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La Brèche et le rempart de Badr’Eddine Mili

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  • La Brèche et le rempart de Badr’Eddine Mili

    La Brèche et le rempart retrace l’épopée d’une famille constantinoise haute en couleur. Une saga qui a trouvé en Badr’Eddine Mili son héraut.

    Il fallait y venir. Il y arriva et de quelle manière! Journaliste professionnel - de la Radio nationale (Chaîne III) à communicateur en passant par la direction de l’APS - il ne pouvait que suivre la filière empruntée par ses confrères qui avaient largement ouvert la voie à l’écriture romanesque. Une reconversion à tout le moins heureuse pour Badr’Eddine Mili qui nous a agréablement surpris par son premier roman La Brèche et le rempart, un ouvrage haut en couleur bien écrit avec, à la clé, ce qui ne gâte rien, une histoire qui puise dans le riche passé d’une ville multiséculaire: Constantine.

    Ce roman est de fait une saga constantinoise bien ficelée, facile à lire et dans laquelle on se laisse rapidement entraîner par ses principaux personnages, notamment la famille Hamadène, coeur et raison d’être de l’ouvrage. En fait, cette saga constantinoise a tout l’air d’une saga familiale, celle des Mili, grande famille de Constantine. Le livre se présente comme une autobiographie familiale dans laquelle l’auteur raconte les péripéties des Hamadène dans la traversée d’un siècle de turbulences, qui a connu deux guerres mondiales. Si le corps du roman est articulé sur la période allant de la Seconde Guerre mondiale à l’Indépendance du pays, l’auteur, par petites esquisses, flash-back et rappels, fait des incursions dans un passé plus ou moins lointain, riche des expériences d’une cité qui marqua de son empreinte l’histoire ancienne et contemporaine de l’Algérie.

    Tout commence et aboutit à Aouinet El Foul, populaire et pittoresque quartier au sud-ouest du Vieux Rocher. C’est de ce quartier, en contrebas du Coudiat que, dit-on, l’armée française - stoppée en 1836 par les troupes du bey de Constantine qui vainquit le général Clauzel - tenta en octobre 1837 une nouvelle offensive s’ouvrant une brèche vers le coeur de la cité antique. C’est là qu’eurent lieu les batailles homériques opposant les troupes du bey - conduites par Ali Benaïssa, Bach’hamba d’Ahmed Bey et Mohamed Belabdjaoui, caïd Eddar - aux soldats français menés par les généraux Damrémont et Perrégaux qui y laissèrent d’ailleurs la vie. Aouinet El Foul par laquelle les Français ont trouvé le passage vers le coeur de la vieille ville, a été aussi le bastion des hommes libres et le premier quartier qui organisa la résistance à l’occupation et donna ses premiers fidaiyîn à la Révolution, devenant aussi le lieu privilégié de descentes des militaires français qui réprimaient la population durant la guerre de Libération nationale. Aouinet El Foul est, en fait, un quartier atypique de Constantine, dans le prolongement de l’avenue Bienfait (Kitouni aujourd’hui), au piémont du Rocher constantinois. Aouinet El Foul, Constantine, sans être tout à fait Constantine, est une sorte de gros village avec ses caravansérails, ses petites maisons et ses ruelles tortueuses tout en pente.

    Dès le premier chapitre, Badr’Eddine Mili annonce la couleur en faisant un état des lieux revenant sur l’épisode de la bataille de Constantine qui induisit la Brèche - une brèche mal cicatrisée - venue à bout des remparts de la ville. C’est, en effet, par la saignée de Aouinet El Foul, en contrebas du plateau du Coudiat Aty que l’armée française, à coups de canon a pu s’ouvrir un passage dans les remparts qui protégeaient la ville du Rocher. Un rappel historique qui donne le ton à un roman résolument placé sous le signe de l’histoire d’une ville, d’une famille, les Hamadène, que raconte avec brio Stopha, principal personnage de cette saga. Mais pas le seul!

    La fiction se mêle intimement aux faits historiques, l’auteur faisant largement référence à des personnalités du Mouvement national, telles que Messali Hadj ou Ferhat Abbas, évoquant la mémoire de fidaiyîn constantinois, tels Mustapha Aouati et Zaâmouche parmi les premiers condamnés à mort et exécutés à la prison d’El Koudia, Kaddour Boumedous, Messaoud Boudjeriou et autre Kaghouche, des hommes de culture et de culte constantinois, Cheikh Abdelhamid Ben Badis, Malek Haddad, Malek Bennabi, Algériens, Assia Djebbar, Mohamed Dib, Moufdi Zakaria...Comme apparaissent au détour des pages certaines personnalités politiques françaises, qui marquèrent les années de colonisation, ou encore des artistes à l’instar des peintres Etienne Dinet, Delacroix qui trouvèrent l’inspiration sous le soleil d’Algérie. Outre Stopha, le narrateur, il y avait son père Salah Eddine, sa mère Zouaki (Zakia), El Hadj Menouar, personnage haut en couleur qui navigue entre deux eaux, Sidou et une multitude d’autres acteurs qui donnent au roman sa dimension historique et humaine, qu’il est certes impossible de les énumérer tous ici. Mais en dehors de Stopha, le vrai héros de La Brèche et le rempart c’est encore et toujours Aouinet El Foul, commencement et aboutissement de toute chose, traversée par le fleuve humain qui se ressource à ses eaux, haut lieu de la résistance, qui enfanta maints héros constantinois de la Révolution.

    C’est ainsi que Badr’Eddine Mili décrit le quartier: «Aouinet El Foul n’était ni le souk de Kandahar, ni Mycènes, ni Djemâa El F’na, ni le bazar de Bandar Abbas. Elle n’avait que faire de l’aristocrate prestance et de la démesure orgueilleuse dont se prévalaient ces marchés de légende. Ses prétentions étaient plus modestes. Elle concentrait dans le raccourci d’une enluminure racimienne, toutes les images d’un microcosme à cheval entre un passé rutilant et un avenir incertain, d’hommes arrivés à une bifurcation de leur destin, qu’ils hésitaient à emprunter...»

    Comme en écho, en son temps, l’écrivain et poète constantinois, Malek Haddad, écrivait déjà à propos de Constantine: «On ne présente pas Constantine. Elle se présente et l’on salue. Elle se découvre et nous nous découvrons. Elle éclate comme un regard à l’aurore et court sur l’horizon qu’elle étonne et soulève...»

    A sa manière Badr’Eddine Mili réinvente Cirta-Constantine à travers l’un de ses quartiers les moins-disants sans doute, mais le plus typique. La Brèche et le rempart, un moment de pur régal. Un essai transformé en véritable coup de maître. Un écrivain est né oserions-nous écrire. A lire de toute urgence.

    La Brèche et le rempart de Badr’Eddine Mili
    Chihab Editons, Alger 2009


    Par l'Expression
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