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L'étonnant paradoxe du Parlement européen

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  • L'étonnant paradoxe du Parlement européen

    C'est un curieux paradoxe que les élections européennes devraient à nouveau mettre en évidence : plus le Parlement européen gagne en influence, plus l'indifférence des électeurs grandit à son égard.

    Le scrutin, septième du genre depuis la première élection au suffrage universel des eurodéputés en 1979, ne devrait pas échapper à la règle. Du 4 au 7 juin, 736 sièges sont à pourvoir dans les Vingt-Sept Etats de l'Union. En pleine crise économique, les quelque 375 millions d'électeurs s'apprêtent à bouder massivement les urnes. Le taux d'abstention risque de battre de nouveaux records, après avoir atteint plus de 54 % en juin 2004.

    Le Parlement sortant n'a pourtant pas démérité, en dépit de l'inégale assiduité de ses membres. Tandis que la réforme des institutions patine depuis le double non à la Constitution en France et aux Pays-Bas en 2005, l'Hémicycle a même permis à l'Europe élargie de surmonter en partie la panne. Face à un Conseil plus divisé que jamais, face à une Commission pour le moins hésitante, c'est dans cette enceinte que des compromis ont été dégagés sur des législations pourtant controversées : la directive sur la libéralisation des services proposée par l'ex-commissaire au marché intérieur Frits Bolkestein ; le règlement Reach sur les produits chimiques ; l'ouverture à la concurrence des postes, de l'énergie et du transport ferroviaire. Les élus ont même été en mesure de rejeter certaines initiatives portées par la Commission et par le Conseil, comme la directive sur le temps de travail, qui maintenait la dérogation au plafond des 48 heures hebdomadaires défendu par le Royaume-Uni et ses alliés, ou un projet de libéralisation des services portuaires.

    L'agenda de la prochaine assemblée ne devrait pas être moins chargé. A peine élus, les eurodéputés vont devoir approuver, ou pas, le président de la prochaine Commission. La reconduction de José Manuel Barroso est en bonne voie, à moins d'une énorme surprise électorale, qui verrait la défaite - très peu probable - des conservateurs du Parti populaire européen (PPE). Le groupe, qui compte l'UMP dans ses rangs, devrait rester la principale force du Parlement, en dépit de la défection annoncée, après le scrutin, des Tories britanniques. L'autre formation pivot de l'Hémicycle, le Parti socialiste européen (PSE), a certes été incapable, à ce stade, de désigner un candidat alternatif, en raison du soutien que des gouvernements de gauche, dont ceux du Britannique Gordon Brown et de l'Espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, apportent au président sortant de la Commission. Mais il est possible qu'une partie des nouveaux élus de gauche, qui rêvent sans trop y croire d'une autre majorité avec les libéraux et les écologistes, cherchent à compliquer la reconduction de M. Barroso.

    Surtout, le Parlement européen devrait gagner de nouvelles prérogatives si le traité de Lisbonne entre en vigueur, au mieux au début de 2010. Au nom des "citoyens européens", il détiendra alors, à quasi-égalité avec le Conseil, l'autorité législative et budgétaire. Cette montée en puissance, continue depuis 1979, devrait profiter de l'extension parallèle du champ des décisions à la majorité qualifiée entre les Etats membres. Les eurodéputés élus le 7 juin seront dès lors incontournables pour réformer la politique agricole commune ou encadrer l'immigration légale et illégale. Une façon de conforter le contrôle démocratique d'une construction européenne souvent brocardée pour son opacité.

    Il n'empêche : le ressort semble être cassé entre les électeurs et leurs eurodéputés. Ces derniers demeurent, sauf exception, d'illustres inconnus dans leurs circonscriptions, désignés moins pour leurs faits d'armes européens qu'en raison de calculs politiques nationaux. Après être parvenu à séduire les eurodéputés pendant sa présidence de l'Union, au second semestre 2008, Nicolas Sarkozy lui-même a cédé à la tentation intérieure en plaçant Rachida Dati en seconde position en Ile-de-France pour mieux l'écarter du ministère de la justice. L'influence relative des pays au sein de l'Hémicycle est pourtant liée à la qualité, à l'engagement et à la cohésion des bataillons d'élus envoyés à Bruxelles et à Strasbourg. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont su utiliser ce levier pour peser sur les décisions parlementaires, alors que la France a longtemps négligé l'Hémicycle européen. Pendant la législature qui s'achève, les socialistes français, pourtant les plus nombreux numériquement dans leur groupe, ont été incapables de peser de tout leur poids en raison des divisions internes suscitées, entre autres, par le débat sur la Constitution. Les élus du MoDem ont vu leur entregent se réduire chez les libéraux-démocrates quand une partie de leur délégation a rejoint l'UMP et le PPE.

    La crise a dominé la campagne, en France comme ailleurs. Ou plutôt les campagnes, tant il est vrai que les débats électoraux restent des plus fragmentés dans l'Europe des Vingt-Sept. Le Royaume-Uni est obsédé par le scandale des notes de frais de ses parlementaires, qui affaiblit chaque jour le gouvernement de Gordon Brown. En Italie, Silvio Berlusconi escompte un plébiscite, mais il doit se défendre des accusations de son épouse, laquelle réclame le divorce en lui reprochant de fréquenter des mineures. L'Allemagne a déjà en tête les élections législatives de septembre, où s'affronteront Angela Merkel et son ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. En France, l'UMP fait la course en tête, tandis que le PS est sous pression du MoDem et souffre de l'éclatement de la gauche. La campagne tricolore est loin d'avoir atteint l'intensité de celle qui avait conduit au rejet de la Constitution, au printemps 2005. A l'échelle du continent, cette indifférence relative pourrait cacher une autre déconvenue pour le Parlement européen : la progression des formations d'extrême droite et d'extrême gauche, les plus opposées à sa raison d'être.

    Par Le Monde
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