avant 1962 ne faisait allusion directe à l'appartenance du pays au continent africain. C'est une fois libérée que l'Algérie a connu et reconnu sa composante identitaire africaine en la constitutionalisant en 1963.
La libération du joug colonial acquise, essentiellement à partir de la fin des années cinquante du siècle passé, les pays africains font plus ample connaissance entre eux et les divergences quant à la définition de la notion de résistance n'allaient pas tarder à se transformer en différend idéologique profond qui divisa le continent en deux blocs : une Afrique exclusivement noire qui faisait de la ‘négritude pacifiste’ son cheval de bataille, et une Afrique plus diversifiée, révoltée et indomptable, qui ne se reconnaissait pas dans l'idéologie cultivée par Senghor. Le mouvement de la ‘négritude’, avec une longueur d'avance sur ses détracteurs, car appuyé par la France, organisera son premier Festival mondial des arts nègres à Dakar en 1966 et l'inscrit dans le thème : ‘Fonction et importance de l'art nègre et africain pour les peuples et dans la vie des peuples’. La manifestation se voulait être un événement historique pour inscrire la négritude dans les courants culturels mondiaux.
Le Maroc et la Tunisie étaient, avec les Emirats Arabes Unis, les seuls pays arabes à avoir participé au festival. Le Maroc, en conflit sur les frontières avec l'Algérie, ne pouvait que soutenir un événement qui ne plaisait pas à son ‘frère ennemi’. Cependant, les intellectuels marocains, en majorité de tendance communiste à l'époque, étaient farouchement hostiles au festival de Dakar. Les contemporains de l'événement se rappellent bien de la diatribe du journaliste Abdallah Stouky parue dans la revue ‘Souffle’ en 1966, une revue qui sera d'ailleurs interdite quelques années plus tard et son fondateur jeté en prison par le Roi Hassan II.
La Tunisie, quant à elle, par son président El Habib Bourguiba, soutenait Senghor dans son projet de francophonie internationale. La complicité entre les deux hommes cachait en réalité un rapport d'intérêt. En effet, c'est le projet francophone qui intéressait Bourguiba et non Senghor. Georges Lapassade, dans un entretien avec Olivier Barlet, révèle une discussion avec Senghor où ce dernier avait affirmé que dans les yeux de Bourguiba, il n'était que ‘son petit nègre’ (3).
L'Algérie n'était pas présente au festival de Dakar. Seule la chanteuse Taos Amrouche, qui résidait à Tunis, avait représenté son pays contre vents et marées et recevra le prix de la musicologie. Elle sera privée de participation au Festival panafricain d'Alger en 1969.
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