Plusieurs mois nous séparent déjà de la mort du vaillant colonel Amirouche. C’était le 28 mars 1959 à Djebel Thameur, prés de Boussaâda où il a été intercepté, en compagnie de son compagnon de lutte Si Haoues, et tué après un long et violent accrochage. beaucoup de moyens ont été mis en œuvre par l’armée française pour venir à bout de ce redoutable guerrier, puisant même dans les réserves de l’OTAN, pour en finir définitivement avec celui qui avait rendu la vie intenable à l’occupant, du plus simple soldat appelé aux plus hauts stratèges. 60 maquisards à leur tète deux vaillants colonels «fellaghas», ont tenu tête à 2 500 soldats de l’armée coloniale. Artillerie, aviation, parachutistes ont dû faire face, à une résistance héroïque, surhumaine, qui a duré toute la journée. 6 soldats FSE perdront la vie dans cet accrochage dont un avion de chasse, un T6 dont on dit, qu’il tentait une action spectaculaire lors d’une descente en vrille et qui ne reprendra plus le ciel.
Le pilote et son coéquipier seront tués sur le coup. Il n y aura que de rares survivants du coté des «fellaghas» dont certains seront achevés mystérieusement. Malgré l’importance de l’événement, la population algérienne était restée dans l’ignorance de cet événement exceptionnel, en dépit du tapage médiatique des services de propagande colonial, puisque je me souviens, que la même année, alors que plusieurs mois déjà nous séparaient de la mort du «lion du Djurdjura», Mon père était encore vivant à cette époque du début de l’opération jumelles, il l’avait bien su avant nous tous, dans le village. Je me souviens qu’il avait fait cette confidence à ma mère en lui chuchotant à peine à l’oreille cette terrible et foudroyante phrase chargée d’une vérité amère «maintenant que Amirouche est mort, que l’on soit tous exterminés ! Cela m’est bien égal !tant pis si nous devons tous crever un par un et qu’il ne survive aucun d’entre nous à cette guerre ! Je te dis cela à toi mais fais attention de ne pas ébruiter l’affaire. L’info doit être tenue secrète le plus longtemps possible pour éviter de démoraliser la population. Il y va de La résistance de notre lutte, celle de notre peuple, pour ceux d’entre nous qui survivront aux massacres de l’ennemi.»
Cette phrase venant de mon père et que je venais de découvrir pour la première fois, mais surtout très déterminé, était pour moi, lourde à supporter, mais assimilable pour l’enfant, pourtant, que j’étais. À cela plusieurs explications :
Premièrement, je ne savais même pas ce que politique voulait dire vu mon jeune âge. Secundo, durant les premières années de mon enfance, mes rencontres avec mon papa chéri, parfaitement gravées dans ma mémoire, se comptaient sur les doigts d’une main.les moments vécus ensemble avec mon «vieux», je suis en mesure de les décrire dans leurs menus détails avec une précision remarquable comme si cela datait d’hier, mais pourtant sans pouvoir mettre la rigueur chronologique, pour rester dans ce contexte du bon vieux temps intemporel pour l’ esprit vagabond d’enfant insouciant. Voilà les images qui seront figées dans mon esprit d’enfant ,comme un traumatisme qui m’accompagnera toute ma vie durant, ressurgissant à la surface de ma mémoire de façon récurrente et épisodique:
1- Lorsqu’il revenait de la djemaâ pour annoncer à ma mère, la mort de mon frère ainé au maquis en décembre 1958, au village Ait Mahmoud, dans la commune d’Abi Youcef, non loin de Aïn El Hammam. Mon défunt frère serait dénoncé par un harki du nom d’A.S. Les représailles du FLN ne s’étaient pas fait attendre, puisque ce harki sera exécuté dans les quelques jours qui ont suivi sa mort. Mon frère vengé par ses compagnons et amis moudjahidine, son nom Si Hadj Mohand Cherif figurera sur une liste de 12 autres martyrs, sur le monument érigé sur la place du village. Parmi eux, un jeune de 15 ans, tombé les armes à la main.
2. Mon déplacement en sa compagnie, à dos d’âne vers les années 1954 et 1955 à Tizegoua, un champ très boisé. Arrivé sur les lieux, alors que j’étais à califourchon sur un âne de grande taille, celui-ci piqué par une mouche s’était mis subitement à trotter et dans sa course effrénée, une branche d’arbre me barrait littéralement la route au niveau de mes épaules et me fit chuter par terre. Mon père courrait derrière l’âne pour le rattraper, en se retournant il me consola «c’est rien, fiston ! Tu n’as rien ! Allez, relève toi, tu es un homme !» En effet, il y avait plus de peur que mal.
3. En 1955 prés d’une aire à battre le blé au champ dit Tamazirt, mon père assistait, tout en m’encourageant, à une bagarre que je livrais à mon cousin Bachir, lui supporté de l’autre côté par son papa. Bachir et moi avions, à cette époque le même âge. C’était donc un combat juste et à armes égales … Au final, je m’en étais sorti avec une égratignure au bras. Mais plus tard, mon pauvre cousin perdra son incisive suite à un coup de tête que je lui administrais sans intention calculée, cette fois en l’absence de nos défunts géniteurs.
4. A Aït Ouatas précisément en 1959 lorsque nous avions été expulsés du village par les commandants FAVIER, Wolf et le lieutenant PELARDI du 6°BCA des chasseurs Alpins.
Mais je dois dire tout de même que même si je fais référence dans mes souvenirs d’enfance à ces années, mes rencontres n’ont duré que quelques heures qui me paraissaient des minutes, pour ne pas dire des secondes même. En tout et pour tout je puis affirmer sans risque de me tromper que j’ai vécu pleinement et consciemment en compagnie de mon papa, de façon discontinue, au total, l’équivalent de quelques jours seulement dans toute ma vie de première enfance, avant que la mort ne vienne le happer à mon affection. J’avais alors 9 ans.
Mais avant de nous quitter, mon père avait subi le calvaire dans la prison : torture, privation de nourriture, simulation de noyade. Il avait été plusieurs fois incarcéré aux camps d’Iferhounéne et d’Agouni Adella.
Mais la façon dont s’est pris mon pére pour annoncer à ma mère la nouvelle de la mort de Amirouche me donnait à penser que cet événement avait une une grande valeur et de toute évidence était une catastrophe pour toute la région de la Kabylie, coupée du monde et où l’information reste secrète ne circule pas avec fluidité quand celle-ci n’est pas simplement bloquée par les forces d’occupation. Même d’une mechta à une autre qui ne sont séparées pour la plupart d’entres elles que de quelques centaines voire de dizaines de mètres seulement.
Les villages donnaient l’impression, en ces temps de guerre, de ressembler à des forteresses hermétiquement isolées et qui gardaient jalousement leurs secrets contre tout étranger à la tribu. Seuls les guetteurs, qui pourtant sont là, mais invisibles, pour transmettre une seule et unique indication : la présence des militaires français dans les environs.
Les postes TSF étant interdits car ils sont assimilés à des armes de guerre. La Kabylie semblait encerclée autant par la chaîne du Djurdjura au sud et les mamelons qui lui font face au nord que par la galaxie de camps militaires égrainés sur les crêtes les plus stratégiques. Autant dire que la haute Kabylie, de Fort National à Tifilkout, était encadrée, verrouillée.
C’est dire qu’il était difficile pour les hommes et même les femmes et les enfants de circuler, pour se rendre, du reste sans autre but sur d’autres endroits de la région que celui de collecter l’information qui, ne pouvait être véhiculée que grâce au «téléphone arabe» ou l’appel d’une colline à une autre par un berger kabyle.
Le pilote et son coéquipier seront tués sur le coup. Il n y aura que de rares survivants du coté des «fellaghas» dont certains seront achevés mystérieusement. Malgré l’importance de l’événement, la population algérienne était restée dans l’ignorance de cet événement exceptionnel, en dépit du tapage médiatique des services de propagande colonial, puisque je me souviens, que la même année, alors que plusieurs mois déjà nous séparaient de la mort du «lion du Djurdjura», Mon père était encore vivant à cette époque du début de l’opération jumelles, il l’avait bien su avant nous tous, dans le village. Je me souviens qu’il avait fait cette confidence à ma mère en lui chuchotant à peine à l’oreille cette terrible et foudroyante phrase chargée d’une vérité amère «maintenant que Amirouche est mort, que l’on soit tous exterminés ! Cela m’est bien égal !tant pis si nous devons tous crever un par un et qu’il ne survive aucun d’entre nous à cette guerre ! Je te dis cela à toi mais fais attention de ne pas ébruiter l’affaire. L’info doit être tenue secrète le plus longtemps possible pour éviter de démoraliser la population. Il y va de La résistance de notre lutte, celle de notre peuple, pour ceux d’entre nous qui survivront aux massacres de l’ennemi.»
Cette phrase venant de mon père et que je venais de découvrir pour la première fois, mais surtout très déterminé, était pour moi, lourde à supporter, mais assimilable pour l’enfant, pourtant, que j’étais. À cela plusieurs explications :
Premièrement, je ne savais même pas ce que politique voulait dire vu mon jeune âge. Secundo, durant les premières années de mon enfance, mes rencontres avec mon papa chéri, parfaitement gravées dans ma mémoire, se comptaient sur les doigts d’une main.les moments vécus ensemble avec mon «vieux», je suis en mesure de les décrire dans leurs menus détails avec une précision remarquable comme si cela datait d’hier, mais pourtant sans pouvoir mettre la rigueur chronologique, pour rester dans ce contexte du bon vieux temps intemporel pour l’ esprit vagabond d’enfant insouciant. Voilà les images qui seront figées dans mon esprit d’enfant ,comme un traumatisme qui m’accompagnera toute ma vie durant, ressurgissant à la surface de ma mémoire de façon récurrente et épisodique:
1- Lorsqu’il revenait de la djemaâ pour annoncer à ma mère, la mort de mon frère ainé au maquis en décembre 1958, au village Ait Mahmoud, dans la commune d’Abi Youcef, non loin de Aïn El Hammam. Mon défunt frère serait dénoncé par un harki du nom d’A.S. Les représailles du FLN ne s’étaient pas fait attendre, puisque ce harki sera exécuté dans les quelques jours qui ont suivi sa mort. Mon frère vengé par ses compagnons et amis moudjahidine, son nom Si Hadj Mohand Cherif figurera sur une liste de 12 autres martyrs, sur le monument érigé sur la place du village. Parmi eux, un jeune de 15 ans, tombé les armes à la main.
2. Mon déplacement en sa compagnie, à dos d’âne vers les années 1954 et 1955 à Tizegoua, un champ très boisé. Arrivé sur les lieux, alors que j’étais à califourchon sur un âne de grande taille, celui-ci piqué par une mouche s’était mis subitement à trotter et dans sa course effrénée, une branche d’arbre me barrait littéralement la route au niveau de mes épaules et me fit chuter par terre. Mon père courrait derrière l’âne pour le rattraper, en se retournant il me consola «c’est rien, fiston ! Tu n’as rien ! Allez, relève toi, tu es un homme !» En effet, il y avait plus de peur que mal.
3. En 1955 prés d’une aire à battre le blé au champ dit Tamazirt, mon père assistait, tout en m’encourageant, à une bagarre que je livrais à mon cousin Bachir, lui supporté de l’autre côté par son papa. Bachir et moi avions, à cette époque le même âge. C’était donc un combat juste et à armes égales … Au final, je m’en étais sorti avec une égratignure au bras. Mais plus tard, mon pauvre cousin perdra son incisive suite à un coup de tête que je lui administrais sans intention calculée, cette fois en l’absence de nos défunts géniteurs.
4. A Aït Ouatas précisément en 1959 lorsque nous avions été expulsés du village par les commandants FAVIER, Wolf et le lieutenant PELARDI du 6°BCA des chasseurs Alpins.
Mais je dois dire tout de même que même si je fais référence dans mes souvenirs d’enfance à ces années, mes rencontres n’ont duré que quelques heures qui me paraissaient des minutes, pour ne pas dire des secondes même. En tout et pour tout je puis affirmer sans risque de me tromper que j’ai vécu pleinement et consciemment en compagnie de mon papa, de façon discontinue, au total, l’équivalent de quelques jours seulement dans toute ma vie de première enfance, avant que la mort ne vienne le happer à mon affection. J’avais alors 9 ans.
Mais avant de nous quitter, mon père avait subi le calvaire dans la prison : torture, privation de nourriture, simulation de noyade. Il avait été plusieurs fois incarcéré aux camps d’Iferhounéne et d’Agouni Adella.
Mais la façon dont s’est pris mon pére pour annoncer à ma mère la nouvelle de la mort de Amirouche me donnait à penser que cet événement avait une une grande valeur et de toute évidence était une catastrophe pour toute la région de la Kabylie, coupée du monde et où l’information reste secrète ne circule pas avec fluidité quand celle-ci n’est pas simplement bloquée par les forces d’occupation. Même d’une mechta à une autre qui ne sont séparées pour la plupart d’entres elles que de quelques centaines voire de dizaines de mètres seulement.
Les villages donnaient l’impression, en ces temps de guerre, de ressembler à des forteresses hermétiquement isolées et qui gardaient jalousement leurs secrets contre tout étranger à la tribu. Seuls les guetteurs, qui pourtant sont là, mais invisibles, pour transmettre une seule et unique indication : la présence des militaires français dans les environs.
Les postes TSF étant interdits car ils sont assimilés à des armes de guerre. La Kabylie semblait encerclée autant par la chaîne du Djurdjura au sud et les mamelons qui lui font face au nord que par la galaxie de camps militaires égrainés sur les crêtes les plus stratégiques. Autant dire que la haute Kabylie, de Fort National à Tifilkout, était encadrée, verrouillée.
C’est dire qu’il était difficile pour les hommes et même les femmes et les enfants de circuler, pour se rendre, du reste sans autre but sur d’autres endroits de la région que celui de collecter l’information qui, ne pouvait être véhiculée que grâce au «téléphone arabe» ou l’appel d’une colline à une autre par un berger kabyle.
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